François est un jeune professeur de français d’une classe de 4e dans un collège difficile. Il n’hésite pas à affronter Esmeralda, Souleymane, Khoumba et les autres dans de stimulantes joutes verbales, comme si la langue elle-même était un véritable enjeu. Mais l’apprentissage de la démocratie peut parfois comporter de vrais risques.
Laurent Cantet s'appuie sur un fond documentaire riche et complet pour réaliser une fiction dans laquelle son personnage principal joue une sorte de anti-héros. Cantet s'attache à François, met en scène ses qualités d'humanité, d'humour, de compétence et de dynamisme tout en montrant que sa démarche personnelle sous-estime le collectif et surtout les rapports de classe (!) à l'oeuvre au sein de l'institution scolaire.
Une fiction avant tout
Par son titre, Entre les murs, Cantet annonce qu'il ne sortira jamais de son collège du 20ème arrondissement et qu'il nous propose une sorte d'expérience de laboratoire, une sorte de démonstration toutes choses égales par ailleurs où ne seront examinés les phénomènes extérieurs que par leurs conséquences à l'intérieur du collège. Cela va de l'économie de la machine à café jusqu'à l'arrestation de la mère de Qifei en passant par la pratique de l'autorité dans une famille malienne peu intégrée.
Cantet choisit pareillement de ne pas décrire toute l'activité de François qui a certainement en charge quatre ou cinq autres classes. Il se limite à décrire ses rapports avec la seule 4e-3 où il est professeur principal.
Si le film décrit bien le parcours d'une année scolaire depuis la prérentrée des professeurs jusqu'aux vacances d'été où les salles sont de nouveaux vides, il le fait dans une sorte de trajet épuré qui vise à porter un regard sur son personnage principal.
Cette démonstration va se cristalliser dans les quelques jours qui vont marquer l'exclusion de la salle de Souleymane pour insolence, le conseil de classe qui a lieu le lendemain puis, le jour suivant, l'altercation où François, s'estimant peu récompensé de ses efforts pour éviter un avertissement à Souleymane, lâche imprudemment le mot "pétasses" pour désigner l'attitude de Louise et Esméralda durant le conseil de classe. Cette dernière, ne perdant pas une occasion d'aller à la confrontation, provoque une discussion où Souleymane, prompt à prendre la mouche, va "péter les plombs".
Cette partie très scénarisée du film en occupe une bonne moitié et montre comment François s'est laissé piéger par ses élèves qu'il croyait dominer.
Face à des professeurs confrontés à un milieu difficile et ingrat (on n'y est plus souvent "professeur de tables de multiplication" que de mathématiques et "instructeur" plus que professeur de technologie) François tire son plaisir d'enseigner dans les joutes verbales où il tente de mettre ses élèves face à leur responsabilité d'apprenant.
Ce rapport où chacun est censé avoir la parole à tour de rôle (dans les limites de la politesse, précise-t-il) n'est en fait que pseudo-démocratique. François maîtrise les différents niveaux de langues alors que les élèves n'ont que leur vocabulaire et moins de recul psychologique face à la situation.
François trouve néanmoins avec ses élèves un équilibre précaire. Il retrouve le soutien de Khoumba qui avait pourtant bien eu l'impression d'être traitée comme une gamine. Il arrive surtout à utiliser le goût de Souleymane pour les photos pour lui faire produire un autoportrait le valorisant.
Un univers impitoyable
C'est cependant ce succès qui sera à l'origine du plus grave échec de François. Refusant l'avertissement pour comportement insolent et manque de travail, François préfère croire que Souleymane a des "moyens limités" et s'en tirera grâce à sa méthode de séduction.
L'expression "moyens limités" fait le tour de la classe et suscite la réaction de Souleymane, soutenu cette fois par Esméralda et Louise auxquelles François va imprudemment rappeler leur attitude de "pétasse" devant le conseil de classe.
Avec ces deux malheureuses erreurs d'expression de François, la révolte gronde et fait sortir de ses gonds Souleymane qui tutoie François, l'insulte, jette son sac sur Khomba et sort sans autorisation.
François a ainsi sous-estimé ses élèves, ne s'est pas méfié de leur attention à ses mots cachée sous des rires ou une attitude apparemment distraite. Leur psychologie sans doute primaire de vengeance n'en est pas moins vive et Esméralda saura appuyer là où ça fait mal. Elle renvoie François au premier sens de prostituée que contient le mot "pétasse".
Et Cantet de souligner l'injustice du sort qui s'abat sur François. Il le filme seul devant sa table devant rédiger un rapport d'incident où figurera le mot "pétasses" ou se trouvant de nouveau seul à la cantine sans pouvoir fumer.
L'écran large souligne alors sa solitude tout comme il avait jusqu'à présent attiré dans le cadre les multiples petites provocations (un téléphone portable, une élève dormant, une discussion avec son voisin) auxquelles François ne se donnait pas la peine de répondre pour mieux accrocher l'ensemble restant de la classe.
Un constat en demi-teinte qui ressuscite les rapports de classes
En scénarisant ainsi le livre de Bégaudau qui est plutôt une suite de notations sur les attitudes et expressions des élèves, Laurent Cantet fait de François une sorte de anti-héros à la manière de Frank dans Ressources humaines qui croyait, à lui tout seul, pouvoir rétablir la justice dans l'entreprise.
Laurent Cantet montre a contrario les quelques leviers dont dispose l'institution scolaire pour agir sur les élèves. Il y a d'abord les avertissements aux élèves puis aux parents mais il n'y a pas de permis à points, seulement ensuite la sanction, lourde, de l'exclusion. François s'insurge contre celle-ci (douze conseils, douze exclusions). Il a pourtant dû reconnaître son efficacité avec Carl, le nouvel arrivant d'Aubervilliers qui semble prendre un nouveau départ dans son nouveau collège. La séquence du conseil de discipline est d'autant plus forte que la mère s'y montre d'une dignité royale mais aussi d'un aveuglement total : si Souleymane est un bon fils (ce dont on peut douter), il a depuis longtemps décroché de l'apprentissage scolaire. Et le professeur de mathématique a raison de dire que François achète la paix sociale en refusant des sanctions méritées.
C'est sans doute le travail fait en commun qui permet d'effacer le rapport conflictuel entre le maître et l'élève. C'est ce que montre le travail autour de l'autoportrait depuis la lecture d'Anne Frank, le premier essai, sa rédaction dans la classe informatique, l'affichage et la distribution de fin d'année dans un recueil. Outre ce projet pédagogique, François travaille aussi sur la compréhension des mots (succulent) la conjugaison (imparfait de l'indicatif et du subjonctif) et l'argumentation (pour ou contre la coupe africaine des nations).
En suivant ces projets pédagogiques, dans toutes les classes, les élèves ont appris quelque chose. On s'inquiétera moins pour le sympathique Barak qui n'intégrera peut être pas Henri IV que pour la jeune fille qui vient trouver François à la fin. Elle n'a rien appris dit-elle. Rien en tous les cas qui lui évitera d'aller dans une seconde professionnelle, qu'elle refuse, dans deux ans.
Laurent Cantet, sans doute sans illusion sur le plan banlieue et les moyens limités attribués aux collèges "ambitions-réussites", s'adresse directement aux élèves. Son film redonne le sens de l'institution scolaire, de ses règles, du respect dû aux professeurs qui pourront leur permettre d'aller au-delà de la moyenne qu'on attend d'eux : BEP ou bac professionnel. Il a d'autant plus de chance d'être entendu qu'il le fait à partir de deux héros aussi séduisants que, somme toute, assez réactionnaires : François et Souleymane surestiment leur intelligence individuelle et sous-estiment l'intelligence collective.
Jean-Luc Lacuve , le 27 septembre 2008.