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1838 dans le port suédois de Wisborg. Hutter est marié à la jeune Ellen. Son patron, Knock, notaire et agent immobilier, l'envoie dans les Carpates visiter le comte Orlock qui veut acquérir une maison à Wisborg.
Avant de partir, Hutter confie Ellen à l'armateur Harding et à sa sur Annie. De relais en relais, Hutter arrive à destination. Dans la taverne où il dîne, tous les clients réagissent violemment quand il déclare qu'il doit se rendre au plus vite au château du comte Orlock. Ils lui conseillent de ne pas aller là-bas à cette heure tardive. Hutter prend donc une chambre pour la nuit où l'on a disposé "Le livre des vampires". Il y apprend qu'en 1443 naquit le premier Nosferatu (à partir de ce plan, le comte sera mentionné sous le nom de Nosferatu). Hutter ne prend guère le livre au sérieux.
Le lendemain il se rend en voiture à cheval chez le comte. Comme la nuit va tomber le cocher ne veut pas aller plus loin. "Ici commence le pays des fantômes", dit-il (carton français). Hutter continue seul à pied et franchit un petit pont. "Et quand il eut dépassé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre" (carton français). Une voiture arrive en accéléré. Le cocher (qui n'est autre que Nosferatu déguisé) invite Hutter à monter. Il le conduit jusqu'à la tour principale du château et repart, également en accéléré.
Longue silhouette arachnéenne coiffée d'un bonnet et vêtue d'une tunique, Nosferatu vient à la rencontre de Hutter et le sermonne quelque peu : "Vous venez tard, jeune homme. Il est presque minuit."
Hutter prend son repas tandis que son hôte lit les documents qu'il lui a apportés. A minuit, Hutter se coupe le doigt : "Du sang ! Votre précieux sang !" s'exclame Nosferatu avant de lui sucer le doigt. Plus tard, Hutter se réveille dans un fauteuil. Il découvre deux morsures à son cou qu'il mentionne dans la lettre qu'il écrit à sa femme.
Hutter, épouvanté, rentre en hâte à Wisborg, mais Nosferatu l'y a précédé, semant sur son passage la terreur et la peste. Il s'installe face à la demeure des deux époux, dans une vieille masure en ruines.
Pour sauver la ville de ce fléau et conjurer la malédiction. Ellen se sacrifie en attirant dans sa chambre le vampire. Le lever du jour l'y surprend. Il tombe en poussière au premier chant du coq. Dernier carton "Et à cet instant comme par miracle les malades cessèrent de mourir et l'ombre oppressante du vampire s'évanouit dans le soleil du matin".
Même s'il n'est pas crédité au générique, ce qui faillit aboutir à la destruction du film, Nosferatu s'inspire du roman de Bram Stoker. Il en constitue l'une des adaptations les plus fidèles en dépit de la modification des noms des personnages ainsi que des lieux de l'action. Pour le traitement de la lumière, le jeu très théâtral Max Schreck et le thème du double, le film se rattache au courant expressionniste.
Un film expressionniste
La séquence qui voit l'ombre de Nosferatu démesurément agrandie puis l'ombre de sa main ouvrir la porte et se poser sur les blancs habits d'Ellen, comme s'il lui étreignait le cur pour qu'elle s'évanouisse afin de lui sucer le sang tout à son aise, est emblématique du combat entre le bien et le mal qui semble se livrer dans le film. Dans les scènes d'extérieur, les contre-jours montrent l'emprise des forces de l'occultisme.
La mort de Nosferatu, filmée en deux plans éblouissants, nécessite le jeu très expressionniste de Max Schreck qui passe devant la fenêtre se retourne, comprend qu'il va mourir et s'évanouit dans le plan. Le personnage de Nosferatu est le pivot d'un univers dominé par la mort. Ses apparitions sont rares, attendues, ciselées, inoubliables. Tout en inspirant l'horreur, il suscite aussi la pitié, la compassion et une sorte de stupéfaction fascinée et tragique.
Dans ce mouvement de balancier qui va de la sauvegarde de sa belle à la recherche d'aventures synonymes d'argent et de renommé Nosferatu est une sorte de double de Hutter. Leur rencontre est le climax d'un voyage initiatique que le jeune homme effectue au plus profond de lui-même. Tout pareillement, le retour de Nosferatu vers Wisborg, comme nourri de la vie apportée par le jeune homme est celui d'un désir de vivre qui assume la terreur qu'il déclenche sur son passage. Nosferatu et Hutter représentent les deux faces complémentaires d'une vie romantique, la face joyeuse et lumineuse pour Hutter, celle pssu sombre de la nuit et du desir pour Nosferatu.
Pour du cinéma total
Film aux multiples aspects, Nosferatu est donc bien avant tout comme le dit Jacques Lourcelles "un poème métaphysique dans lequel les forces de la mort ont vocation - une vocation inexorable- d'attirer à elles, d'aspirer d'absorber les forces de vie, sans que n'intervienne dans la description de cette lutte aucun manichéisme moralisant. La mort se nourrit de la mort et le sacrifice d'Ellen est nécessaire pour que le non-mort puisse mourir à son tour, car il faut qu'il meure pour que l'équilibre de l'univers soit préservé.
Sur le plan formel, la part la plus originale du film est ce par quoi il s'éloigne de l'expressionnisme et le dépasse. D'abord il y a l'importance donnée à la nature qui sera bannie du credo expressionniste. L'intrigue de Nosferatu baigne au contraire dans une variété saisissante d'extérieurs réels qui en accroît la portée et le romantisme magique. Ces extérieurs sont souvent filmés avec une utilisation extraordinaire de la profondeur de champ. Ensuite Murnau se livre ici totalement à son goût de la polyphonie et du contrepoint, autant sur le plan dramatique que cosmique. Ainsi par exemple, les séquences du voyage de retour de Hutter évoluent sur quatre plans parallèles. Attente d'Ellen, Folie de Knock, Progression de Hutter vers la ville, Progression du bateau envahi par la peste.
Tout au long du récit, le film abonde en métaphores, en digressions (qui n'ont rien d'accessoires) mettant en cause les différents règnes : végétal, animal, humain et, pourrait-on dire, sur-humain. Les cours du professeur Bulwer sur la plante carnivore et sur le polype translucide, l'araignée que contemple Knock, la hyène et les chevaux affolés à la veille de la saint-Georges scandent ponctuent, émaillent la trajectoire sanglante du vampire. Cette présence de la nature et cette polyphonie témoignent dès Nosferatu d'une conception du cinéma comme art total qui ne cessera de s'amplifier à travers toute l'uvre de Murnau."
Jean-Luc Lacuve le 15/09/2009 (remplace la version d'octobre 2007)
Bibliographie : Jacques Lourcelles : Dictionnaire du cinéma.
Version allemande et version française
Anonyme dans la version allemande, le journal est, dans la version française, attribué à Johann Cavallius, "compétent historien de Brême". L'action est ainsi déplacée dans cette ville d'Allemagne et n'a plus lieu en Suède à Wisborg.
A l'origine de l'épidémie n'est plus mentionnée l'inquiétante figure de Nosferatu mais "les figures innocentes de Jonathan Harker et de sa jeune épouse Nina".
Dans la version française, les noms des personnages redeviennent ceux du roman de Stoker : Hutter redevient Jonathan Harker et Ellen redevient Nina (Mina dans le roman !!). Le marchand de biens Knock redevient l'agent immobilier Renfield, l'armateur Harding redevient Westenra et sa femme Annie redevient Lucy. Et surtout le comte Orlok redevient Dracula.
Le très célèbre carton français "Quand il eut dépassé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre" est la traduction poétisée de : "Dès qu'Hutter eut franchit le pont, ses craintes qu'il m'avait confiées, ne tardèrent pas à se matérialiser."
La version française est en noir et blanc alors que la version allemande est dorénavant généralement teintée selon les indications de Murnau. On comprend le soucis du réalisateur et du producteur de l'époque de gagner des spectateurs en proposant une version colorisée. Néanmoins, les changement de teintes sont souvent extrêmement naifs et brouillent la perception du film. De plus la colorisation atténue les contrastes et la profondeur de champ. Tout pareillement, les illustrations musicales réinterpretent souvent l'oeuvre avec une visée psychologique qui n'est pas celle de Murnau. On conseillera donc, pour les passages à la télévision, d'annuler la colorisation et de couper le son.
Une genèse enthousiaste et brouillonne
Albin Grau qui a réalisé les affiches de La marche dans la nuit, féru d'occultisme fonde en 1921 la Prana-Film et propose à Murnau la réalisation de Nosferatu.
Grau s'inspire du roman de Stoker et d'illustration de Hugo Steiner-Prag réalisées pour le roman de Meyrinks, Golem. Albin Grau réalise de très nombreux dessins pour chaque scène du film. Même le visage du vampire est tiré d'une illustration de Steiner-Prag et servira de base au maquillage de Max Schreck. Il confie à Henrik Galeen, auteur du scénario de Golem et membre des rose-croix, l'écriture du scénario de Nosferatu. C'est Albin Grau qui est à l'origine de l'épisode de l'araignée qui se nourrit de ses victimes et il partage avec Stoker cette vision du Vampire qui aspire la force et l'âme contenus dans le sang.
Grau, Murnau, Galeen et Spies s'inspirent des illustrations de mode ou des gravures de Georg Friedrich Kersting (Le lecteur élégant) pour les décors, de Hugo Steiner-Prag et de son portrait de Paracelse publié par Grau dans Saturn Gnosis, de Moritz von Schwind et des Gravure de Kaulbach. La lettre codée s'inspire de l'ordre des templiers orientaux de Grau et des codes rose-croix.
Nosferatu ne signifie pas vampire ou mort-vivant. L'origine du nom vient de l'ancien slave : "nosufur-atu", qui, lui-même, provient du grec "nosophoros" - littéralement celui qui apporte la peste.
Emportés par son enthousiasme, le producteur, persuadé de s'être suffisamment éloigné du roman, néglige de payer les droits d'adaptation. La veuve de Bram Stoker ne l'entend pas ainsi et intente un procès. Elle gagne et le jugement ordonne la destruction du négatif. Grau réussit néanmoins à vendre le négatif à la Deutsch Film Produktion et à sauvegarder quelques copies. Il dissout la Prana-Film et crée une nouvelle maison de production : la Pan.
Tournage en Allemagne et en Slovaquie.
Le film est tourné en grande partie à Lübeck dans les anciens greniers à sel de la ville et pour les extérieurs de la maison de Hutter. C'est devant l'église de Wismar (à 60 kilomètres de là ) et non devant celle toute proche de la maison de Hutter que passe Nosferatu lorsqu'il débarque.
C'est aussi dans le port de Wismar qu'aborde le Demeter. Le premier plan du film est également situé dans cette ville : L'église sainte Marie (disparue depuis qu'une bombe l'a détuite), filmée depuis la tour sainte Marie (elle toujours debout).
Pour les plans de mer c'est le Voilier Jürgen qui est remorqué du port de Wismar à l'île de Poel alors que c'est à List, sur l'île de Sylt, que sont tournée les scènes de plage.
Les scènes des Carpates ont été tournées en Slovaquie. Les montagnes sont celles des Tatras à Poprad près de la frontière polonaise. Les extérieurs sont tournés à 20 kilomètres de Dolny Kubin, à Vratna Dolina. Le cocher est habillé de blanc pour que, lors de la projection du négatif, il apparaisse en noir. Murnau choisit l'extraordinaire château de Oravsky Podzamok.
Ce sont les ruines du château Trenciansky qui sont utilisées pour le dernier plan, totalement improvisé.
Source documentaire : supplément sur le DVD mK2.
Editeur : Mk2, octobre 2007. DVD 1 Le
film 1h35. Format image : 1.33. Muet sous-titré.
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Suppléments sur DVD 2 :
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