Un jour de pluie, un homme assiste aux derniers instants d'une courtisane déchue, rongée par la tuberculose. Il se souvient. Il était alors apprenti tailleur et était chargé de livrer une robe chez cette courtisane. Mécontente de la robe, elle lui affirma que coudre une robe qui enveloppe le corps des femmes implique de savoir les aimer. Elle le caressa jusqu'à une jouissance dont il se souviendra toujours. L'apprenti couturier devient le meilleur artisan de son patron et livra toutes les robes de la courtisane dont il devient un familier. Il suivit ainsi la lente et certaine déchéance de celle-ci. Il lui racheta secrètement les robes qu'elle était contrainte de vendre pour survivre. Mais abandonnée de tous ses amants et clients successifs, elle ne pouvait que mourir, lui laissant peut-être une chance d'aimer une autre femme.
Dans les trois moyens-métrages de Eros, chacun des cinéastes travaille ses thèmes de prédilections : la distinction entre ce que peut le corps et ce que veut le cerveau pour Antonioni, le travail de l'inconscient pour Soderbergh, et la sublimation de l'amour pour Wong Kar-wai.
Wong Kar-wai reprend la thématique de l'amour sublimé pour échapper à la banalité et au temps, assez proche de In the mood for love dont on retrouve également la fascination pour les robes et les jours de pluie.
Réussite exceptionnelle dans le traitement du temps qui passe détruisant toute chose sauf la permanence de l'amour. Utilisation pour cela de motifs récurrents : la pluie, les entrées d'immeuble, les robes, les seconds rôles du patron et de la servante, figées dans leur attitude sciemment caricaturale et, bien sûr, de la main.
Jean-Luc Lacuve le 25/08/2005