Sur la route nationale qui longe le Pô, vers Ferrare, un café-garage-station-essence... Arrive un jour Gino, chômeur et vagabond, que le patron, Bragana, d'abord méfiant, prend en amitié lorsqu'il constate que Gino est un excellent mécanicien.
Très vite, ce dernier devient l'amant de la femme de Bragana, Giovanna, et lui propose de l'emmener avec lui. Une demi-heure après leur départ elle l'abandonne et revient tandis qu'il continue avec un forain, l'Espagnol. qui lui paie sa place de train.
Quelques semaines plus tard. Lors d'une foire, ils se retrouvent tous les trois et le mari insiste pour que Gino revienne. Pendant le voyage, les amants tuent le mari et simulent un accident de voiture. Mais le meurtre les sépare; Gino voudrait quitter le pays, Gina refuse. Les scènes se succèdent : il comprend, à sa joie lorsqu'elle va toucher l'argent de l'assurance, qu'elle l'a manuvré. Excédé, il part avec une fille. S'apercevant que la maison est surveillée, il réussit enfin à la décider à fuir, après avoir cru qu'elle l'avait dénoncé. Mais la voiture dérape, quitte la route et Giovanna est tuée...
A l'intérieur du mouvement néoréaliste, le film représente un début paradoxal et très insolite. En effet, il n'a rien en commun avec les autres films fondateurs du mouvement (Le voleur de bicyclette, Rome ville ouverte, Païsa) qui, en dépeignant des ruines et malgré leur fin tragique, sont animés par un esprit de renouveau moral. C'est en tant qu'uvre de rupture qu'Ossessione inaugure le néoréalisme.
L'audace de son sujet, l'importance donnée au back-ground social des personnages mais aussi et surtout à leurs élans et à leurs frustrations physiques, le pessimisme, la noirceur et la froideur du ton sont en opposition radicale avec le cinéma environnant des années fascistes. Visconti s'est d'ailleurs étonné que le film ait pu franchir, pendant sa préparation et son tournage, les barrières de la pré-censure.
Une fois distribué, il connut une carrière erratique et limitée, à la merci des diverses censures locales. Son métrage se prêtait d'autant mieux à être amputé qu'il était très supérieur à la moyenne.
Sur le plan esthétique, ce premier long métrage de Visconti est une uvre accomplie et d'une grande maturité qui utilise largement et sans aucun formalisme la profondeur de champ, les plans longs (proche du plan séquence), les mouvements d'appareils savants et complexes. Malgré sa longueur d'ensemble et celle de certaines séquences en particulier, le film laisse une impression globale de laconisme, de réserve, de sécheresse, qui l'a empêché de vieillir.
Le film doit beaucoup à Toni et à La bête humaine de Jean Renoir dont Visconti a été l'assistant pour le climat tragique et oppressant qui pèse sur les personnages, pour l'intégration des paysages à l'action, pour la sobre et efficace élégance des cadrages.
Jacques Lourcelles: dictionnaire du cinéma