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Serre moi fort

2021

Cannes 2021 : Cannes premières D'après la pièce Je reviens de loin de Claudine Galea. Avec : Vicky Krieps (Clarisse), Arieh Worthalter (Marc), Anne-Sophie Bowen-Chatet (Lucie enfant), Sacha Ardilly (Paul enfant), Juliette Benveniste (Lucie adolescente), Aurèle Grzesik (Paul adolescent). 1h37.

 Ganties, près de Saint Gaudens, au pied des pyrénéens. Clarisse s'énerve en jouant au Memory avec ses polaroids : elle n'arrive pas à en assembler deux suffisamment proches. Elle se prépare à quitter la maison au petit matin ; son mari et ses enfants dorment encore.

Dans sa voiture, Clarisse écoute une cassette où sa fille, Lucie, joue du piano. Comme elle le faisait sans doute, elle ne cesse de l'encourager. Elle imagine ses enfants se levant. Ils trouvent une liste de courses plutôt mystérieuse à la place de leur mère ou bien deux paquets de céréales entamés disposés sur la table. Clarisse fait une halte dans la station service de son amie qui ouvre à peine ses portes. Son amie l’enlace compatissante et l'encourage à partir après l'événement survenu il y a deux mois.

Sur la route, Clarisse s'imagine recevoir l'appel de sa fille lui demandant de leur raconter une histoire qui tienne debout et lui promet de laisser la porte ouverte pour qu'elle vienne discrètement rassurer son petit frère, Paul. Dans la famille on s'inquiet de plus en plus de sa disparition, les gendarmes sont mobilisés.

Clarisse ne s'attarde pas sur un balcon donnant sur la mer, près de Rochefort. Elle boit dans un bar se disant que Marc s'habitue à sa disparition après une semaine, un mois, six mois. Elle enlace un client. Sur le port, elle traduit le fonctionnement d'un vieux bateau pour des touristes allemands. Elle s'en prend à l'un deux qui se montre un peu trop autoritaire vis-à vis de son jeune fils un peu turbulent.

Saoule, Clarisse s'écroule dans l'étal d’un marché au petit matin la tête dans la glace du stand d’un poissonnier, elle se souvient de la station de saint Gaudens où inquiète de la disparition de son mari et de ses enfants, elle avait alerté les gendarmes de montagne. La trace des pas de sa famille s'arrêtait juste avant la grande trainée de l'avalanche qui les avait si bien ensevelis que les corps ne referaient pas surface avant le printemps.

Puis Clarisse rentre chez elle. A une amie elle dit qu'elle pense à sa famille trop tendrement alors que bien des fois elle a rêvé de partir. Mais rien n'y fait cette jeune fille qui sort de l'école ce pourrait être Lucie et "Lucie" joue si bien le Kyrie de la Petite messe solennelle de Gioachino Rossini

Au printemps, Clarisse revient au chalet où la famille avait l'habitude de louer la grande chambre familiale pour le ski. La propriétaire souffre pour elle de sa demande de disposer quatre bols à sa table pour le petit déjeuner du lendemain. Le soir Clarisse se souvient d'avoir fait l'amour avec Marc en cachette des enfants dans cette chambre.

Clarisse se souvient elle avait rencontré un flutiste qui regardait un reportage réalisé par la fille de Martha Argerich sur sa mère pianiste. Sa fille assurément serait devenue une pianiste à laquelle sa professeure aurait proposé le concours du conservatoire de Paris. Une autre fois elle était revenu devant la maison: Paul et sa sœur se disputaient l'une dans sa chambre répétant au piano et l'autre dans sa cabane; Il avait brulé le journal de sœur, elle avait déchiré ses dessins. Plus rien n'allait. Le train de "Lucie" pour Paris, c'était la rame du train que construisait son mari mais celui-ci avait quitté l'entreprise. Le jour du concours du conservatoire; Clarisse suit "Lucie" dans la salle pour l’audition ce qui bloque la jeune fille. Les parents de celle-ci l'insultent et la menacent de prévenir la police pour harcellent. Plus tard elle avait trouve la vraie famille de Paul à la patinoire: la glaceuse transformait la glace en eau.

Au printemps, Clarisse revient au chalet. Elle prend son petit-déjeuner à la table de quatre ce qui irrite la propriétaire. Les secouristes rament les corps, Clarisse crie sa rage et sa douleur.

Clarisse joue de nouveau au Memory avec un peu plus de réussite qu'auparavant. Un agent immobilier vient prendre les mesures pour vendre la maison. Clarisse part en voiture et la Gavotte de Rameau qu'elle écoute à la radio dit qu'elle pourra se reconstruire.

Le pitch "Ça semble être l’histoire d’une femme qui s’en va", indique qu'il ne s'agira pas d'une femme qui abandonne sa famille pour une autre vie. Est-ce donc une femme qui fait face courageusement à la mort de sa famille et fait un voyage en attendant le printemps que les corps ensevelis sous la neige effleurent à la surface? Ou bien, face au même événement tragique, est-ce une femme qui n'est jamais partie et imagine tout en attendant le printemps pour faire son deuil ? Mathieu Amalric aimerait laisser ouvertes toutes ces portes et nous entrainer dans un ensemble d'incertitudes pour nous faire aimer une femme qui agit pour échapper au malheur.

Dès lors, rien n'arrive vraiment entre les deux séquences de la partie de Memory. Non seulement, le jeu cousu de fil blanc ou d'indices est laborieux mais on peine à être ému par le seul parcours psychique du personnage qui s'imagine communiquer avec sa fille par sa supposée passion pour le piano. Le cliché du parent qui reporte ses rêves de réussite sur son enfant est bien banal. Il est toutefois soutenu par de beaux choix musicaux; c'est le meilleur du film.

Logique de l'imaginaire

Très vite est indiqué que certaines séquences sont vues par l'imaginaire de Clarisse. Le piano continue de jouer alors que Lucie en a rabattu le cylindre. Une fermeture de porte vient en rappeler une autre en flash-back. Sur le stand du poissonnier, Clarisse se met le visage dans la glace après avoir disposé les ardoises de prix comme autant de croix sur des tombes recouvertes de neige et vient alors la séquence de la recherche après l'avalanche. Transition de Lucie vers l'adolescence quand elle se met à ressembler à Martha Argerich. Flash-back sur la rencontre amoureuse dans la boite de nuit puis scène d'amour dans la chambre de l'hôtel.

Cependant, le poids du tragique qui est annoncé au tiers du film et la confirmation de la découverte des corps avant l'épilogue persuadent le spectateur que le film décrit bien le processus imaginaire par lequel une femme fait face à la mort de sa famille.

Si l'on peut imaginer que Clarisse n'est jamais partie en voyage, il est plus simple de croire que l'amie de la station service sait ce qui s’est passé il y a deux mois et compatie à la douleur de Clarisse. Pareillement existent sans doute réellement le bar de Rochefort, son bateau sur le port avec els touristes, son marché au poisson du petit matin son immeuble avec balcon donnant sur la mer. Plus irréelles sont les séquences encadrées par les deux scènes du petit-déjeuner au printemps dans le chalet. Clarisse change de stratégie, n'imagine plus sa famille sans elle mais Lucie sur le chemin de la gloire pianistique

Rôle de la musique

Le titre du film provient de la chanson "La nage indienne" d’Etienne Daho. Le refrain initial "Serre-moi fort. Si ton corps se fait plus léger, nous pourrons nous sauver" devient "Serre moins fort. Si ton cœur se fait plus léger, je pourrai me sauver". Ce qui traduit à la fois la force de l’amour initial puis la nécessité de s’en défaire pour survivre à la disparition de Marc. Cette chanson devait être celle de la boite de nuit vue en flash-back par Clarisse lorsqu'elle dégage la neige de la vitre avant de la voiture. Le réalisateur a toutefois trouvé que pour cette séquence de coup de foudre une musique avec moins de paroles était préférable. La première version du titre "Serre moi(ns) fort" n’y a pas survécu mais si la parenthèse a sauté le trait d’union aussi. Le titre est ainsi composé de trois mots isolés : Serre moi fort.

La progression des morceaux musicaux, d'abord classiquement harmonieux puis plus modernes jouant de la dissonance suit le parcours de Clarisse qui tient de plus en plus difficilement sa solution pour faire son deuil. Enfant, Lucie joue la Lettre à Elise et la Sonate pour piano n°1 de Beethoven, l'Etude n°1 pour les cinq doigts de Debussy. Découverte adolescente "Lucie" joue le kyrie de la Petite messe solennelle de Gidachino Rossini avant d'aller vers la Musica Ricercata n°1 de Ligeti avec sa même note, le La, répétée de plus en plus sauvagement en passant par le Kleine Klavierstücke n°3 d'Arnold Schönberg et le Quatuor pour la fin du temps d'Olivier Messiaen. La Sonate n°16 en do majeur de Mozart, la Valse n°1 et le Concerto n°1 en mi mineur de Chopin ainsi que le Concerto en Sol" ou le Ondine du Gaspard de la nuit de Ravel viennent aussi exprimer le parcours de Clarisse qui se termine légèrement avec les Gavottes de Rameau.

Amalric avait su jusqu’ici magnifiquement incarner des personnages navigants entre deux mondes. Il réduit ici le champ d'action de Clarisse à son imaginaire et l'enferme ainsi dans une bulle qui nous la met trop à distance. Il y a toutefois une grande originalité à faire vivre un personnage dans son seul imaginaire sans révéler in fine qu'il est mort (Yella, Le sixième sens, Mulholland drive) pour, au contraire, le faire repartir à nouveau.

Jean-Luc Lacuve le 23/05/2014.

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