C'est par un rouge à lèvre que tout commence. Nathalie pour son rendez-vous amoureux demande à une inconnue dont elle a remarqué le rouge à lèvre si elle peut lui emprunter. C'est le même que le sien.
Successivement elle lui emprunte une cigarette, une brosse à cheveux et, ne sachant plus où s'arrêter, elle lui demanderait bientôt un tempax, si le comique ne tournait bientôt au drame. Car, parallèlement à l'accélération comique apparaissent quelques signes inquiétants. Nathalie doit rencontrer un communiste, Bruno et l'inconnue le connaît, elle était dimanche à sa place sur le marché à vendre le journal, elle porte d'ailleurs un foulard rouge et ne retient Nathalie, ni par solidarité féminine ni par sympathie, ses approximations sur le communisme l'ennuient. Nathalie s'en rend compte. Toute à ses confidences, elle prend soudainement conscience que l'inconnu en sait trop : ne serait-elle pas Gaëlle, la compagne de Bruno ? Si, et le rouge à lèvre est bien le sien : elle l'a oublié dans la salle de bain.
Bruno accourt, probablement prévenu par Nathalie et veut retenir Gaëlle qui s'embarque pour Turin le soir même avec un retour par Lyon dans quatre jours. Bruno se coupe le doigt dans l'agence de voyage pour obtenir de Gaëlle l'assurance qu'elle ne le quitte pas. Première petite coupure pour Bruno et dans le récit, celui-ci reprenant abruptement par la main de Nathalie sur celle de Bruno dans le lit conjugal. Au matin, Anne, la responsable de campagne d'un dirigeant communiste vient le chercher. Nathalie découvre sous une pile de journaux la bague que Gaëlle avait demandé à Bruno de lui retrouver, elle se la passe au doigt.
Bruno roule vers Grenoble, flanquée de Anne qui conduit et de Nathalie qui s'endort sur lui en lui murmurant des mots d'amours. Son oncle Gérard, en difficulté dans une élection lui a demandé de venir. Deuxième petite coupure du récit, Nathalie s'endort et on la retrouve brusquement chez Gérard où elle s'ennuie ferme. Elle se réfugie dans les toilettes. Là, elle surprend la conversation de Bruno et de sa tante, gravement malade et qui lui avoue connaître une dernière passion amoureuse. Bruno de son côté dénigre méchamment Nathalie. Il la trouve inculte dans ses positions politiques et idiote dans sa façon de s'approprier la bague de Gaëlle, il n'aime pas ses doigts (trop gros) et surtout ne supporte pas ses mots d'amours. C'en est trop pour Nathalie qui s'affale de douleur, en larme sur le sol des toilettes. Bruno et sa tante sont interrompus par l'arrivée du fils de celle-ci qui essaie maladroitement de se démarquer des positions de son père par un militantisme d'extrême-gauche. Gérard convoque Bruno dans son bureau et lui explique qu'il a besoin de lui pour porter une lettre à l'amant de sa femme, un spécialiste de renom qui habite à plusieurs kilomètres de là. Il lui communique un plan de route. Bruno passe d'abord au village où Nathalie s'enfuit en moto avec le fils de Gérard. Elle le mord (deuxième petite coupure) et lui souhaite de choper le tétanos.
Bruno se perd. Incidemment, Il prend à son bord, Marie, une émigrée russe qui cherche à échapper à son compagnon violent. Elle ne connaît pas la région mais sait lire : "il faut passer le pont" signifiait non le contourner mais passer dessus. Bruno laisse Marie et s'enfonce dans le chemin. La nuit est maintenant tombée, la brume est épaisse et la voiture de Bruno dérape dans le fossé. Il continue à pied et se blesse aux branches des arbres. Soudain, il découvre le manoir éclairé qu'il cherchait. Il tombe en plein psychodrame, les invités se disputant à qui mieux mieux. Béatrice, la maîtresse de maison lui indique que celui qu'il cherche est souffrant et lui indique la salle de bain. En se soignant, il fait incidemment tomber la chemise de nuit de Béatrice, il la respire et c'est dans cette position saugrenue qu'il est surpris par Etienne. Il lui remet la lettre. Etienne a besoin de son inhalateur d'oxygène, nécessaire à sa survie durant son sommeil, pour supporter la violence verbale de la lettre. Il propose à Bruno de rester pour la nuit, le temps de rédiger sa réponse. De retour dans la cuisine, Béatrice lui annonce qu'il n'aura pas de dépanneur avent le lendemain midi. Elle lui propose de sortir avec elle les poubelles. Mais trajet est long jusqu'au pont. Et Béatrice lui raconte sa vie ; Elle est à la fois la belle-fille et la femme de Louis. Elle était déjà sa maîtresse lorsque sa mère, brillante géologue était son épouse. Pleine de remords, détentrice d'un doctorat d'histoire de l'art inutile, elle attend aujourd'hui le décès de son mari, dont elle ne supporte pas plus la misanthropie que le désir .
En moins de cent minutes et avec un humour ultra-précis, millimétré, Pascal Bonitzer parvient à faire exister quatre rencontres amoureuses et à boucler son film dans un cimetière avec, suprême élégance, le même accessoire par lequel il avait débuté : un rouge à lèvre. Ce mariage de la comédie et de la mort ainsi qu'un autre accessoire abondamment utilisé, une bague, font penser à deux des plus brillantes comédies sentimentales du début des années 2000 : Quatre mariages et un enterrement et Va savoir.
Comme ces deux films, Petites coupures est un film rare : modeste dans sa forme éclatée et pourtant aussi finement ciselées qu'un bijou. En faisant intervenir une multitude de micros éléments comme autant d'éléments critallisateurs de l'amour entre les personnages (rouge à lèvre, bague, morsures, plan, chemise de nuit, chouette, voiture, tour, sanctuaire), Bonitzer cristallise aussi la croyance du spectateur en leur histoire.
Cette série de micro événements et de petites coupures empêche le film de s'engager dans la voie de la grande forme, type mélodrame ou film noir, lorsque l'intrigue finit par lorgner sur celle du Facteur sonne toujours deux fois. Le film se révèle à l'image de son personnage sans transcendance, aucun grand amour ou croyance dans le travail ne vient ici donner un sens à la trajectoire de Bruno, soumis à ses pulsions du moment. Il joue avec le sérieux d'un enfant, accumulant déclaration de désamour et déclaration d'amour pour finir vieilli, irrémédiablement exclu du monde de la fantaisie et de l'attention aux autres (certes aussi intense que sans fidélité) qui faisait son charme. Barbu comme son oncle, privé de sa rate (organe du rire) il est à mille lieues de Béatrice, au charme intacte, maintenant plus forte grâce à lui et qui, en se maquillant en souriant, même tristement, est la seule qui reste bien décidée à vivre.
Le film dans son entier rejoue en effet le mouvement de sa première
séquence où le ton de la comédie finit par s'épuiser
dans le drame. Le personnage qui cahin-caha se débrouillait dans les
milieux civilisés de la ville ou protégé de la voiture
finit par être vampirisé par la nature. Les cinéphiles
ne manqueront pas d'être sensibles à la référence
au Nosferatu de Murnau
signalée par le : "il faut passer le pont" mais travaillée
constamment sur les décors. La brume, l'apparition du manoir au milieu
de la nuit, la tour à la chouette et l'apparition de Béatrice
au milieu des arbres lors du baiser avec Anne renvoient à l'éternel
combat de l'ombre avec la lumière. Et puisque les petites coupures
ne sont pas sans évoquer, sur un mode mineur, le goût du sang
de Dracula, peut-être
n'est-il pas excessif d'appliquer au film le jugement de Jacques Lourcelles
sur Nosferatu : "Le film est avant tout un poème métaphysique
dans lequel les forces de mort ont vocation d'attirer à elle, d'aspirer,
d'absorber les forces de vie, sans qu'intervienne dans la descripion de cette
lutte aucun manicheisme moralisant".
Jean-Luc Lacuve le 21/03/2003