La pièce aux cent florins

D’après la tradition, La Pièce aux cent florins doit son nom au fait que Rembrandt, collectionneur d’estampes, l’échangea contre plusieurs pièces du graveur Marcantonio Raimondi pour une valeur totale de cent florins. L’achat par Eugène Dutuit de cette pièce rare du premier état « avant les contre-tailles sur le cou de l’âne », au prix exceptionnel de 27 500 francs, a été pour lui une source de satisfaction et de grande fierté.

Eugène Dutuit est connu pour faire des achats spectaculaires. Il acquiert cette œuvre remarquable lors d'une vente à Londres. Le marchand d’estampes Louis Jean Eugène Clément (1818-1886) lui écrit le 19 mai 1868 : « Je viens de la vente où j’ai acheté pour vous le premier état de La Pièce aux cent florins. Malgré ce que nous étions convenus de faire, je n’ai pu l’avoir à moins de 27 500 francs. C’est cependant encore 2000 francs de moins que la première fois. J’avais espéré faire mieux, mais elle a été poussée par un marchand de Vienne qui est arrivé hier soir. » À titre de comparaison, le salaire annuel d’un ménage d’ouvriers parisiens s’élevait alors à 1 964 francs. La Pièce aux cent florins a ainsi défrayé la chronique et son prix l’a élevée au rang de mythe.

Dans son Manuel de l’amateur d’estampes, Eugène Dutuit précise que seules huit épreuves de cet état ont été conservées. Son exemplaire se distingue par ses grandes marges et son pedigree : elle avait été offerte par Rembrandt à son ami Jan Pietersz. Zoomer. Cette estampe représentant Jésus guérissant les malades est considérée comme l’un des chefs-d’œuvre de Rembrandt, notamment pour sa compréhension du clair-obscur en tant que langage à part entière. Ce procédé caractéristique de l’artiste est ainsi décrit par Eugène Dutuit : "L’une des parties, très travaillée, est presque dans l’ombre, et l’autre, presque sans travaux, resplendit de la plus vive lumière".