Imambazar. Narasingh est un chauffeur de taxi traumatisé par la trahison d'une femme qui vient de le quitter et par son hérédité de noblesse guerrière en désaccord avec son travail méprisé par la société. Il refuse ainsi de transporter des femmes dans son taxi, une belle Chrysler certes usagée mais puissante avec ses 26 chevaux vapeurs.
Il réussit ainsi à battre de vitesse un train au grand contentement de ses passagers. Au retour, c'est Rama, son aide, qui conduit. Il reprend néanmoins sa place pour doubler un taxi de M. Budha qui veut s'assurer un monopole sur la région. En le doublant, il éclabousse le chef de la police qui négociait avec M. Budha. Excédé et abusant de son autorité, il lui retire sa licence.
Découragé, Narasingh décide de renter dans son village natal de Giribraja. Au milieu de la nuit, ils sont stoppés par un homme dont la charrette à boeufs vient d'avoir un accident. Il lui demande contre 25 roupies de le conduire à Shyamnaagar à 130 kilomètres de là. Il est accompagné d'une femme, Gulabi. Apres avoir refusé de la conduire, Narasingh se laisse convaincre pour 50 roupies dont 30 payés d'avance.
L'homme, Sukhanram, est un riche homme d'affaires qui offre à Narasingh de rester à Shyamnaagar pour transporter ses marchandises et obtenir ainsi des revenus réguliers en plus des trajets Shyamnaagar-Panchmati qu'il pourra faire comme taxi.
Narasingh prend le temps de réfléchir et d'évaluer la concurrence. Les taxis du village constituent une sous population alcoolisée et méprisée. Le vieux bus qui transportent les pauvres et les riches du village n'a pas les moyens de lutter avec sa belle Chrysler.
Narasingh rencontre aussi Josef Rajani Das originaire du même village de Giribraja qui l'incite à rester. Il usera de son influence auprès du sous-préfet dont il conduit la jeep pour qu'il puisse obtenir sa licence. Les deux hommes se promènent du côté des rochers, petits et gros de Shyambazar, lieu de promenade et de médiation. Joseph présente Narasingh à sa mère, qui connaissait son père, Madhab, ainsi qu'à sa soeur, la belle Mary Neeli. Ils ont quitté la religion hindoue qui les ostracisait dans leur statut d'intouchable pour la religion catholique. Cet aveu naïvement fait par la mère n'empêche pas Narasingh, après un instant d'hésitation, à accepter leur amitié. Il demande à Mary Neeli, institutrice, de lui apprendre l'anglais. Cette relation déplait fortement à Rama qui méprise ces anciens intouchables.
Narasingh s'est installé chez Sukhanram qui lui propose bientôt de devenir son associé. Mais Narasingh hésite. Il sait que les transports de bidons d'huile camouflent le transport illégal d'opium. Il sait aussi que Sukharam abuse de son argent pour acheter de jolies jeunes filles à leurs parents pauvres pour les revendre à ses relations commerciales. Gulabi, la jeune femme, qu'il a transporté avec Sukharam, lui demande ainsi un soir protection contre un avocat trop violent. Elle s'offre à lui, mais Narasingh lui offre une hospitalité courtoise qui renforce son amour pour lui.
Narasingh fréquente maintenant assidûment Mary Neeli qui lui apprend l'anglais. Il accepte ses conseils chrétiens de modération. Il se bat même pour elle lorsque l'on sous-entend qu'il se pavane avec elle. Il est enchanté lorsqu'elle le convie un soir près des rochers de Shyambazar pour une affaire secrète. C'est plein d'espoir qu'il va au rendez-vous mais est désespéré d'apprendre que Neeli et Ajay, l'instituteur unijambiste, ont décidé de fuir ensemble un amour que désapprouve le village.
Désespéré Narasingh fait venir Gulabi et profite d'elle. Au matin, il sera touché par le récit qu'elle lui fait de sa vie : sa mère morte en couche à sa naissance, le viol subit, l'humiliation familiale et sa vente comme quasi-esclave et la sincérité de son amour qui la fait chanter. Narasingh accepte pourtant la proposition de transport d'opium et s'apprête à vendre sa voiture pour devenir l'associé de Sukharam et de l'avocat.
En route, il rencontre Joseph qui s'aperçoit du transport d'opium. Narasingh, honteux revient porter le bidon à Sukhanram. Il apprend que celui-ci est parti avec Gulabi chez l'avocat. Narasingh, les rattrape et enlève Gulabi pour rentrer avec elle à Giribraja.
L'influence de De Sica, que Satiajit Ray admirait, se retrouve fortement dans ce film. La Chrysler de Narasingh joue un rôle presque aussi important que le vélo de Antonio Ricci dans Le voleur de bicyclette. La voiture est le symbole de l'intégrité morale du héros, son seul repère dans un monde qu'il ne comprend plus.
Inférieurs supérieurs
D'expédition il n'en sera ici pas directement question. Le transport
du baril d'opium dure à peine une dizaine de minutes avant que, sous
les reproches muets de Joseph, Narasingh y renonce.
Il y a aura en revanche voyage intérieur du personnage principal. Narasingh devra porter sa vie au niveau de ce qu'il croit être le destin des êtres supérieurs dont il a le sentiment de faire partie.
Narasingh est comme son nom l'indique un sikh. Singh, lion, est la terminaison du nom des adeptes de Nânak, hindou membre de la classe des guerriers qui fonda cette religion par rejet du système des castes mais en garda le principe de la réincarnation tout en se rapprochant du dépouillement prôné par l'islam.
Narasingh a bien du mal à vivre cette morale exigeante qui prescrit l'honnêteté et le service de la société. Même la profession de chauffeur de taxi, où les sikhs excellent grâce à leur réputation d'interlocuteurs surs, devient pour lui un poids en raison des négociations incessantes et de la malhonnêteté de certains clients. Sukhanram espère profiter de l'aubaine : en recrutant un sikh il a d'autant plus de chance d'éviter les soupçons quant au transport d'opium.
Lorsqu'il trouve un équilibre avec Neeli, la sur de Joseph, son ami, natif du même village que lui, il lui demande d'apprendre l'anglais afin d'être respecté. Mais celle-ci lui dira : "Joseph n'est pas à son compte, ne parle pas anglais et n'est pas inférieur. Etre inférieur ou supérieur, c'est une question d'attitude. Je vous croirai inférieur si vous agissez en tant que tel. "
Joseph, Neeli et leur mère ont fait le choix de se convertir à la religion chrétienne pour échapper au système de castes qui les ostracisait.
Le poids de la conscience
Satyajit Ray s'attache à figurer le rôle et ici souvent le poids de la conscience sur ce que voit et ressent son personnage principal.
Narasingh est présenté comme morcelé dans le long plan fixe initial de deux minutes qui nous met en présence de son reflet dans la glace cassée du café où il discute avec un collègue. Personnage brisé ayant perdu confiance dans les femmes, il se sent déchu.
Les paroles de Joseph, comparant les rochers, gros et petits, au poids du péché et au pécheur le marquent aussi profondément.
C'est cette conscience qui le fait repousser Gulabi lorsqu'elle vient réclamer amour et protection dans sa chambre tout comme c'est la réduction à néant de cette conscience lorsque Neeli s'en va qui le fait se comporter brutalement avec elle.
Ray par trois fois utilise le plan de Gulabi le soir à sa fenêtre regardée par Narasingh et c'est finalement bien vers elle qu'il se dirigera une fois débarrassé de son désir de reconnaissance qui passait par Neeli et l'apprentissage de l'anglais ou de Sukharam et de ses compromissions.
Le taxi agit à la manière du cheval qu'il a toujours voulu monter (les 36 chevaux de la voiture). La course contre un train, les dépassements audacieux et le retour du conducteur fatigué avaient déjà laissé entrevoir la métaphore. Mais le souvenir du film vu récemment, qui le transforme enfin en digne descendant des guerriers sikhs, est plus explicite.
Jean-Luc Lacuve, le 18/03/2009
Editeur : Epicentre Films. Février 2009. Langue
: bengali. Sous-titres: français. Son : mono
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