Tom Joad sort de prison après y avoir purgé une peine de quatre ans. Arrivé à la maison de ses parents, il découvre que celle-ci est vide à l'exception d'un malheureux nommé Muley qui lui explique que tous les fermiers de la région ont été chassés par des entrepreneurs.
Tom rejoint alors ses parents qui se sont réfugiés chez leurs propres parents. Expropriée par ces mêmes entrepreneurs, toute la famille Joad décide de quitter l'Oklahoma pour gagner la Californie où, parait-il, on peut encore trouver du travail.
Tous s'entassent dans un vieux camion et le voyage commence. Les états se succèdent, le Texas, le Nouveau Mexique, l'Arizona puis enfin cette Californie, symbole d'un nouvel espoir. Grampa et Grandma n'ont pas survécu à la dureté du voyage et les Joad découvrent la misère et la désolation.
Tom est blessé par un policier après avoir fracassé le crâne d'un policier qui venait de tuer son ami Casey. Recherché pour ce meurtre, Tom, qui a peur de compromettre les siens, leur dit adieu et leur annonce sa volonté de devenir l'un des chefs du mouvement social qui est en train d'agiter l'Amérique.
Les raisins de la colère allie un incontestable engagement social avec une parabole sur le motif biblique de la Terre Promise. A Peter Bogdanovich qui lui demandait ce qui l'avait attiré dans les raisins de la colère Ford répondait avec la plus grande simplicité :
"Je l'ai aimé, c'est tout. J'avais lu le livre - c'était une bonne histoire- et Darryl Zanuck en possédait un bon scénario. L'ensemble m'attirait - il s'agissait de gens simples- et l'histoire rassemblait à ce qui s'était passé en Irlande, lorsque l'on a chassé les gens de leurs terres et qu'on les a laissés errer sur les routes jusqu'à ce qu'ils meurent. J'aimais l'idée de cette famille partant et tentant de trouver son chemin dans le monde".
Ce parcours s'accompagne d'une volonté plastique constante. L'expressionnisme
se manifeste aussi bien dans la disposition des personnages, par groupes figés
dans le cadre, que dans les éclairages, à la bougie ou par les
phares des voitures. A l'antipode de ses films apaisés (She
wore a yellow ruban, L'homme tranquille
),
Ford met bien ici en scène une véritable opposition entre deux
mondes.
Un monde disparaît, celui de la famille unie et des traditions séculaires
(scène du vieux camion dans lequel monte toute la famille et que quitteront
successivement le grand-père, la grand-mère, le gendre puis
le fils aîné). Un autre monde peut-être va naître,
enfanté dans le désarroi, le doute, la souffrance. Tom Joad
qui part à la fin est à la fois le messager et l'artisan de
ce nouveau monde en devenir.
C'est Zanuck qui décida de porter à l'écran le roman de John Steinbeck tout en sachant que certains, à l'intérieur même de la 20th Century Fox -notamment le Conseil d'administration- risqueraient de désapprouver le projet et même de s'y opposer en raison de son réalisme social. Afin d'éviter les réactions hostiles, Zanuck envoie la seconde équipe, dirigée par Otto Brower et chargée de filmer les plans d'extérieur, au Texas et en Oklahoma sans indiquer le véritable titre du film. Pour tous, il s'agissait d'une comédie intitulée Highway 66 !
Johnson, le scénariste et Ford inventèrent la séquence, qui n'existe pas chez Steinbeck, du café pour routiers. C'est une très belle scène qui montre la pauvreté des Joad, la première attitude du refus des autres, puis la grande solidarité humaine qui finit par unir les protagonistes de la scène. La fin est également différente de celle du livre, où Rosasharn voit mourir son enfant.
Dans le premier scénario, le film se terminait -comme dans la copie définitive- par la déclaration de Ma Joad. Une première version est tournée de manière que le film s'achève - c'est d'ailleurs encore le cas de certaines copies- sur la profession de foi de Tom disant à sa mère :
"Je serai partout dans l'ombre. Je serai partout où tu pourras me voir. Là où on se bat pour que des gens qui ont faim puissent manger, je serai là. Là où un policier frappe un type, je serai là. Je serai dans les hurlements de ceux qui crient lorsqu'ils sont fous. Je serai. Je serai dans les rires des enfants lorsqu'ils ont faim et qu'ils découvrent que le repas est prêt. Je serai là lorsque les gens mangent ce qu'ils ont fait pousser et vivent dans les maisons qu'ils ont construites"
Tout en reconnaissant la force de cette scène admirable -Henry Fonda y est sublime- Zanuck a demandé à Ford d'ajouter l'autre scène prévue dans la premier scénario, celle où ma Joad dit à son mari :
"Nous sommes le peuple qui vit. On ne peut pas nous effacer. On ne peut pas nous battre. Nous irons toujours de l'avant, Pa, parce que nous sommes le peuple".
C'est sur ces mots que se termine le film, un film qui rappelle, alors même que Franklin D. Roosevelt vient de bénéficier d'un nouveau mandat présidentiel, que tous les Américains ne vivent pas dans un rêve doré. Face au slogan "There's no way like the Amarican Way", Les raisins de la colère oppose une population de pauvres errant d'un bidonville à l'autre, la spéculation des entreprises et des banques ayant jeté sur les routes des fermiers désormais sans terre. C'est d'ailleurs en étreignant pour la dernière fois sa terre, cette terre qui fut la sienne, que meurt le vieux grand-père Joad.
Le choix de Henry Fonda a été déterminant pour le succès du film. Quelque années après J'ai le droit de vivre de Fritz Lang, quelques mois après Jesse James de Henry King, où il combat pour la terre et contre le capitalisme, distribuant aux pauvres ce qu'il prend aux riches, un an surtout après Young Mister Lincoln, Fonda est une fois de plus l'incarnation du courage de l'homme prêt à risquer sa vie contre l'injustice. Ce n'est pas une coïncidence si, en 1982, lors de l'enterrement d'Henry Fonda, on a lu les paroles de sa déclaration finale des Raisins de la colère.