Des voix off de travailleurs des chantiers navals de Viana do Castelo racontent leurs souvenirs heureux des jours de plein emploi. Parallèlement, depuis un bateau sur la mer, sont filmés dans un long travelling, les quais où d'immenses grues n'ont plus d'activité. C'est jour de pluie et une équipe de télévision commente la manifestation des ouvriers qui sont sur le point d’être licenciés.
Les travaux du réalisateur, des constructeurs navals et de l’exterminateur de guêpes
Miguel Gomes, le réalisateur, s'interroge sur son choix de filmer parallèlement à cette situation sociale difficile, le travail d'un exterminateur de guêpes asiatiques. Celles-ci détruisent les ruches des abeilles des apiculteurs locaux. Alors que manifestations de jour et destructions de nids de guêpes par les flammes la nuit se succèdent, Miguel Gomes n'y tient plus. Il fuit dans les rues de Viana do Castelo, poursuivi par l’équipe technique : "Faire ce film est l’idée la plus stupide de ma vie ! Comment peut-on faire un film d’intervention sociale quand on veut filmer des histoires merveilleuses ? Comment filmer des fables intemporelles quand on est engagé avec le présent ?" Rattrapé par l'équipe technique, il est enterré dans le sable sur la plage avec son preneur de son et sa chef opératrice. Demandant la dernière cigarette du condamné, Miguel Gomes demande que l'on sursoie à son exécution tant qu'il sera capable de raconter des histoires
L’île des jeunes vierges de Bagdad
Miguel Gomes est donc dans une situation semblable à celle de Schéhérazade dans les Mille et une nuits. Le générique qui s'affiche alors sur l'image d'une Shéhérazade moderne, radieuse, précise bien que le film n'est pas une adaptation du livre des milles et une nuits mais s'inspire seulement de le structure de son récit pour parler des problèmes contemporains du Portugal intervenus entre juillet 2013 et aout 2014. Durant cette période, le Portugal a été l'otage d'un programme d'austérité imposé par la Troika à un gouvernement manifestement sourd à la justice sociale. La grande majorité des Portugais se sont en effet apauvris durant cette période.
Schéhérazade, la fille du grand Vizir, s'était offerte pour calmer la colère du Sultan après la tromperie de sa première épouse et qui en était venue à exécuter chacune de ses concubines après une nuit d'amour. Elle avait pour cela fait moisson d'histoires auprès de jeunes vierges de Bagdad mises à l'abri sur une ile par leurs parents. C'est avec ces histoires que Schéhérazade tenait en haleine le Sultan, ne lui en révélant pas la fin à la fin de la nuit et lui assurant ainsi la vie sauve jusqu'au lendemain.
Les hommes qui bandent
Les représentants de la Troïka (Le FMI, la BCE et l'Union européenne), sont venus en chameaux exprimer leurs exigences aux représentants de la société civile portugaise ; le premier ministre, la ministre des finances, le représentant du patronat et Luis le président du syndicat. Un traducteur peu compétant tente d'aider à rapprocher les points de vue. Mais ramener le déficit public à 4 % semble réunir contre lui patronat et syndicat, désormais unis. Une promenade en chameau est décidée pour sursoir au blocage de la situation. La petite troupe rencontre alors un sorcier vaudou qui, constatant la situation muette du représentant du FMI lui propose un spray magique à appliquer directement sur le sexe pour le faire bander; immédiatement les hommes du group demandent le même traitement miracle. La joie d'avoir reprouver leur pouvoir érectile, immédiatement mis en œuvre auprès de prostituées, conduit les repentants de la Troïka à assouplir leur point de vue et conclure un accord avec les Portugais quitte à être demis de leur fonction plus tard. Mais le moment d'euphorie est vite passé: comment expliquer, rentrés chez eux, qu'ils ne cesseront de bander ? Inquiets ils demandent au sorcier de revenir à leur situation antérieure. Celui-ci exige pour prix de son service le montant de la totalité de la dette portugaise. C'est désormais ce qu'exigent les représentants de la Troïka auprès des Portugais.
L’histoire du coq et du feu
Resende, une ville de 2000 habitants sur les bords du fleuve Douro où auront bienôt lieu des élections locales. Le coq de Fernanda est la cible d’un procès judiciaire car il chante dès l’aube, empêchant les voisins de dormir. L'un des rares juges comprenant le langage des animaux est appelé à statuer. Les alentours de la ville son périodiquement la proie des flammes. Rui Miguel et Sandra s'aiment Mais le premier rencontre Catarina, la sapeur-pompier et en tombe amoureux. Il s'en explique par texto à Sandra. L’amoureuse trahie met le feu à la montagne. Rui Miguel fait part de ses soupçons à Catarina qui, devant la succession des feux, en avertit ses collègues.
Le bain des Magnifiques
Aveiro. Luis, le syndicaliste, professeur de natation récemment divorcé a une obsession : comme chaque année, organiser le bain du 1er janvier où les nageurs sont réconfortés ensuite d'une tasse de cacao. Mais cette année, les financements sont difficiles à trouver. Maria, sa jeune collègue, lui reproche de croire encore à l'aide des patrons qu'il a maladroitement sollicité.
Luis est cardiaque et c'est à l'intérieur d'une baleine qu'il consulte la docteur Rosa. Elle aimerait qu'il se calme. Mais Luis est un romantique qui dort dans un bateau dans son local syndical où, par ailleurs, il reçoit les Magnifiques : des travailleurs qui expliquent leur condition actuelle de chômeur : Anibal Fabrica, Sonia et Rui qui se sont rencontrés dans la pâtisserie où Sonia travaillait. Rui lui a demandé une bière et son numéro, mais Sonia ne lui a donné que la bière. Pendant plusieurs mois, Rui est revenu régulièrement. Aujourd’hui ils vivent ensemble et cherchent ensemble du travail. Pour survivre, Rui fait les poubelles pour ramasser de la ferraille qu’il revend au poids. Ils se procurent de la nourriture au Secours Catholique. Paulo Carvalho est le troisième Magnifique. Il est né en 1970 près d’Aveiro et a travaillé pendant la majeure partie de sa vie comme Commercial. Il a perdu son emploi car son entreprise ne voulait pas lui donner de commission alors qu’il avait apporté nombre de clients importants. Son contrat de travail était sur le point de se terminer et n’a pas été renouvelé. Il a attaqué l’entreprise en justice et a reçu une indemnisation injuste.
Le 31 décembre 2013, Luis sur la plage d’Aveiro constate qu'il fait gris et pluvieux. Il voit une baleine échouée, qui explose. ce n'était qu'un cauchemar : le 1er janvier 2014 pour le bain annuel, la foule joyeuse des travailleurs est réunie.
Ce première film de la trilogie est la plus politique, du moins celui qui correspond le mieux au programme énoncé dans les trois génériques successifs: "Le film n'est pas une adaptation du livre des milles et une nuits mais s'inspire seulement de le structure de son récit pour parler des problèmes contemporains du Portugal intervenus entre juillet 2013 et aout 2014. Durant cette période, le Portugal a été l'otage d'un programme d'austérité imposé par la Troïka à un gouvernement manifestement sourd à la justice sociale. La grande majorité des Portugais se sont en effet appauvris durant cette période".
L'introduction, aux chantiers de Viana do Castelo, s'inscrit dans la tradition des luttes ouvrières avec ses grèves et ses manifestations. Le parallèle avec les nids de guêpes asiatiques, que le réalisateur ne veut pas voir, prétextant juste la concomitance des événements, est peut-être une métaphore des destructions apportées par le commerce international : les guêpes asiatiques détruisant les abeilles locales. Le premier épisode après cette introduction aux récits, Les hommes qui bandent, est en effet un conte burlesque qui règle de manière bon enfant son compte à la Troïka. Il ramene les affaires politico-financières du monde à hauteur de quequette. La troisième épisode, Le bain des magnifiques, montre des chômeurs exemplaires, les véritables victimes de la politique d'austérité, alors que le générique ne faisait cas que d'un somme toute assez supportable appauvrissement des Portugais depuis un an. Cette troisième partie fait intervenir deux autres personnages exemplaires, Luis et Maria, qui tentent de maintenir la tradition populaire ouvrière joyeuse et un peu folle de ce bain du 1er janvier agrémenté d'une réconfortante tasse de cacao.
La seconde partie, l'histoire du coq et du feu, est bien davantage caractéristique du projet global des trois films d'encadrer le réel de 2013-2014 de fantaisie, de merveilleux et de mythes. Plus question dans ce second épisode de personnages exemplaires. Ce sont des êtres agis par des pulsions archaïques et viscérales : celles d'alerter pour le coq et la jalousie pour l'amante trahie. Le décalage avec une réalité trop prosaïque est manifeste avec ce coq qui parle et le juge qui comprend son langage. Décalage aussi par le fait de faire interpréter une histoire d'adultes par des enfants. L'animal, le pré-humain et, à l'opposé, les enfants, l'avenir des adultes (surtout avec leurs texto brefs et poétiques), apportent bien cet aspect de fable intemporelle recherchée par le réalisateur.
Jean-Luc Lacuve le 30/06/2015
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