Accueil Fonctionnement Mise en scène Réalisateurs Histoires du cinéma Ethétique Les genres Les thèmes Palmarès Beaux-arts

Démons

2015

Voir : Diaporama de la soirée de présentation au Café des images

Avec : Romain Duris (Franck), Marina Foïs (Katarina), Anaïs Demoustier (Jenna), Stefan Konarske (Thomas), Lola Guichard (L'enfant). 1h28.

La mère de Frank est morte. Il ramène l'urne funéraire dans son domaine privé, une demeure seigneuriale au milieu d'une forêt. Katarina et Frank y vivent ensemble depuis neuf ans. Ils s’aiment mais ne se supportent plus, s'insultent et se battent. Ils attendent la visite du frère de Frank qui doit les accompagner le lendemain pour la cérémonie officielle. Le frère se décommande et chacun s'effraie de devoir passer la soirée ensemble. Ainsi quand Jenna leur jeune et niaise voisine vient emprunter un paquet de riz décident-ils de l'inviter avec son mari, Tomas. Jenna se plaint de n'avoir que ses enfants comme unique horizon et affiche crânement son manque de conversation. Elle presse Thomas de le rejoindre non sans l'avoir auparavant chargé de rassurer leur deux enfants et d'éteindre la machine à laver. Ainsi est-ce excédé que Thomas vient chez Katarina et Frank.

L'alcool aidant, la scène de ménage devient double. Chaque couple se déchire prenant l’autre comme témoin....

image
image

Il s'agit d'une adaptation d'une pièce de Lars Norén, publiée en 1984. Marcial Di Fonzo Bo avait mis en scène pour le théâtre Œdipe et Sang en 2003 de cet auteur suédois, né en 1944 et considéré comme le successeur d'August Strindberg avec ses thématiques centrées sur les problèmes parapsychologiques, psychiatriques ou psychosociaux. Après avoir succédé à Ingmar Bergman à la tête du Théâtre national de Suède, Norén est, depuis 1999, le directeur artistique du Riks Drama au Riksteatern le théâtre national itinérant suédois. Le film est produit par Arte et diffusé en avant-première au Café des Images le 11 juin avant son passage à la télévision en septembre 2015 et sa mise en scène au théâtre de Caen en fin d'année 2015.

Théâtre des sentiments

Après une séquence de générique dans un cimetière parisien, l'action ne quittera plus la bâtisse bourgeoise d'une grande banlieue huppée. Ce lieu clos évite, comme trop souvent dans le théâtre filmé, le piège des décors naturels : "Transposés tels quels dans l'éther infini du cinéma, texte et acteur perdent de leur puissance. Rien n'est pire que le théâtre illustré de décors naturels qui délitent l'énergie de la parole" disait Bazin dans son célèbre article Théâtre et cinéma. Ainsi, ici, les rares décors naturels sont-il théatralisés ou "picturalisés" avec une grande force : l'arrivée dans la forêt, la sortie sous la lune de Frank et Jenna, la venue finale de l'enfant. La peinture hétéroclite choisie par Frank (de Botticelli à David Hockney) sert également de premier écrin ou caisse de résonnance à sa passion amoureuse. Le tableau, fausse copie Renaissance achetée à Milan, obsède Frank qui s'y transpose en rêve. On y reconnait, à peine décalqué, le premier panneau de L'histoire de Nastagio degli Onesti (Sandro Botticelli, 1483), inspiré de la huitième histoire de la cinquième journée du Decameron de Boccace et intitulée : "L'enfer pour les amoureux cruels".

Les acteurs au-delà de la psychanalyse

La force d'énonciation de la parole est en effet d'autant plus nécessaire qu'elle s'appuie sur un vide, un creux psychanalytique : Frank, finit-on par l'apprendre, est impuissant. Le combat amoureux violent qu'il entretient avec Katarina est-il ainsi désespérément épuisant. Frank aimerait sans doute pouvoir se reposer sur les seins plein de lait de Jenna ou sur l'espoir d'une homosexualité avec Thomas. Mais rien de tout cela ne peut aboutir. Seule Katarina peut le comprendre et l'aimer conformément à son propre désir: en dépit de son impuissance et de son agressivité, ou justement à cause d'elles, Frank a besoin d'elle.

L'arrière plan psychanalytique est laissé volontairement flou derrière cette passion amoureuse particulière. Ainsi de la photographie de la mère ou des cendres goûtées du bout des lèvres ou même du sanglier mort trouvé sur la route. Des lors les cateurs ont une plus grande liberté pour s'exprimer. Anaïs Desmoutier parfaite en "quiche", selon son expression et Stefan Konarske en petit bourgeois insatisfait servent de faire-valoir au jeu dangereux des felins que sont Marina Foïs et Romain Duris. La première, fragile et incassable (la vitre brisée, l'eau de l'aquarium ou la double impuisance de Frank et Thomas ne sauront la briser) toute de noire à peine vêtue affronte Romain Duris plus élégant que jamais. Son personnage n'a presque rien pour lui si ce n'est la volonté affichée de survivre au traumatisme dont témoigne la danse en playback sur I put a spell on you (Screamin Jay Hawkins).

Jean-Luc Lacuve le 13/06/2015

L'équipe du film le 11 juin 2015 pour l'avant-première
voir : diaporama