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Tonnerres lointains

1973

Genre : Drame social

(Ashani Sanket). D'après le roman de Bibhutibhushan Bandyopadhyay. Avec : Soumitra Chatterjee (Gangacharan Chakravarti), Bobita (Ananga, sa femme), Sandhya Roy (Chutki), Chitra Banerjee (Moti), Noni Ganguly (Jadu), Ramesh Mukherjee (Biswas). 1h41.

Province du Bengale, 1942-43. Ananga se baigne dans l'étang. Elle porte son sari comme le veut la tradition. Insouciante, elle s'émerveille du spectacle de cinq avions passant dans le ciel. Son amie, Chutki, et une autre jeune fille, Punti et sa mère, la rejoignent.

Ananga est la ravissante épouse de Gangacharan, le seul brahmane du village. Jouant de la naïveté des paysans, il est, tour à tour, médecin, instituteur et prêtre, percevant au passage de larges rétributions en nature, souvent du riz. Ils reçoivent la visite de Moti, une jeune fille intouchable qui était leur amie quand ils habitaient le village de Bhatchara à 15 kilomètre de là et qui est privé d'eau. Une fois leur invitée partie, Gangacharan exprime son désir de créer une école qui lui sera une autre source de revenu après  celle de médecin et de prêtre qu'il pratique sans vraiment connaitre le sanscrit et s’appuyât sur des livres.

Un matin, alors qu'il "enseigne" à l'école, un paysan vient lui annoncer qu'une épidémie de choléra s'est déclenchée. Une parodie de cérémonie et quelques conseils d'hygiène lui offrent l'occasion de recevoir de nouveaux cadeaux. Le soir venu, de retour au village, un mendiant lui apprend que les Japonais occupent désormais Singapour. Le prix du riz monte et l'on parle déjà de famine. Le lendemain, Biswas, l'épicier, lui confirme les informations, lui-même ne veut plus vendre de kérosène. Gangacharan retrouve le vieux mendiant qui lui explique que les Japonais ont pris la Birmanie. Le riz est réservé en priorité aux soldats, il se fait rare, les cours grimpent de plus en plus. Au village, le magasin est pillé. C'est la famine.

D'une caste privilégiée, Gangacharan et Ananga ont encore quelques provisions -, mais Chutki avoue manger des escargots d'eau. Ananga, Chutki et une amie partent chercher des racines comestibles. Ananga manque d'être violée. Chutki se donne à Jadu en échange d'une poignée de riz. Biswas, soupçonné de stocker du riz en cachette est attaqué une nuit. Chutki part avec Jadu, l'ouvrier au visage brûlé, Moti, une amie d'Ananga, intouchable comme elle, se meurt de faim. Devant leur demeure, Ananga et Gangacharan voient arriver le vieux mendiant accompagné des siens. Désormais, ils seront dix à essayer de vivre... où plutôt onze, car Ananga avoue qu'elle est enceinte.

La famine qui en 1943 au Bengale fit 5 millions de victimes n'est que progressivement mise en scène dans une Inde constamment magnifiée dans ses paysages. La famine n'est ressentie que tardivement par un couple de brahmanes qui va prendre conscience de ses privilèges de caste notamment pour le mari qui va aussi rendre hommage au courage et la grandeur morale de sa femme.

L'arrogance d'un brahmane

Piètre héros que Gangacharan. Brahmane, il s'est trouvé une sinécure dans le quatrième village qu'il occupe avec sa femme depuis quatre ans. Gangacharan explique qu'elle avait beaucoup souffert auparavant depuis son mariage : d'abord à Hariharpur, chez ses beaux-parents puis à Basudevpur et à Bhatchara où il n'y avait pas d'eau et où son mari survivait en vendant des escargots ou des arums. Elle se sent bien dans ce nouveau village et a envie d'en profiter avec ses nouvelles amies qui la respecte pour sa beauté et sa naissance. Gangacharan profite de la crédulité des habitants : ses gestes médicaux consistent à prendre le pouls ; il lui suffit de trois phrases aux accents de sanscrit pour congédier le choléra avec le conseil de ne pas boire l'eau du fleuve.

Gangacharan n'est toutefois pas condamné par Satyajit Ray car il prend conscience de la générosité et du sens des réalités de sa femme. Elle a accueille avec générosité le mendiant qu'il considérait comme un pique-assiette et accepter de travailler pour gagner du riz. Lui n'est allé que revendiquer son statut de brahmane pour obtenir du riz contre paiement à un autre brahmane. Encore une fois c'est la générosité de la femme de celui-ci, émue devant son remord de manger sans sa femme, qui lui permettra d'en ramener un peu pour elle.

Enfin, Gangacharan accepte de recevoir la famille du brahmane mendiant et se réjouit de la naissance que lui annonce sa femme dans un contexte que pourtant difficile.

Un terrible fléau créé par l'homme

Cette fin qui pourrait être optimiste est immédiatement suivie du carton final : "En 1943 au Bengale, ce fléau créé par les hommes fit 5 millions de victimes". C'est d'abord le mendiant et sa famille que l'on voit s'approcher de la maison d'Ananga avant que le plan ne s'élargisse à une multitude.

Cette famine avait été documentée de façon plus crue auparavant avec quatre photographies d'archive après des zooms sur le carton "Famine".

Ce sont les intouchables qui en sont les premières victimes. Chutki, qui se donne à Jadu, l'homme au visage brûlé par un feu d'artifice, en échange d'une poignée de riz. Mariée, elle fuit avec lui en ville pour échapper, le pense-t-elle, à la famine. Moti, qui habite le quartier des corroyeurs (travailleurs du cuir) de Bhatchara, vient mourir de faim au pied d'un grand arbre devant la maison d'Ananga. Cette mort tragique est mise en parallèle avec la beauté de la nature que contemple une dernière fois Moti.

Jean-Luc Lacuve, le 22 janvier 2024.

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