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Plus dure sera la chute

1956

Voir : Photogrammes

Avec : Boris Karloff (Maître George Sims), Anna Lee (Nell Bowen), Billy House (Lord Mortimer), Richard Fraser (Hannay), Glen Vernon (le garçon), Ian Wolfe (Sidney Long), Jason Robards Sr. (Oliver Todd), Leyland Hodgson (John Wilkes), Joan Newton (Dorothea), Elizabeth Russell (La maîtresse de Sims). 1h19.

Londres, 1761. Un prisonnier s'évade par le toit de l'asile Sainte-Marie de Bethlehem, dit "Bedlam" où l'on enferme les fous. Ses mains sur la gouttière sont écrasées par le gardien et il tombe dans le vide. A ce moment, Lord Mortimer, membre du Conseil du Roi et Nell Bowen, 23 ans, ancienne actrice devenue la protégée de celui-ci, passent devant Bedlam. Lord Mortimer reconnait la victime. Il s'agit du poète Colby. Furieux, il convoque George Sims, le directeur de Bedlam, le lendemain chez lui.

Le lendemain, Sims attend depuis quatre heures devant la porte de Lord Mortimer quand celui-ci se rappelle du rendez-vous. Il est fâché car il avait payé d'avance à Colby une saynète pour sa prochaine fête à Vauxhall. Le sadique George Sims, qui dirige d'une main de fer l'asile, est aussi poète et, pour se faire pardonner de son crime -il était jaloux de Colby-, il propose d'écrire pour rien une pièce qui sera interprétée par les fous... ce qui ne manquera pas de bien faire rire les invités.

Sims, rentré à Bedlam reçoit William Hannay un jeune maçon quaker pour des travaux dans l'asile. Mais celui-ci refuse quand Sims exige un pot de vin en échange de son engagement. Survient alors Nell qui demande à visiter les prisonniers dans leur cage mais qui ressort horrifiée par le sort qui leur est réservé. Elle frappe Sims de sa cravache Sims. William Hannay, qui a assisté à la scène, lui prédit qu'elle ne rira pas des fous lors de la fête de Vauxhall. Irritée par les manières pacifistes du quaker, Nell prétend toutefois que, pour elle, l'important dans la vie est de s'amuser;

Lors de la fête de Vauxhall, Sims fait jouer à un fou le rôle de la raison. Pour les besoins de la représentation, il l'a couvert d'une peinture qui empêche sa peau de respirer. L'acteur fou en meurt. L'assistance rit toutefois, même John Wilks, homme politique du parti progressiste des "Whigs", opposé aux "Tories" conservateurs. Seule Nell est horrifiée et s'en va trouver William Hannay, à la sortie de sa réunion quaker.

Hannay lui propose de plaider la cause des fous auprès de Lord Mortimer. Mais celui-ci, à l'instigation de Sims, refuse d'accorder des crédits de crainte de réduire son train de vie personnel. Dépitée, Nell quitte son protecteur. Celui-ci fait saisir tous ses biens. Mais Nell se venge en faisant discourir son perroquet, Poll, sur le marché de Londres, qui ne se prive pas de médire sur Lord Mortimer : "Lord Mortimer est un gros lard. Il n'a rien dans le crâne et a un gros pétard". Mortimer fait arrêter Nell mais celle-ci refuse toujours de se séparer de son perroquet. Hannay lui propose une place de couturière ainsi qu'une place de balayeur à Verney, son valet. Nell refuse cette vie trop terne et préfère chercher de l'aide auprès de celui que la reine a appelé ce "satané John Wilks". Celui-ci, accepte de l'aider mais demande des preuves des mauvais traitements.

Mais les menées de Nell ne sont pas du goût de Sims, qui craint de voir anéantir ses prérogatives sur Bedlam. Il propose à lord Mortimer d'offrir 300 livres à Nell... qui les mange. Avec la complicité de Lord Mortimer, Sims obtient alors l'internement de la jeune femme et place sa maitresse, alcoolique et dépravée auprès de Lord Mortimer.

Dans l'asile, Nell fait la connaissance de gens parfaitement sains d'esprit comme Oliver Todd, que sa famille a fait interner pour qu'il arrête de boire et puisse travailler et nourrir sa famille par ses écrits, ou Sidney Long, avocat à la Cour, certes un peu mégalomane mais réduit au silence pour raison politique. À l'insu de Sims, Hannay réussit à entrer en contact avec elle et, sur son conseil, va trouver Wilks, seul homme qui, par son envergure politique, pourrait lui venir en aide.

Pendant ce temps, à Bedlam, Sims essaie de prouver à Nell qu'elle a tort de croire aux paroles apaisantes de Hannay. Mais, prodiguant douceur et bienveillance, Nell gagne la sympathie de tous. Elle accepte même d'entrer dans la cage de Tom, réputé dangereux et qui ne souffre que de troubles de la mémoire. Sims craignant qu'une seconde entrevue lors de la commission n'aboutisse à faire libérer Nell, exige qu'elle se soumette à un traitement spécial que tous les prisonniers jugent effrayants. Nell refuse et, à la stupéfaction de Sims, entraine les fous à se saisir de lui pour qu'elle puisse fuir, aidée de Tom. Les captifs décident de juger Sims pour ses crimes. Tempéré par Todd et Long, le tribunal improvisé finit par acquitter Sims, jugé sain d'esprit et seulement sadique par peur de perdre sa place et accomplissant alors ce qu'il croit que les autorités attendent de lui. Sims, incrédule devant tant de générosité et naïveté se retire doucement mais Dorothea, une malade qui demeure obstinément muette, le poignarde dans le dos. Le corps de Sims est prestement caché derrière un mur en construction. La pose de la dernière pierre voit l'œil de Sims se rouvrir pour constater qu'il va être emmuré agonisant. Lorsque les autorités pénètrent dans l'asile, tous concluent que Sims s'est enfui pour ne pas faire face à ses responsabilités. Hannay constate que les travaux de maçonnerie sont encore frais mais veut éviter que les fous ne soient condamnés pour un juste crime. Nell accepte d'épouser Hannay et sa philosophie généreuse. Un carton précise que l'action de Nell et de Wilks aura pour effet de provoquer une réforme des conditions d'internement à Bedlam dix ans plus tard.

Le générique indique s'être inspiré pour le scenario, cosigné par Mark Robson, de la gravure de Hogarth intitulée Bedlam. L'esthétique du film se partage entre l'esthétique rococo du peintre anglais et la simplicité toute quaker du personnage de Honnay. Il s'agit aussi du premier film mettant en scène un hôpital psychiatrique et les mauvais traitements qu'on y inflige, raison pour laquelle le film sera censuré en Angleterre alors qu'il restera inédit en France jusqu'en 1974 pour d'obscures raisons.

Les gravures de Hogarth dans une production RKO.

Le producteur Val Lawton avait déjà reproduit des tableaux de peintre français dans Mademoiselle Fifi (Robert Wise, 1944) et allemands dans L'ile des morts (Mark Robson, 1945) et il n'est donc guère étonnant qu'il se soit inspiré de Hogarth pour Bedlam, le dernier film de l'unité de production qu'il dirige depuis 1942, censée produire des films d'horreur. Il obtiendra ensuite des budgets plus conséquents mais ne qui seront plus aussi finement préparés que lorsque les jours de tournage sont comptés.

La gravure Bedlam est la huitième planche de sa série, La carrière d'un roué, éditée par William Hogarth en 1735. Dans le film, la gravure est montrée trois fois : lors du générique de début qui indique que le film est inspiré par elle, lors de la première visite de Nell à Bedlam où le groupe au premier plan en restitue les principales postures et lors du générique de fin. La gravure du film est toutefois partielle et ... inversée dès le générique. Peut-être parce que le sens de la visite à partir du traveling arrière qui part de la figure de Nell pour découvrir la salle entière est plus naturel. L'homme aux mains jointes, absent de la gravure reproduite au générique, est déplacé de l'extrême gauche à l'extrême droite. Le groupe des trois hommes sur la droite, à proximité de l'escalier, devient celui autour de la table; ils sont reconnaissables à leurs curieux couvre-chefs. Le chien a disparu. Le groupe principal, censé dans la gravure de Hogarth prendre soin de Tom est assez bien reproduit. Sims, en poursuivant la visite, montre le fou occupé à tisser un filet de pécheur qui reproduit plus ou moins la femme assise écartant ses doigts.

 
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Bedlam, William Hogarth, 1735
Gravure du générique
   
La visite de Nell à Bedlam en 1761
Second groupe présenté par Sims

D'autres gravures de Hogarth sont montrées dans le film. Elles servent à illustrer le générique mais aussi de transition entre les scènes.

   
   
   

Le film répond en partie à l'esthétique Rococo du peintre, notamment, le lever de Lod Mortimer, la fête à Vauxhall, le perroquet Poll, ou la scène du procès. Néanmoins c'est l'esthétique sobre due au budget serré qui prédomine. Celle-ci entoure notamment le personnage du quaker anglais William Honnay, le seul être généreux de l'histoire.

Le Bedlam anglais

La philosophie Quaker qui va prospérer aux Etats-Unis est irréprochable : générosité, refus des pots de vin et de la violence, humilité et tutoiement de ceux qui appartiennet à La société des amis qui ne se découvrent que devant Dieu. Si l'égoïsme des "Tories" conservateurs est fustigé, les hommes du parti progressiste des "Whigs" ne sont pas épargnés non plus, ainsi de leur leader John Wilks qui rit lors de la fête de Vauxhall, et s'enorgueilli surtout d'être surnommé ce satané John Wilks par la reine en laissant faire tout le travail d'investigation à Nell.

C'est peut-être cette vision peu reluisante de l'Angleterre au XVIIIe siècle qui a couté au film sa non diffusion (censure ?) en Angleterre peut-être davantage qua la raison officielle liée à la description peu reluisante du premier asile de fous en Angleterre. Les mauvais traitements infligés donnent lieu à deux séquences qui marqueront durablement la repésentation des asiles de fou au cinéma : la longue plainte de cris off précédant l'arrivée de Nell puis le traveling arrière à la grue découvrant la grande salle des fous. Dans une seconde séquence c'est Honnay qui s'enfonce dans le couloir obscur des cages avec puis mains qui se tendent derrière les barreaux pour l'aggriper.

Le traitement, la cure, que Sims tente d'imposer à Nell avant son second passage devant la commission qui affraie tous les internés, à commencer par Tom qui l'a déjà subit pour ses troubles de mémoire, est sans doute une allusion, anachronique mais dénonciatrice, du traitement contemporain aux électochocs.

Jean-Luc Lacuve, le 14/08/2013

Test du DVD

Editeur : Editions Montparnasse. Nouveau master restauré, version originale, sous-titres français.

 

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