Le tableau est le fruit d'une lente maturation dont on trouve trace avec l'angoissante Soirée sur l’avenue Karl Johan (1892) et, surtout la première version de Désespoir (1892).
Désespoir
1892 |
Le cri
1893 Musée national |
Le cri
1893 Musée Munch |
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Anxiété
1894 |
Désespoir
1894 |
Cette première version de Désespoir est décrite par Munch dans l'une des nombreuses versions d'une prose lyrique associée au motif du cri : "Un soir, je marchais suivant un chemin. D'un côté se trouvait la ville, et en-dessous de moi, le fjord. J'étais fatigué, malade- Je me suis arrêté pour regarder vers le fjord- le soleil se couchait- Les nuages étaient teintés en rouge, comme du sang. J'ai senti passer un cri dans la nature ; il m'a semblé que je pouvais entendre le cri. J'ai peint ce tableau -peint les nuages comme du véritable sang. Les couleurs hurlaient. C'est devenu le tableau Le Cri pour la Frise de la vie".
Dans son journal, à la date du 22 janvier 1892, Munch écrit ce qui deviendra la description canonique du tableau.. sujette aux variations de traduction :
Jeg gik bortover veien med to venner – solen gik ned – Jeg følte som et pust av vemod – Himmelen ble plutselig blodig rød – Jeg stanset, lænede meg til gjerdet mat til døden – så ut over de flammende skyerne som blod og sværd over den blåsvarte fjord og by – Mine venner gik videre – jeg sto der skjælvende av angst – og følte et stort uendelig skrik gjennom naturen.
"Je me promenais sur un sentier avec deux amis.
Le soleil se couchait. Tout à coup, le ciel est devenu rouge
sang. Je me suis arrêté, épuisé me suis appuyé
sur une clôture, il y avait du sang et des langues de feu au-dessus
du fjord bleu-noir et de la ville. Mes amis ont continué, et
je suis resté là, tremblant de peur. J'ai senti un cri
infini qui passait à travers l'univers."
ou
"Je marchais le long d'un chemin avec deux amis. Le soleil se couchait. Soudain le ciel devint rouge sang. Je m'arrêtais, me sentant épuisé et je me penchais sur la rambarde. Il y avait du sang et des langues de feu au-dessus du fjord bleu-noir et la ville Mes amis marchait, et je me tenais là, tremblant d'anxiété. Et j'ai senti la nature traversée par un long cri infini."
ou
"Je marchais le long d'un chemin avec deux amis. Soudain le soleil se coucha. Je le ressentis comme un soupir mélancolique. Le ciel devint tout à coup rouge couleur de sang. Je m'arrêtai, et épuisé à mort m'adossai contre une barrière. Je vis le ciel enflammé, le fjord et la ville étaient inondés de sang et ravagés par des langues de feu. Mes amis poursuivirent leur chemin, je tremblais d'angoisse. Et je sentis la nature traversée par un long cri infini".
Dans sa description de Désespoir ou du Cri, Munch est très clair : le personnage se bouche les oreilles pour se protéger d’un cri extérieur. On ainsi souvent tort de voir dans le tableau un personnage qui crie. Le personnage serait bien davantage le symbole de l'homme moderne pour qui Dieu est mort et qui se trouve angoissé tournant le dos aux humains (les deux silhouettes qui s'éloignent), aux deux bateaux et au clocher de l'église tout à gauche.
Les couleurs employées sont naturelles : eau bleue, terre brune, végétation verte et ciel rouge. La disposition par bandes, qui donne à la composition son intensité et son mouvement tourbillonnant pour en faire un tout, peut évoquer la visualisation d'ondes sonores ou à une extériorisation de forces et d'énergies comme la célèbre Nuit étoilée (Van Gogh, 1889).
Ne peut avoir été peint que par un fou
« L’inscription est sans aucun doute de Munch », a affirmé la curatrice Mai Britt Guleng dans un communiqué diffusé lundi 22 février 2021 par le musée.
Rédigés au crayon de bois dans le coin gauche en haut de la toile iconique, devenue un symbole de l’angoisse existentielle, les quelques mots en norvégien ont longtemps nourri les conjectures sur l’identité de leur auteur.
La théorie dominante jusqu’à présent voulait qu’ils aient été le legs d’un spectateur indigné, au tournant du XXe siècle, par l’œuvre. Mais un examen par thermographie infrarouge, effectué par le Musée national de la Norvège qui possède la version concernée du Cri dans ses collections, a débouché sur une autre conclusion.
« L’écriture elle-même, ainsi que les événements qui se sont produits en 1895 lorsque Munch a montré le tableau en Norvège pour la première fois, pointent tous dans la même direction », a-t-elle ajouté. Selon la conservatrice, il semblerait que cette remarque étrange fait écho à une injure qu'un étudiant en médecine, Johan Scharffenberg, aurait lancée à Munch lors de la première exposition de l'œuvre, en 1895 dans la galerie Blomqvist d'Oslo – qui s’appelait alors Kristiania –. Les critiques avaient fusé à l'occasion et Scharffenberg ne fut pas le seul à taxer l'artiste de folie ce qui, selon Mme Guleng, conduisit sans doute celui-ci à griffonner sur le tableau.
Jean-Luc lacuve le 24/11/2013.