Faust

2011

Avec : Johannes Zeiler (Heinrich Faust), Anton Adasinsky (L'usurier), Isolda Dychauk (Margarete), Georg Friedrich (Wagner), Hanna Schygulla (La femme de l'ususrier), Antje Lewald (La mère de Margarete). 2h20.

La caméra descend des nues et, délaissant le miroir accroché au ciel, suit le vol d'une étoffe blanche qui virevolte au-dessus des collines et des montagnes pour arriver sur un village d'Allemagne entre Moyen-âge et Renaissance. Un sexe d'homme tuméfié, celui d'un cadavre qui est bientôt fendu pour en extraire le cœur, les tripes et les viscères. "Son âme, où se trouve-t-elle ?" demande, l'assistant, Wagner, au docteur Faust qui, après quelques ultimes mesures, abandonne le cadavre aux fossoyeurs. Si elle n'est pas dans le cœur et le cerveau, siège des choses pourries, ne pourrait-elle pas être dans les pieds qui sursautent à la moindre émotion ? Faust réfute cette explication simpliste.

Faust se rend chez son père, médecin bon et réputé, qui soigne ses patients en les écartelant sur un chevalet de sa confection. Il les tue plus souvent qu'il ne les guérit. Cette fois, Faust délivre l'homme mais évite de critiquer trop ouvertement son père qui, lui, gagne sa vie. C'est un moine qui lui apporte de la nourriture à partager, œufs et viande cuite. Une femme demande à être examinée. Une fois soulevés ses multiples jupons, le père de Faust extrait un œuf de son sexe que la femme mange. Faust quitte son père, désemparé. Il s'en va essayer de vendre ce qu'il peut à l'usurier pour se nourrir. Il ne parvient pas même à vendre sa belle bague philosophale.

Faust désire en finir avec la vie et Wagner, qui l'adore, se fait rabrouer pour avoir tenté de lui faire les ongles avec une fiole de vernis. C'est la fiole de cigüe que veut Faust. Survient alors l'usurier sous prétexte de lui rendre sa bague qu'il avait oublié. A la stupéfaction de Faust, l'usurier boit la fiole de cigüe qu'il se destinait. Faust est plus stupéfait encore de le voir revenir à la vie. Curieux de ce prodige, Faust suit l'usurier dans la ville. Celui-ci l'amène chez les lavandières où officient la belle Margarete et sa mère. L'usurier se baigne nu dans le lavoir et suscite dégoût et moquerie avec son gros ventre plein de bourrelets sous lequel aucun sexe n'apparait. Le sexe de l'usurier est en effet accroché à ses fesses comme une petite queue.

L'usurier cherche à échapper à sa femme. Faust en profite pour le fuir mais c'est peine perdue car l'usurier le rattrape et le conduit dans une taverne. Ils sont pris à partie par des soldats. L'usurier fait alors surgir du vin du mur et abandonne sa fourche à Faust qui, la tenant devant lui, voit avec horreur l'un des soldats, Valentin, venir s'empaler dessus. L'usurier lui conseille de fuir pendant que les soldats sont occupés à boire le vin surgi du mur.

Faust est plein de remords d'avoir abandonné Valentin que, peut-être, il aurait pu sauver. Il suit le cadavre amené à sa mère et à sa sœur, la jolie Margarete. Faust exige de l'usurier de l'argent pour aider la famille de Valentin à supporter sa perte. L'usurier donne cet argent à la mère qui considérait avoir déjà perdu son fils depuis qu'il était devenu soldat.

C'est l'enterrement de Valentin. La foule est stupéfaite de voir Faust, qui n'est pas de la famille, y assister. Faust parvient à toucher la main de Margarete qui se sent, elle aussi, alors submergée par l'émotion. Sur le chemin du retour, l'usurier occupe la mère et accorde ainsi à Faust une longue conversation avec Margarete. Wagner montre l'homoncule à Margarete. Faust n'a pas profité de sa longue conversation avec Margarete et l'usurier se rit de lui. Faust demande alors une nuit entière avec Margarete. Il doit alors signer de son sang un pacte dont il corrige les multiples fautes d'orthographe.

Faust passe la nuit avec Margarete. Au matin, il constate le désordre de la chambre. La mère, qui devait boire une fiole de somnifère, a reçu une fiole de cigüe qui l'a tuée. Les ombres grises envahissent la chambre. Faust doit maintenant payer le diable ou, du moins accepter de le suivre couvert d'une armure. Il arrive au sommet d'une colline où surgissent des geysers d'eau chaude dont Faust se réjouit de comprendre le mécanisme. Il enterre vivant l'usurier sous les pierres et fuit vers les montagnes inhospitalières, désertes et glacées.

Avant le récit en deux parties de Goethe, le mythe de Faust avait fait l'objet de plusieurs textes. Le Faust de Murnau, entre tons épique et baroque, pourrait se rapprocher de la pièce de Marlowe. Probablement, aujourd'hui, l'infidèle adaptation de Sokourov devient-elle le meilleur équivalent cinématographique de la forme lyrique, inquiète, obscure et mystérieuse choisie par l'écrivain allemand.

Si l'on peut être touché par le Faust de Murnau sans rien connaitre du récit de Goethe, il n'en est pas de même ici. Certains y verront une faiblesse. Mais, pour Sokourov, aimer la peinture ou la littérature est un préalable à l'amour du cinéma. Ainsi, seul le spectateur érudit trouvera vraisemblablement plaisir au film. Mais cette érudition peut être acquise a postériori -et bien peu- comme l'auteur de ces lignes, encouragé par le film à parcourir le texte. Grandeur du cinéma quand il dialogue avec la littérature, c'est à dire quand il la transforme et la bouscule pour en faire comprendre les enjeux.

Faust au XXIe siècle

Sokourov a créé son propre style cinématographique. Esthète, perfectionniste et expérimentateur, Sokourov travaille la matière même de l'image, la distord avec l'anamorphose, joue avec la lumière avec des filtres de couleurs. Il évite toutefois le maniérisme car, pour lui, l'expérience sensorielle de la nature est transfigurée par l'art. Ainsi son lyrisme de l'image emprunt-il aux arts plastiques des XVII au XIXe siècle et rattache le cinéma, pour lui art mineur, à la peinture ou la littérature.

Les thèmes de la mort, du temps, de la filiation et de la séparation et les motifs de silhouettes fragiles et maladives, des êtres solitaires accablés par la perte, la mort d'un proche, d'un amour sont prédominants dans son œuvre. Sokourov magnifie, la présence de l'esprit dans des environnements naturels souvent difficiles.

Par son style et sa thématique, le Faust de Goethe ne pouvait ainsi que passionner Sokourov qui en profite aussi pour compléter par ce film sa tétralogie du Mal inaugurée avec Moloch (1999) et poursuivie avec Taurus (2000) et Le Soleil (2004). Centrés sur les figures d'Hitler, Lénine et Hiro Hito, les trois incarnations d'un exercice du pouvoir absolu avaient été abordées dans l'intimité quotidienne de dictateurs au moment de leur chute. Peut-être ici c'est à la chute du diable, vaincu par l'inextinguible soif d'amour et de savoir (les geysers) de Faust à laquelle on assiste.

L'amour et le savoir pour se libérer du diable

Sokourov parcourt les deux parties du récit de Goethe. L'ouverture avec ses images de synthèse renvoie au prologue :

«De la création déroulez les tableaux,
Et passez au travers de la nature entière,
Et de l'enfer au ciel, et du ciel à la terre.»

alors que le quatrième acte de la dernière partie, avec Faust dans la montagne, est retracé à partir du moment où il enfile l'amure que l'usurier lui impose. L'étoffe blanche du début pourrait être une métonymie de Margarete et du ciel alors que l'armure finale est celle de son engagement au service de l'empereur et, partant de l'enfer.

La victoire finale sur la mal intéresse moins Sokourov que la parcourt inquiet et torturé qui l'y a conduit. Lié par un pacte de sang dans une époque troublée, l'homme et le diable sont étroitement mêlés. La modernité ne viendra que lorsque la séparation sera effectuée par courage ou par tromperie, en fouillant les entrailles des cadavres ou en caressant la peau jeune et douce de la belle Margarete.

Faust, bien pauvre héros, inquiet, mal nourri, sans encre pour écrire "trop vieux pour jouer encore, trop jeune pour être sans désir" a eu besoin de la méditation de l'amour pour gravir ce chemin. Faust par son désir entraine Margarete dans l'abime. Magnifiques plans de douceurs blanches et dorées, entre icone russe et pureté virginale, qui ne cessent de représenter Margarete. Celle-ci pressent sa fin, habillée de noir et gonflée de désir quand Faust lui touche la main. Sokourov déplace la mort de Valentin très tôt dans le film et non à la fin de la première partie comme pour mieux marquer la liaison entre l'amour et la mort. Faust bascule avec Margaret dans le bleu profond d'une eau claire. Celle-ci en mourra sans que l'on sache, comme chez Goethe, si elle a été sauvée. La voix de Dieu est en effet ici singulièrement absente. Une phrase de dialogue nous avait informés que seul le diable croit encore en Dieu. C'est en se séparant du diable par la connaissance que Faust engage l'humanité dans la voie de la modernité.

C'est en effet d'abord la curiosité qui attache Faust à l'usurier. Comment celui-ci a-t-il survécu à la cigüe ? La promesse de vingt-quatre ans de jeunesse et de pouvoir donnée par le Méphistophélès de Goethe est ici remplacée par l'espérance, jamais formulée mais tellement liée à l'intimité du personnage, de parvenir à percer par l'observation le secret de l'usurier. Cet espoir dans la connaissance, Faust en donnera une nouvelle preuve lorsque, conduit au sommet de la colline, il s'enthousiasme sur le mécanisme des geysers. "Celui qui s'efforce toujours et cherche dans la peine, nous pouvons le sauver" chantait Dieu chez Goethe. Ici c'est Faust qui trouve le courage d'ensevelir le diable sous les pierres et de rebâtir une hypothètique connaissance sur d'autres bases plus modernes, désolées encore, mais sans diable ni Dieu.

Jean-Luc Lacuve, le 25/06/2012

Bibliographie : Jean-Michel Frodon : Faust, un chef d'oeuvre de Sokourov sur Slate.fr.

 

critique du DVD
Editeur : Blaq out. Novembre 2012. 20 €..

 

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