Rembrandt van Rijn, 1648 etching, h 160mm × w 130mm
Bien qu'il puisse sembler étrange que Rembrandt porte un chapeau à l'intérieur de la maison, celui-ci faisait en réalité partie de ses vêtements de travail en atelier.
Réalisé neuf ans après Rembrandt appuyé sur un rebord de pierre, il s'agit là de l'ultime grand autoportrait gravé de Rembrandt. Le contraste entre les deux œuvres est radical. Au lieu de se représenter dans une pose de grand seigneur afin d'impressionner le spectateur, il s'est placé dans son atelier, devant un miroir, en tenue de travail et il a gravé sur le cuivre ce qu'il voyait, de la manière la plus simple et la plus réaliste : un artiste en train de dessiner sur la planche ou sur le papier. Ce portrait permet de pénétrer au plus profond de son être. Son véritable but n'est pas de faire une œuvre d'art à visée commerciale, mais plutôt un exercice de réflexion et d'introspection. Rembrandt s'assied face à un miroir, il scrute son visage, celui d'un homme encore jeune (il est, à l'époque, âgé de quarante-deux ans), mais dont le regard et la bouche sont empreints de tristesse.
Du moins apparaît-il ainsi dans les épreuves que l'on conserve du 1er état, car à partir du 2e, l'image est modifiée en vue de sa diffusion. Le portrait n'est plus uniquement destiné à son auteur, il est également pour le public : le regard devient plus intense, la bouche est fermée, volontaire. C'est là un portrait impressionnant par sa sobriété. Seule importe l'expression du visage, reflet sans doute des douloureux changements survenus dans son existence. Saskia est morte, il a un fils en bas âge ; deux autres femmes, Geertje Dirckx et Hendrickje Stoffels, s'occupent de l'enfant et jouent un rôle important dans sa propre vie. Financièrement, il est encore à l'aise, mais l'heure n'est plus au triomphe.
Ce portrait est la représentation usuelle d'un homme d'études (écrivain, humaniste, sage, saint) en train d'écrire ou de lire dans son cabinet de travail, comme l'Érasme de Dürer. Ainsi Rembrandt met en parallèle l'acte de dessiner ou graver et celui d'écrire, activités intellectuelles l'une et l'autre.
Avant la signature et la date. Seule la gravure du visage est vraiment achevée ; le corps, les mains et les papiers sur la table ne sont qu'esquissés. Les épaules et les plis de la veste ont été rehaussés à la pointe sèche très intense. On remarque le tracé antérieur, en partie effacé sous la main droite.
L'analyse des épreuves des différents états permet de suivre pas à pas le travail de Rembrandt sur la planche. Dans les épreuves du 1er état, dont ne sont conservés que de rares exemplaires, on voit comment il a modelé le visage par des tailles si délicates qu'elles sont à peine visibles, suffisantes toutefois pour permettre de jouer avec l'intensité des nuances. C'est aux tonalités et non pas aux lignes que l'on doit ce visage à la peau veloutée, marqué de petits bourrelets qui semblent onduler. La composition générale du portrait montre quatre plans nettement contrastés en fonction de l'intensité de la lumière : la fenêtre, par laquelle pénètre une clarté très vive ; le premier plan de la table sur laquelle est posé le livre qui lui sert de pupitre et la planche sur laquelle il grave, ou le papier sur lequel il dessine, fortement éclairés ; le corps de Rembrandt et, en dernier, le fond très obscur de la pièce, qui crée l'atmosphère et la profondeur. Avec la pointe sèche, il donne du volume aux formes, détachant la figure du fond, et, à l'aide de tailles très audacieuses sur les manches et les épaules, modèle le haut du buste. Dans cette épreuve, on apprécie nettement la différence entre les traits que la morsure de l'eau-forte laisse sur la planche et ceux, plus larges et veloutés, obtenus grâce à l'encre accumulée dans les « barbes » qui se forment par l'attaque directe du métal avec la pointe sèche.
Au 2e état, l'artiste a renforcé l'image entière par de nouvelles tailles. Les différentes techniques qu'il a employées (ajoutant aux précédentes des traits de burin sur le cou et la chemise) sont combinées et entremêlées de façon si experte qu'on a peine à les distinguer les unes des autres, à l'exception des tracés à la pointe sèche, qu'il a brunis avec soin de façon à ne laisser que quelques lignes fines indiquant les plis de sa robe de chambre. En obscurcissant le fond de la pièce, il permet à la figure de mieux se détacher et de gagner en consistance. Le changement le plus évident, en ce qui concerne le visage de Rembrandt, réside dans le regard et dans les lèvres, qu'il serre maintenant avec force, substituant un air plus décidé et plus réfléchi à l'expression de tristesse résignée qui caractérisait le 1er état.
Dans l'élaboration de ce 2e état, le vernis qui protégeait la planche a dû se fendiller par endroits et, quand il l'a trempée dans l'acide, celui-ci l'a pénétrée par les fentes, corrodant le métal et produisant de petits traits irréguliers, que l'on aperçoit nettement à l'emplacement, très blanc, de la fenêtre. Il s'agit là du meilleur état de la planche, que Rembrandt signe et date.
Les deux épreuves du 2e état conservées à la Bibliothèque nationale de France, tirées l'une sur papier européen et l'autre sur papier japon, prouvent l'intérêt de Rembrandt pour les divers effets qu'il pouvait obtenir en imprimant la même planche sur des papiers de texture et de couleur différentes. La première accentue la lumière qui entre par la fenêtre, éclairant les mains et le visage de l'artiste, ainsi que l'ouvrage auquel il est occupé ; l'épreuve sur papier japon doré accentue la pénombre qui enveloppe le sujet et, du même coup, l'impression de tristesse. L'état de la planche est le même, et pourtant les deux épreuves paraissent différentes.
Au 3e état, l'artiste a continué de couvrir toute la planche de tailles extrêmement fines, obscurcissant surtout la tête. Bien que la lumière pénétrant par la fenêtre soit la même, on croirait que Rembrandt est plongé dans l'obscurité de la pièce.
Au 4e état, l'artiste a fortement retouché la fenêtre, obscurcissant l'encadrement pour mieux le distinguer de l'extérieur, où apparaît maintenant un paysage gravé - afin de dissimuler les accidents dus aux craquelures du vernis survenues au 2e état. Le paysage, à peine esquissé, adoucit le côté dramatique que conférait à l'estampe la tache de lumière à laquelle il se substitue. L'artiste a modifié le dos du livre, gravant des nerfs sur la reliure. Il a également insisté davantage sur le costume de l'artiste ainsi que sur la feuille (ou la planche) sur laquelle il travaille. La joue droite a perdu de sa rondeur. De plus en plus s'accrédite l'idée que les états postérieurs au 3e ne sont plus de Rembrandt. Au 18e siècle, les nombreux tirages ayant contribué à la détérioration de la planche, Watelet la retoucha soigneusement à l'eau-forte et à la pointe sèche jusqu'à ce qu'elle retrouve, en apparence, la fraîcheur des premiers états. Toutefois, une étude attentive montre que les yeux, trop bien soulignés, sont très différents de ceux gravés par Rembrandt et que la joue droite est moins grasse.
Il s'agit là d'un des meilleurs
autoportraits d'artiste jamais gravés. C'est l'exemple même de la gravure atteignant un degré de perfection proche de la peinture, grâce au talent d'un artiste de génie.
Source : Bibliothèque nationale de France