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Only God forgives

2013

Genre : Film noir

Avec : Ryan Gosling (Julian), Kristin Scott Thomas (Crystal), Vithaya Pansringarm (Chang), Rhatha Phongam (Maï), Byron Gibson (Byron), Tom Burke (Billy). 1h30.

À Bangkok, Julian dirige avec Billy, son frère ainé, un club de boxe thaïlandaise servant de couverture à un trafic de drogue. Billy décide de faire "un tour en enfer" et s'en va demander au patron d'un bordel de coucher avec une fillette de 14 ans. Celui-ci ayant refusé, Billy monte dans une chambre d'hôtel avec une jeune prostituée. Pendant ce temps, Julian se voit dans une chambre avec une femme qui lui lie les mains sur un fauteuil puis se masturbe devant lui. Mais Julian est-il bien dans cette chambre ou n'est-ce qu'une vision ? Sortant d'une mystérieuse porte noire, il voit en effet apparaitre un vieux policier armé d'un sabre ... qui lui tranche le bras.

Plus tard, ce même policier, à la retraite, Chang, est appelé par ses jeunes collègues pour constater qu'une jeune prostituée baigne dans une mare de sang alors que, dans un coin, Billy est couvert de son sang. Chang fait venir le père de la prostituée et l'incite à se venger du meurtrier. Et c'est bien le corps défoncé à coup de bâton que Chang retrouve Billy un peu plus tard. Chang conduit ensuite le père de la prostituée dans un terrain vague, le met à genoux, et dégaine son sabre.

Le père de la prostituée n'est pas mort, Chang s'est contenté de l'amputer du bras avec lequel il a tué Billy. Mais Julian l'a repéré et s'apprête à le tuer, y renonçant toutefois lorsque l'homme explique les circonstances qui l'ont amenée à tuer Billy.

Crystal, la mère de Julian et Billy, chef d'une vaste organisation criminelle, débarque des États-Unis afin de rapatrier le corps de son fils ainé. Elle demande à Julian de venger son frère mais celui-ci refuse déclarant que la situation n'est pas aussi simple qu'elle le croit. Julian présente son amie, Maï, la femme de ses fantasmes, à sa mère qui la méprise ouvertement et se répand en propos aigres sur son fils. Elle révèle au passage qu'elle est la mère incestueuse d'enfants dealers de drogue et que ses fils ont dû fuir en Thaïlande après le meurtre du père qu'elle a probablement commandité.

Crystal demande alors à Byron d'assurer sa vengeance. Celui-ci fait égorger le père de la prostituée par un combattant thaï qu'il s'empresse de faire partir à l'étranger. Chang interroge Julian mais comprend vite qu'il n'y est pour rien. Byron recrute ensuite des tueurs pour assassiner Chang mais celui-ci échappe à l'attentat, retrouve Byron et le torture jusqu'à ce qu'il avoue que Crystal a commandité son meurtre.

Chang rencontre à nouveau Julian auquel il inflige une correction dans un combat de boxe thaï. Crystal est terrorisée et demande la protection de Julian contre Chang. A contrecœur, celui-ci s'y résout et s'en va tendre un piège dans la demeure du policer. Son complice abat la jeune femme qui ramenait la fillette du policier de l'école mais il est tué par Julian qui refuse qu'il tue la petite fille. Pendant ce temps, Chang est allé chez Crystal pour la tuer d'un coup de sabre dans la gorge. Lorsque Julian la retrouve agonisante, il lui ouvre le ventre et va y triturer les entrailles desquelles il est né.

Julian se voit acceptant la punition de Chang : avoir les deux bras coupés. C'est ce qu'il souhaite.

Only god forgives est moins un film mental, même si l'on retrouve trace du Shining de Kubrick, qu'un film naturaliste dans la ligné de Twin peaks et Blue velvet. Le monde originaire où s'affrontent de toute éternité le bien et le mal, l'enfer et les étoiles ressurgit sous forme de pulsions dans le monde dérivé d'aujourd'hui y laissant les symptômes de son éternelle présence et cherchant à s'approprier les fétiches de sa puissance.

Bangkok, monde originaire des pulsions violentes

Le milieu décrit est celui d'un homme cherchant refuge dans les différentes pièces de son gymnase de boxe alors que les symptômes de la présence du monde originaire, selon la terminologie de Gilles Deleuze, sont les rues de Bangkok lorsqu'elles sont vues au travers des yeux des deux frères : Billy lorsqu'il cherche une prostituée mineure et Julian lorsqu'il cherche Chang.

Les fétiches, les morceaux arrachés au monde dérivé, ce sont les bras des meurtriers que Chang s'empresse de découper pour les faire rejoindre le monde original de la pourriture. La séquence de torture que Chang fait subir à Byron est stylisée d'une part par les moyens employés, des objets plus ou moins perçants et par la phrase introductive "Vous, mesdames, fermez les yeux et vous, messieurs, regardez bien", appel aux différentes postures du spectateur devant ces images. Leur cruauté n'a d'égale que le soyeux de l'écrin qui les entoure. Les fétiches ce sont alors les parties du corps de Byron qui perd son adaptation au monde dérivé (bras, jambes, yeux, oreilles) pour n'être plus qu'une masse sanglante tout comme l'avait été la jeune prostituée. Ultime et non des moindres fétiches, la matrice de Crystal que Julian triture comme vengeance de sa propre douleur d'être né.

De la pulsion physique à la pulsion mentale.

Julian, impuissant, car vraisemblablement contraint à l'inceste par sa mère et ayant participé au meurtre du père, ne rêve que d'une impuissance plus grande encore : avoir les bras coupés et, ainsi, ne plus commettre de meurtres et se contenter d'aimer les femmes de loin, comme des étoiles dans le ciel.

Le thème de la castration souhaitée de l'action est amorcé dès l'image d'ouverture du générique avec le sabre sortant du néant puis avec la vision de Chang sortant de la mystérieuse porte noire et coupant le bras de Julian avant même son apparition comme policier découvrant le meurtre de la prostituée. La fin du film se conclut sur une scène mi-réelle, mi-rêvée où Chang tranche les deux bras de Julian. Le mouvement des poings qui se serrent comme une inévitable crispation vers l'action redoutée, comme une convulsion, s'oppose aux mains liées qui permettent le déclanchement du fantasme sexuel avec Maï.

Chang répond donc à l'appel de Julian, il en est une autre incarnation. Tous les deux protègent les enfants alors que les deux chansons de Chang sont marquées par le souvenir et l'appel aux étoiles et sont comme une version présentable du traumatisme de Julian.

Le cinéma américain pouvait atteindre le naturalisme par ses actrices. Ava Gardner aux prises avec des pulsions qui l'entraînent irrésistiblement à s'unir à l'homme mort (Pandora, Les tueurs) ou impuissant (La comtesse aux pieds nus, Le soleil se lève aussi) ou Jennifer Jones dans Ruby Gentry où elle est la fille des marais qui poursuit sa vengeance et achève de détruire le milieu déjà épuisé de la ville et des hommes, et, dans Duel au soleil, où elle finit dans le sang, les rochers et la poussière. Dennis Hopper dans Blue Velvet atteignait au même repli dans la matrice féminine. Sa monstruosité trouve ici un écho avec l'interprétation de Kristin Scott Thomas alors que Ryan Gosling est, comme dans Drive, celui qui voudrait échapper à la contamination du mal, à l'effroyable appel du monde originaire.

Jean-Luc Lacuve le 25/05/2013.

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