Lorsqu'un metteur en scène décide de faire mourir un enfant, il sait qu'il accomplit un geste grave.
La mort des enfants n'a d'abord été représentée, "acceptée", que lorsqu'elle était pratiquée par des sociétés archaïques (Carthage dans Cabiria, Babylone dans Intolérance ou même par Dieu le père qui tue tous les premiers nés innocents dans Les dix commandements). C'est ce même droit au sacrifice que revendique probablement Lars von Trier lorsqu'il fait exécuter un bébé sous les yeux de sa mère à la fin de Dogville.
En partie pour des raisons personnelles, son fils Romano était mort pendant son absence, c'est Rossellini qui le premier fit mourir un enfant dans le cinéma moderne avec pour but d'en explorer les causes et les conséquences. Ainsi dans Allemagne année zéro, la mort d'un enfant est l'acte scandaleux par excellence, celui qui sanctionne les pires crimes : la confusion des valeurs, l'absence de Dieu. Dans Europe 51, pour survivre à la mort de son enfant, la mère ne trouvera d'autre solution que de s'enfermer dans un couvent. Même drame sulpicien dans La source (Bergman, 1959) : l'enfant, qui a assisté au viol et au meutre de Karin accompli par ses deux frères, sera tué par le père de la jeune fille. "L'homme religieux" de la maison viendra le préparer à cette mort en lui expliquant par de longues et belles métaphores qu'il sera ainsi sauvé de l'enfer. Le père, comme pénitence, promet de bâtir une église : il sera pardonné de sa vengeance, la source jaillira sur le lieu de la mort de sa fille et de la future église.
Depuis, les cinéastes ont continué d'explorer les conséquences douloureuses de la mort des enfants. Dans l'Incompris, Luigi Comencini mettra en scène un père qui, trop absorbé par les jeux sociaux, ne comprend son fils qu'au moment où il meurt, victime d'un accident provoqué par son isolement. Dans le premier épisode de Short-cuts de Altman, l'enfant aurait pu ressouder les générations ; sa mort conduit à la séparation. Dans De beaux lendemains, Egoyan montre qu'il peut y avoir pire sans doute que la mort des enfants, l'incompréhension et la séparation (pour l'avocat) ou l'inceste (subi par la survivante de l'accident).
Quelques cinéastes se sont éloignés du mélodrame pour montrer qu'il est possible de survivre à la mort d'un enfant. Dans Volte-face de John Woo, tout est possible : même de retrouver un fils mort, à l'identique, grâce aux criminels que l'on a combattu. Cette croyance dans la transmission se retrouve dans le film de Almodovar, Tout sur ma mère où un enfant mort est remplacé par un nouveau-né, transmis par une amie décédée. Dans La villa (Robert Guédiguian, 2017) Angèle, qui a perdu sa fille de huit ans vingt ans auparavant vient régler la succession de son père et trouve un nouvel amour et de nouveaux enfants, des jeunes migrants sans parents, à s'occuper.
Dans La chambre du fils, Moretti, probablement angoissé par le départ futur de son propre fils, construit une métaphore sur le départ de l'enfant de la famille. Il construit l'image d'une famille idéale, puis dans la seconde partie, il sacrifie le meilleur de la famille, le fils, pour se confronter au réel et vérifier que le Verbe ne suffit plus et qu'il convient d'agir. Moretti sacrifie ainsi délibérément un fils, pour passer de l'état de paradis à celui d'une humanité imparfaite. Tel Dieu le Père, il laisse mourir son fils préféré. Giovanni, le père, préfère, dans les photos de sa chambre prises par Andrea, celle où il est plié sous le bureau. Cette posture, de même que la chambre elle-même dans la maison, évoquent une possible prison dans laquelle un père trop possessif voudrait maintenir son fils. De même que la mort du fils dans la caverne évoque le piège du Minotaure. Il est probable que la piste proposée par Moretti est d'accepter la mort (du moins celle symbolique consistant au départ de la maison) de l'enfant, de s'affranchir du passé et de la mauvaise conscience pour agir en suivant le fil d'Ariane des amours de ses enfants, de leur nouvelle vie sans leurs parents.
Avec L'Innocent Visconti, montre qu'il n'est nulle bonne cause, même l'amour, qui peut accepter pour elle, le sacrifice d'un enfant.
Films avec mort d'enfant :
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Un soupçon d'amour | Paul Vecchiali | France | 2020 |
First man | Damien Chazelle | U. S. A. | 2018 |
La villa | Robert Guédiguian | France | 2017 |
Moka | Frédéric Mermoud | Suisse | 2016 |
Manchester by the sea | Kenneth Lonergan | U.S.A | 2016 |
Rêve et silence | Jaime Rosales | Espagne | 2012 |
Bons Baisers de Bruges | Martin McDonagh | Irlande | 2011 |
Dogville | Lars von Trier | Danemark | 2002 |
La chambre du fils | Nanni Moretti | Italie | 2001 |
Tout sur ma mère | Pedro Almodovar | Espagne | 1999 |
Volte face | John Woo | U. S. A. | 1997 |
De beaux lendemains | Atom Egoyan | Canada | 1997 |
Short-cuts | Robert Altman | U. S. A. | 1994 |
L'innocent | Luchino Visconti | Italie | 1976 |
Que la bête meure | Claude Chabrol | France | 1969 |
L'incompris | Luigi Comencini | Italie | 1967 |
La source | Ingmar Bergman | Suède | 1959 |
Les dix commandements | Cecil B. DeMille | U. S. A. | 1956 |
Europe 51 | Roberto Rosselini | Italie | 1951 |
Allemagne année zéro | Roberto Rosselini | Italie | 1946 |
Les dix commandements | Cecil B. DeMille | U. S. A. | 1923 |
Intolérance | David Wark Griffith | U.S.A. | 1916 |
Cabiria | Giovanni Pastrone | Italie | 1914 |