Schéhérazade raconte comment la désolation a envahi les hommes : "Ô Roi bienheureux, on raconte que dans un triste pays..."
Chronique de fugue de Simão "Sans Tripes"
Un assassin en fuite, Simão, dit "Sans Tripes", erre durant plus de quarante jours dans les terres intérieures et échappe aux gendarmes. Grand mangeur et pourtant grand et sec, Simão n'aime pas le monde... qui le lui rend bien. Il marche à travers les collines et les vallées. Il rêve de putes et de perdrix. Il a un dernier souhait, revoir sa fille. Il a pourtant tiré sur elle en tuant à coup de fusil sa femme qu'il aima follement jadis et deux de ses amies dans un coup de folie. Il s'inquiète de voir quarante chiens occuper le village. Il croise un voisin assassiné et lui prend les quelques euros de son porte-monnaie. Il les distribue aux enfants d'une voisine qui ont fait un petit spectacle devant lui. Il rejoint sa maison prenant le temps de manger et de prendre quelques billets. Il est arrêté par les gendarmes. Menotté dans la fourgonnette de police, il voit la foule l'acclamer, lui l'assassin, pour avoir résisté tant de jours à la traque policière.
Les larmes de la Juge
Une jeune femme, la main sur le sexe de son amant, contemple le sang qui le recouvre ainsi que les draps. Elle se lève pour informer au téléphone sa mère qu'elle vient de perdre sa virginité auprès d'un homme qu'elle aime et qui l'aime. Sa mère la félicite de s'être montrée si sage auparavant pour ce bonheur. La jeune femme lui demande la recette de son gâteau marbré qu'elle va préparer pour le réveil de son amant. Elle n'est pas certaine de le réussir et envisage d'en confier la réalisation à "la noire". Sa mère le lui déconseille vivement. Si son amant découvre qu'une autre femme a fait le gâteau, il en déduira sans doute qu'il peut aussi coucher avec elle.
Mais la mère ne peut parler davantage : vient la nuit des trois clairs de lunes et, dans l'amphithéâtre à ciel ouvert où s'est réuni le peuple, elle a plusieurs affaires à juger. Ce sont d'abord de pauvres gens qui ont vendu les meubles de leur appartement de location. Pour leur défense, ils s'emportent contre leur propriétaire, toujours insultant. La femme de celui-ci, muette, s'exprimant par geste, veut pourtant le défendre. Puis c'est une vache blessée qui vient parler des offenses faites à un vieil olivier millénaire puis une troupe de prostituées chinoises qui parle de ses malheurs avant qu'un chœur de voleurs sous des masques primitifs veuille bien accepter de se reconnaitre comme tels. Au moment de rendre la sentence, la juge pleure, affligée par ces malheurs passant de l'un à l'autre, rendant impossible de décider du bien et du mal.
Chez la fille, c'est la domestique noire qui prépare le gâteau.
Les Maîtres de Dixie. Première Partie : Glória, Luísa et Humberto
Gloria a trouvé un chien magnifique qui ressemble beaucoup à celui qu'elle eut longtemps. Elle le donne à Luisa, sa voisine, lente et dépressive, mariée à Humberto qui va mourir bientôt. Un jour, Luisa invite à diner deux jeunes voisins Vasco et Vania qui racontent comment ensemble ils ont surmonté leur toxicomanie.
Les Histoires des habitants de la tour racontées par Humberto et Luísa
Il y ceux qui contractent un emprunt pour sauver leur perroquet qu'ils ont gavé de cacahouètes ; les enfants qui regardent les voisin faire l'amour par un petit trou percé dans le mur; ceux qui aident les menacés d'expulsion à ranger leurs meubles; ceux qui, lors d'une fête des habitants, pissent dans le troisième ascenseur toujours en panne, ceux qui laissent la fumée du barbecue envahir les couloirs; les brésiliennes qui font du nu intégral sur le toit de l'immeuble. Un jour, Luisa décide de confier le chien Dixie à Vasco et Vânia, pour trois jours dit-elle.
Deuxième Partie : Vasco, Vânia, Ana et ses petits-enfants
Après plusieurs semaines, Vasco et Vânia ont alerté les autorités du non retour de leurs voisins. A l'aide d'un miroir, ils découvrent qu'ils se sont suicidés ensemble. Ils n'assisteront pas à l'enterrement : les voisins les soupçonnent d'une mauvaise influence sur le vieux couple de suicidés. Ils se plaignent auprès du secours populaire d'une nourriture toujours semblable. Ils souhaiteraient l'acheter eux-mêmes si on les jugeait suffisamment responsable pour leur donner directement de l'argent. Mais la femme du secours populaire reste ferme sur ses positions. Vasco et Vânia s'en vont redonner le chien à Anna, la concierge de l'immeuble de Gloria. Dixie est heureux, c'est une machine à aimer et oublier.
Le plus impressionnant des trois films de la trilogie, sachant mêler la fable et le documentaire de façon la plus intime, joyeuse et douloureuse à la fois.
Le spectateur des mille et une nuits du Portugal ne peut qu'être désolé devant la propagation du mal qui succède à l'espoir de la communauté fraternelle du bain qui clôturait l'épisode précédent. Le groupe de journalistes qui a enquêté durant un an dans le pays a ramené des témoignages souvent affligeants d'une communauté qui, pourtant, tient ensemble dans l'espace ouvert de l'amphithéâtre ou fermé d'une tour.
Ainsi même dans le malheur, qu'on ne saurait ne pas voir, coexistent l'entraide et l'ostracisme, le meurtre et la générosité. Mais surtout, autour de ces malheurs humains, auxquels participent de façon plus légère des Chinoises et des Brésiliennes, existent le règne des fantômes, le règne du monde animal (La vache, le chien Dixie, et les moutons) et du monde végétal (le vieil olivier), comme autant de contrepoids puissants, toujours capables d'oubli et de régénérescence, aux forces de désolation.
Jean-Luc Lacuve le 29/07/2015.
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