Embrasse-moi, idiot

Dino donne son dernier récital à Las Vegas. Finie la chanson de charme dont il est las; et à peine le rideau tombé, il part pour Hollywood, là où les caméras l'attendent, à bord de sa superbe Dual Ghia. En route il est obligé, à cause d'une stupide déviation, de faire un détour par une petite ville au cœur du Nevada, Climax.

Le pompiste Barney Millsap, chez qui il remplit le réservoir de son bolide, le reconnaît tout de suite. Barney saute sur cette occasion unique de rencontrer le crooner pour lui montrer des chansons qu'il a écrites et dont la musique a été composée par Orville J. Spooner, le respectable professeur de musique de la bourgade. Inutile de dire que ses œuvres mémorables n'ont pas recueilli jusqu'ici le moindre succès.

Dino est tombé dans un vrai traquenard. Barney fait tout pour qu'il entende ses chefs-d'œuvre. Avec son acolyte de compositeur, ils n'hésitent pas à saboter son véhicule. Fatigué par ce remue-ménage, Dino passe la nuit à Climax. Hospitalité lui est offerte par, on l'aura deviné, Spooner. Ainsi a-t-il le temps de se délecter de ces fameux refrains.

Mais Spooner est jaloux, ayant peur que sa femme Zelda soit un peu trop sensible aux charmes incontestables du beau Dino. Il s’inquiète d'auntant plus quand il apprend que le chanteur doit avoir des relations sexuelles tous les soirs pour éviter de se réveiller avec un mal de tête. Soucieux d'accommoder Dino tout en protégeant son mariage, Orville provoque une dispute avec sa femme qui fuit en larmes. Lui et Barney s’arrangent alors pour que Polly the Pistol, une serveuse et prostituée dans un saloon à la périphérie de la ville appelée le Belly Button, se présente comme la femme d’Orville et satisfasse Dino.

Le soir après le dîner, Orville joue ses chansons pour Dino au piano et Polly demande l'une d'elles en particulier. Elle sait qu'il a écrite pour sa femme qaund il l'a demandé en mariage. Ce faisant, Orville perd le contrôle de ses émotions, à l'instar de Polly, qui est un peu à peu tombée sous el charme d'une vie conjugale qu'elle n'a jamais connue. Sous l'influence du vin et de la musique, Orville en vient à se comporter comme si Polly était sa femme et met un Dino trop entreprenant à la porte. Il passe ensuite la nuit avec Polly.

Dino cherche refuge au Belly Button où Zelda était allée plus tôt pour noyer son chagrin. Quand elle est devenue saoule et tapageuse, le directeur l'avait déposée dans la caravane de Polly pour dormir. Entendant parler des talents de Polly the Pistol et se déclarant impatient de "tirer des coups avec elle", Dino se rend à la caravane et trouve Zelda sur place et la confond avec Polly. Fan de longue date, elle succombe aux charmes de Dino et lui permet de la séduire, le persuadant en même temps, à quel point les chansons d'Orville seraient parfaites pour lui.

Zelda rencontre Polly le lendemain matin et comprend le tour que lui a joué Orville. Elle donne l'argent de Dino à Polly, qui en a besoin pour quitter Climax et commencer une nouvelle vie.

Quelques nuits plus tard, Orville est bouleversé sachant que Zelda a l'intention de divorcer. Soudain, il entend Dino chanter une de ses chansons à la télévision d'un océan à l'autre. Il est totalement désemparé de savoir comment cela aurait pu se produire. Il veut une explication, mais Zelda lui ordonne simplement: "Embrasse-moi, idiot."

Climax, la ville dans laquelle se déroule le film, existe. Il est néanmoins certain que Wilder a choisi la ville dont le nom est synonyme d’orgasme comme lieu où sévissent prostitution (déjà évoquée dans son précédent film, Irma la douce), crise de la quarantaine et obsessions sexuelles.

Orville J. Spooner, professeur de piano aux pulls en hommage à Bach et Beethoven, est moins obsédé par la musique que par la jalousie; et c'est la partition d'André Prévin qui commente ironiquement ses accès de jalousie par des rajouts de contrebasse à l’archet à chaque fois que l'esprit d’Orville déraille. Il est si jaloux que Zelda, qui pourtant aime son mari, n'avait besoin que d’un prétexte pour s'éloigner temporairement. Que cette fan de Dino, le chanteur, puisse le trouver comme par enchantement et que celui-ci la séduise somme toute délicatement aux vues des circonstances (Il la prend pour une prostituée dans une caravane au milieu du désert) est donc tout à fait charmant.

De son coté, Polly, la serveuse revenue de tout pour repartir sans doute hélas vers rien, découvre en Orville un homme aimant et délicat, et se laisse séduire par lui, lui permettant l’espace d’un instant d’être Mrs Orville Spooner, au lieu d’être une marchandise. Bien qu’il les oppose, en mettant en avant la douceur conjugale tranquille de Zelda et le coté charnel de Polly, Wilder en fait les deux femmes clés du film. Elles renvoient toutes les deux à Orville que l’une a épousé, et que l’autre a convoité. Orville aura gagné le droit de passer la nuit avec Polly après s’être conduit de façon chevaleresque avec elle, puisque comme toujours chez Wilder à force de prétendre, comme ici que Polly soit Zelda, elle devient vraiment la femme légitime d’Orville. Dino, lui, n’aura comme seul geste de remerciement qu’un lâcher négligent et contractuel de billets.