À Lozalton, petite ville industrielle du Michigan, rythmée par les cadences infernales de l'usine d'incinération, Rosa Moline, femme orgueilleuse et sensuelle, épouse d'un honnête médecin de campagne, ronge son frein en rêvant de la grande ville. Son passe-temps favori est d'aller à la gare proche regarder partir les trains pour Chicago. Elle espère bien s'y rendre un jour, libérée du joug provincial et de la promiscuité familiale.
Pour l'heure, Rosa trompe son mari, Lewis, avec Neil Latimer, un riche industriel qui vient passer ses week-ends dans sa luxueuse villa en bordure du lac. Il a pour intendant le vieux Moose, porté sur la bouteille, que Rosa encourage dans son vice afin de retrouver en toute quiétude son amant. Un jour, n'y tenant plus, Rosa quitte le domicile conjugal et part relancer Neil à Chicago. Mais ce dernier, sur le point de se fiancer avec Carol, la fille de son intendant, établie à la ville, ne répond pas aux avances de son encombrante maîtresse. Furieuse, Rosa regagne son foyer.
La triste vie reprend. Jusqu'au moment où elle découvre qu'elle est enceinte. Lewis croit que l'enfant est de lui et lui pardonne ses fugues. Mais Rosa s'incruste auprès du vrai père, dont elle finit par regagner les faveurs. Moose s'en mêle et menace de révéler la vérité à Lewis. Au cours d'une partie de chasse en forêt, Rosa abat froidement le gêneur. Elle est arrêtée, mais l'enquête conclut à un accident. Dès lors, elle ne pense plus qu'à fuir avec Latimer, et à se faire avorter. Lewis s'interpose en vain : elle se jette dans un précipice, d'où on la retire à moitié morte. Soignée, elle rumine ses fantasmes et, échappant à la surveillance de sa bonne, Jenny, se traîne, grelottante de fièvre, jusqu'à la gare. Elle s'effondre alors que le train pour Chicago emporte ses dernières espérances.
Ce mélodrame de King Vidor avec Bette Davis est surtout connu aujourd'hui pour une seule ligne de dialogue. Rosa, femme au foyer frustrée dans une petite ville des USA, regarde son salon, plutôt confortable mais terne, et murmure dans un souffle : "What a dump !" (Quel merdier !). Edward Albee reprendra le mot dans sa pièce Qui a peur de Virginia Woolf ? et servira de private joke à plusieurs générations de drag queens.
Il est vrai que La Garce a rarement eu bonne presse. Davis détestait le script, et la rumeur prétend que Warner Bros l'a obligée à le tourner en espérant qu'elle se rebellerait et révoquerait son contrat. Mais Bette Davis a terminé le film (même si elle a prétendu avoir exigé Vidor à la réalisation) et n'a plus jamais tourné pour le studio où elle avait été la star plus d'une décennie. Mal reçu par le public et la critique, il n'a cessé depuis d'être réévalué.
A 40 ans, Bette Davis était trop âgée pour jouer Rosa Moline ("une fille de minuit dans une ville de neuf heures") qui va jusqu'au crime dans ses efforts pour fuir à Chicago et y retrouver son riche amant. Mais Bette Davis était devenue une star malgré son apparence et non à cause d'elle. Paradoxalement, c'est l'inadéquation de son casting qui fait du film une réussite : Bette Davis, ni belle, ni sexy et pas même jeune, nous convainc qu'elle est tout cela par sa croyance en sa propre image et par la vision d'elle-même qu'elle projette et en laisse pas d'autre choix, aux personnages comme à nous même, de l'accepter
Rien ni personne ne donnent un espoir à Rosa Moline. Joseph Cotten, est un mari médecin terne et David Brian n'est pas un amant à sa dimension. La seule relation viable que la mise en scène de Vidor entretient avec Davis et le reste du monde est sa communion avec sa propre image, reflétée dans une série de miroirs au long du film. C'est un miroir de poche posé sur un rocher dans une rivière. C'est, quelques scènes plus tard Davis, attendant qu'elle soit seule et non observée, pour «emprunter» le manteau de vison de sa rivale, une riche et belle jeune femme arrivée de Chicago, pour poser devant une glace en regardant tendrement la fourrure, érotiquement caressée. Puis Rosa se meurt d'un avortement provoqué, se lève de son lit et fait un dernier effort : e lle chancelle jusqu'au miroir de sa chambre pour se maquiller dans une geste fier et dérisoire que l'on retrouvera dans Qu'est-il arrivé à Baby Jane? (Robert Aldrich, 1962) et qui évoque le finale de Mort à Venise avec Dirk Bogarde (Luchino Visconti, 1971).
Si le film peut apparaitre comme une version américaine et modernisée de Madame Bovary (que Vincente Minnelli adapte de son côté la même année), il facilite bien davantage l'identification avec l'héroïne controversée. Nous ne pouvons sympathiser avec Rosa par son caractère mais parce que nous redoutons aussi ce même ennui de vivre dans cette maison, dans cette ville avec son été torride. La garce est l'un des très rares films hollywoodiens qui nous invitent à interroger les pulsions interdites et violentes de son personnage principal.