(Co-réalisé avec Gilles Perret). Avec : François Ruffin, Gilles Perret, Corinne, Carine, Khaled, Rémi, Denis, Cindy, Marie. 1h16.
Le générique monte en parallèle des images joyeuses, festives et pacifiques de gilets jaunes, et des prises de paroles politiques et médiatiques dénonçant leur violence haineuse et le danger que ceux-ci représentent pour la démocratie et ses valeurs.
Pour en avoir le cœur net sur l'état d'esprit des gilets jaunes, François Ruffin décide de partir début décembre 2018 pour un voyage de six jours de la Picardie, où il habite, vers le sud. "J'ai changé les plaquettes de frein et le liquide de refroidissement. 350 € chez Norauto..." C'est ainsi que François Ruffin conduisant son Citroën Berlingo, rassure Gilles Perret qui va le filmer pour un road-movie dans la France des gilets jaunes qui protestent se dressent et se redressent, avec fierté en occupant les ronds-points.
Au premier rond-point où il s'arrête à Arsy, dans l'Oise (60), Ruffin écoute "des gens durs à la peine" qui racontent leur quotidien précaire, les dettes, les frigos vides.
A Albert (80-Somme). Loïc, un pizzaiolo, mange un jour sur deux quand son patron lui donne une pizza gratuite. Carine, au RSA, avec un enfant handicapé fait bouillir sa marmite grâce aux cartes d’achat Auchan gagnées dans des bingos municipaux
A Mâcon (71). Un papy à casquette imagine fabriquer d’immenses plaques de métal, à mettre devant des bulldozers qui monteraient à Paris. Les CRS seraient obligés de reculer et comme ça, les Gilets jaunes atteindraient l’Elysée.
Une femme handicapée inapte à travailler, à qui on a retiré ses enfants, parle de sa difficulté pour les élever avec neuf-cents euros d’Allocation Adulte Handicapé. Elle glane régulièrement ce qu’elle peut dans les poubelles du supermarché.
Annecy (74). Cindy, femme alors mère célibataire et salariée dans le Nord, a laissé son emploi par amour, pour rejoindre son nouveau compagnon, David dans le sud de la France. Là elle déchante car David, artisan auto entrepreneur travaille trop pour maintenir son affaire à flot. Bientôt c'est la faillite et les dettes sociales de l'entreprise leur sont réclamées. Elle a recours au Secours populaire aux Restos du cœur alors que son mari a honte. Ils plongent tour à tour dans la dépression. Grâce au maire du village, Cindy a trouvé un emploi d'AVS. David, le soir, en rentrant chez lui, après le brasero, lit la Constitution avec le dictionnaire à côté de lui. «Grâce à cette petite porte ouverte, on a envie de retourner aux urnes», explique Cindy.
Saint Julien-du-Serre en Ardèche (07). Discussion avec un retraité et sa compagne. Arrive le maire qui veut bien discuter avec François Ruffin qui souhaite qu'il l'interpelle comme s'il était Macron : "Si j’étais Emmanuel Macron, que me diriez-vous ?"
Loriol (26). D’après Khaled, un gilet jaune, il n'y a pas de racisme parmi les gilets jaunes : l’homme, amputé des deux jambes, explique qu’il ne trouve sur le rond-point que de la fraternité et de la solidarité. Un de ses compagnons de route le décrit « comme un frère » : pour lui, s’il y en a bien « deux ou trois » qui ont des idées racistes, il explique la question raciale reste extrêmement secondaire sur les ronds-points.
François Ruffin rencontre, François le menuisier arrêté car soupçonné d'être radicalisé et Serge, un intérimaire du bâtiment qui souhaiterait être le président pour ne garder au gouvernement que ceux qui pensent au peuple.
Dions (30). Entre Nîmes et Alès, sous la pluie, François Ruffin découvre un tableau géant de Marcel; l'icône de ce rond point à soixante-dix-sept ans, ouvrier d’origine espagnole, il n'est hélas pas sur place. Ruffin accompagne un autre gilet jaune qui le met face à la désertification des commerces dans son village natal.
Sur un péage, François Ruffin explique à deux femmes qu’avec la privatisation des autoroutes entre 2005 et 2007, l’État s’est privé de 4,5 milliards d’euros par an de ressources. Comme l’une des deux femmes explique que ce montant est si grand qu’il ne signifie rien pour elles, François Ruffin leur explique qu’avec cet argent, on pourrait rendre les transports en commun gratuits partout en France.
Péage de La Barque, près de Marseille, de nuit. Une femme, la cinquantaine, qui autrefois tenait une boulangerie et exerce maintenant comme auxiliaire de vie sociale vole un plot de chantier pour bloquer des camions sur l'autoroute. Ruffin, qui a sauté dans sa voiture avec Perret, lui demande si elle est délinquante. Non sourit-elle : "c'est une reprise du pouvoir".
Montpellier (34). Marie a invité Ruffin chez elle. Elle lui parle de sa difficulté à faire des cadeaux à ses enfants qui, heureusement, ne la sollicitent pas pour des jeux électroniques et autres vêtements de marque. Ruffin propose de l'emmener faire un tour sur la plage de Carnon. Elle fredonne J'veux du soleil avant que le générique reprenne ce thème avec un enregistrement fait avec des musiciens professionnels que Marie est venue rencontrer à Paris.
Peu après le 17 novembre 2018, date de la première manifestation des gilets jaunes, François Ruffin perçoit chez certains de ses amis et dans son entourage idéologique que ce mouvement est considéré comme facho. Il veut aller vérifier. Début décembre, il part ainsi pour un voyage de six jours de la Picardie, où il habite, vers le sud pour un émouvant road-movie avec son ami Gilles Perret à la caméra. François Ruffin bénéfice dans ses rencontres d'une empathie naturelle auprès des gens qui leur ouvre la porte de leur maison et avec qui il discute longuement.
Le film est tourné, monté et distribué en salles en quatre mois, un record. Néanmoins durant ces quatre mois il s'est un peu perdu en route. Le documentaire social qu'il aurait pu être se transforme en film politique, hélas bien faible. Le hors champs des personnes écoutées n'est jamais interrogé comme s'il allait de soi que l'unanimité régnait sur les ronds points. Le remplissage idéologique haineux (capture de vidéos de fragments de discours de Macron ou de journalistes ou de répression policière) ne sert pas la cause dorénavant avoué du film : faire basculer l'ensemble des classes laborieuses et des classes moyennes du côté des gilets jaunes.
Un road movie émouvant
François Ruffin filme des gens durs à la peine, des hommes et des femmes qui, à un moment, ont rejoint le mouvement des gilets jaunes. L'important est pour lui de libérer la parole. Alors qu'en général, les pauvres se cachent pour souffrir, le courant entre François et les gens passe bien. Il y a du rire, de l’émotion.
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François Ruffin souhaite leur rendre la beauté qui leur est refusée. Celle de la solidarité qui rompt avec la solitude qu’ils éprouvaient, combien ils se réchauffent les mains, et les cœurs devant les braseros, en construisant des cabanes ensemble, en mangeant ensemble. La beauté qui leur est refusée, c'est celle qui les condamne encore à La France des ronds-points, des autoroutes ou des entrées de ville avec, en décembre, la pluie, la boue, les bâches plastiques.
C'est pourquoi François Ruffin la leur restitue dans le film avec ses intermèdes musicaux (Marre des pauvres, de Didier Super ou Douce France de Charles Trénet, j'veux du soleil) et cinématographiques (L’an 01 de Jacques Doillon).
Comme un manifestant l'exprime en citant Victor Hugo "C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches". C'est ce message que Ruffin adresse aux classes moyennes pour qu'elles rejoignent le mouvement. La Douce France s'oppose à l'arrogance des riches.
Un film politique trop simpliste
Les riches ce sont ceux qui détiennent le pouvoir d'informer : BFM, France Info, les ministres, les éditorialistes qui observent les gilets jaunes de loin, depuis leur studio de radio, et les jugent avec condescendance de beaufs, fachos, casseurs, ou radicalisés.
François Ruffin affirme ne pas avoir voulu faire un film sur le mouvement des gilets jaunes. Il ne s'intéresse pas à la façon dont le mouvement est né ni à ses porte-paroles, son organisation ou ses revendications. Mais sur les ronds-points toutes les paroles qu'il recueille servent directement sa cause d'une "Douce France" en face d'un pouvoir prompt à la répression policière. Le hors champ est cependant évacué alors que les rencontres ont souvent été orientées par des proches qui leur ont recommandé tel ou tel rond-point. Si ceux rencontrés vont dans le sens de cette solidarité et de justes revendication; François Ruffin ne s'approche jamais à ceux qui ne veulent pas prendre la parole.
L'agit-prop qui consiste à coller des interventions choisies de journalistes ou de politiques pour les décrédibiliser est faite ici sans beaucoup de finesse. Ce sont des pastilles sur le libéralisme de Macron dont les journalistes ont été les premiers à relever la maladresse. Elles dénotent ce que l'on sait depuis longtemps; le manque d'empathie du président avec les classes populaires. Sur le sujet, il suffisait de l'intervention du maire de Saint Julien-du-Serre évoquant le fait d'être aussi mal à l'aise pour Macron lorsqu'il est avec des gens aux faibles revenus que ceux-ci s'ils étaient invités à Monte-Carlo. Les pseudos discussions face à Ruffin-Macron tout comme les idées de Serge-président sont au mieux potaches mais souvent pleines d'un ressentiment mal contenu de la part du député-réalisateur.
Si la plupart des gens des ronds-points sont présentés comme systématiquement non violent et cherchant le soleil derrière la porte entrouverte par les gilets jaunes; certains proposent des actions violentes tel le camion transformé en char d'attaque sur les Champs-Élysées ou le blocage des routes. François Ruffin lui-même se dit fier d'être un contrevenant à la loi européenne, parce qu’il n’a pas de gilet jaune dans son véhicule ou en présentant comme héroïque la vidéo sur téléphone de la porte du ministère défoncée. D'ailleurs, dans les débats, François Ruffin ne cache pas qu'il s'agit de ramener les classes moyennes dans le mouvement avant que celui-ci ne s'essouffle ou se disperse.
A la fin de la projection, souvent dit-on, les applaudissements fusent (que Ruffin ou Perret soient là ou non) mais on remarque aussi des spectatrices et spectateurs qui pleurent tant les témoignages sonnent justes et font écho aux difficultés des gens. On se demande bien pourquoi François Ruffin s'est senti obligé de larder son film d'interventions d'Emmanuel Macron comme si sa disparition du paysage politique allait miraculeusement répondre à l'urgent besoin de justice sociale des gens. L'émouvant J'veux du soleil ouvre néanmoins la voie à d'autres films sur ce mouvement que l'on espère plus sociaux, plus politiques ou plus enthousiasmants dans leur virulence et leur humour.
Jean-Luc Lacuve, le 12 avril 2019