L'île d'Iwo Jima de nos jours. Des historiens et archéologues japonais fouillent les grottes artificielles creusées sur l'île par les combattants de la seconde guerre mondiale. Soudain, ils déterrent quelque chose.
Janvier 1945, les soldats japonais creusent des tranchés dans l'attente du débarquement imminent des troupes américaines. Saigo n'y croit plus et voudrait bien qu'on abandonne cette île aux américains. Son capitaine entend ses propos antipatriotiques et s'avance menaçant.
Le général Tadamichi Kuribayashi arrive en avion dans cette île où il vient d'être muté abruptement. Il est reçu par l'amiral Ohsugi auquel il trouve une mauvaise mine. Il décide de parcourir l'île à pied.
Il intervient pour épargner à Saigo une sévère correction de la part de son capitaine auquel il enjoint de priver son subordonné de nourriture plutôt que le blesser à coup de cravaches. Il ordonne aussi l'arrêt de la stratégie de défense de la plage par le creusement des tranchées et la remontée des pièces d'artillerie sur le Mont Surabachi. C'est en creusant des cavernes dans le mont et au cur de l'île qu'il compte la défendre...
Fait sur l'initiative de Clint Eastwood qui a su convaincre Spielberg, son producteur, Lettres d'Iwo Jima constitue un diptyque avec Mémoires de nos pères. Il est censé être le point de vu japonais sur la guerre alors que le premier film était celui du point de vue américain.
L'initiative séduit. Les deux premiers plans où la caméra s'élève depuis la plage jusqu'au mont Surabachi puis du bas de la stèle du monument aux morts jusqu'à son sommet qui découvre l'île en contrebas semblent bien vouloir exprimer le désir de Eastwood de prendre de la hauteur et de rendre hommage aux combattants qui, d'un côté comme de l'autre, ont fait le sacrifice ultime pour défendre leur patrie.
Complémentaires dans leur projet humaniste, les deux films sont très différents dans leur approche. Le premier traite des séquelles de la guerre dans la mémoire collective américaine et le second de l'esprit de sacrifice des Japonais. L'un se terminait par l'exaltation de l'amitié dans un plan admirable de soldats se baignant après la bataille l'autre commence sur une musique élégiaque qui prive, dès l'abord, tous les personnages d'espoir.
Mais hélas, l'improvisation qui a concouru à l'élaboration du diptyque nous prive d'une vraie mise en rapport des deux points de vu. Elaboré à partir de documents différents, le deuxième film ne dialogue jamais avec le premier. Si quelques plans sont bien les contrechamps de premier (épisodes du débarquement, du tir depuis les casemates de la plage, du drapeau planté sur le mont Surabachi) aucune scène ne bénéficie du double point de vue. Chaque film ne vaut donc que pour lui-même.
Hélas, deux fois hélas : autant le scénario de Mémoires de nos pères, préparé par Haggins, donnait à Eastwood les moyens d'exprimer toute sa maîtrise, autant celui-ci est caricatural.
On ne peut pas reprocher à Clint Eastwood d'avoir voulu faire un film de propagande pour la paix. Mais le spectateur souhaite à minima un message un peu moins innocent que celui qu'il nous propose à savoir que si les Japonais avaient mieux connu leurs ennemis alors jamais ils n'auraient fait la guerre... se rendant compte qu'ils étaient comme eux.
L'universalisme apparent du message cache une bonne conscience impérialiste. Seuls sont nobles, intelligents et humains avec leurs soldats le général Kuribayashi et le lieutenant-colonel Nishi, les deux seuls à être allés aux Etats-Unis. Tous les autres, et notamment la hiérarchie intermédiaire (lieutenants et capitaines), sont des victimes sans états d'âme de la propagande impériale. Mais il suffit de la lecture de la lettre d'une mère américaine à son fils pour que les soldats soient convaincus de l'humanité des américains.
Un peu effrayé sans doute, de la lourdeur de ce message, Eastwood en profite, pour faire contrepoids, par montrer la seule décision effroyable prise par deux américains : par peur des ennuis (!), ils exécutent froidement deux prisonniers.
On regrettera aussi l'absence de tout humour et l'absence de la conscience de la fragilité du message humaniste face aux structures guerrières et sociales qu'avait développées Jean Renoir dans La grande illusion.
Même absence de subtilité dans la mise en scène. Les flashes-back sont terriblement artificiels aussi bien dans leur amorce, leur brièveté qui les rend forcement explicatifs (on renvoie les civils parce que l'enfant entraperçu fait penser au sien au général) que leur inutilité (le chien abattu méritait-il cet excès de sentimentalisme alors que plus de 20 000 hommes perdent leur vie ?)
Sans doute parce qu'il est vu par ceux qui perdent, le film et une inévitable suite de scènes de boucherie (bon, c'est vrai ça dégoutte de la guerre !) entre bras arrachés, suicides à la grenade et sang échappé de baïonnettes éventrant l'ennemi. Le salut du jeune soldat qui avait promis de revenir auprès de sa femme apparaît bien naïf, une forme de happy-end déplacé qui contredit le projet du film. A moins qu'il ne s'agisse de plaire aux fans de l'interprète du personnage, chanteur de rock très populaire au Japon.
Le film, malgré son humanisme certain, est à peine du niveau des premiers films de guerre de Eastwood et on en vient à le considérer seulement comme un très long générique de Mémoires de nos pères rendant hommage aux morts japonais.
Jean-Luc Lacuve, le 22/02/2007