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Le pianiste

2002

Thème : Shoah

(The Pianist). D'après l'autobiographie de Wladyslaw Szpilman. Avec : Adrien Brody (Wladyslaw Szpilman), Thomas Kretschmann (Capitaine Wilm Hosenfeld), Frank Finlay (le père), Maureen Lipman (la mère), Emilia Fox (Dorota), Ed Stoppard (Henryk), Julia Rayner (Regina), Jessica Kate Meyer (Halina), Andrzej Blumenfeld (Benek), Ronan Vibert (Bogucki). 2h28.

Varsovie, 1940, pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans un studio de radio, un homme joue Chopin. Des déflagrations se rapprochent, soufflent les fenêtres, dévastent la cabine des preneurs de son. L'homme continue de jouer, refuse de suivre les techniciens qui s'enfuient. Jusqu'à ce que la vitre qui isole le studio se brise vers l'intérieur. Sous forme d'éclats de verre, la réalité coupe la musique et l'homme est précipité dans le monde.

Wladyslaw Szpilman, le célèbre pianiste juif polonais, réussit à éviter la déportation. Mais il se retrouve tout de même enfermé dans le ghetto de Varsovie où, comme les autres, il va devoir survivre. Un jour, il parvient à s'échapper. Il se réfugie dans des ruines où un officier allemand, qui apprécie sa musique, l'aide à rester en vie.

Le Pianiste est tiré des mémoires du pianiste polonais Wladyslaw Szpilman, qui fut le seul de sa famille à survivre au génocide des juifs d'Europe par l'Allemagne nazie.

Pour Thomas Sotinel (Le Monde du 25.09.2002) : " Deux des films les plus célèbres et les plus accomplis de Polanski racontent comment des individus qui croyaient occuper une place confortable dans leur groupe se voient brusquement assigner un statut qui change radicalement leur identité, remet en question leur appartenance et finalement les met en danger de mort. La jeune mère de Rosemary's Baby et le locataire du film du même titre plongent dans l'horreur sans jamais avoir de prise sur les forces qui les vouent à l'enfer. La première partie du Pianiste constitue une espèce de matrice de cette descente aux enfers. Ici, ce n'est pas un personnage mais toute une communauté qui se voit dépouillée de sa dignité, puis de son humanité et enfin de sa vie

A la moitié du film, l'Histoire cède la place à une histoire. Au moment où les siens montent dans les wagons à bestiaux, Szpilman est sauvé, arraché à la foule par un de ces policiers juifs qui assurent le bon ordre de l'"évacuation" des habitants du ghetto. Commence alors le récit de sa survie, de l'hiver 1942-1943 à l'arrivée des troupes russes. Le pianiste n'est pas un héros. Il quitte le ghetto à la veille de l'insurrection, qu'il contemple de la lucarne de la chambre où il se cache, et vit de la charité d'amis polonais jusqu'au soulèvement de Varsovie, quelques mois après l'écrasement des insurgés du ghetto. Il erre alors dans les ruines, mû par la seule nécessité de survivre au froid, à la faim et aux troupes allemandes, jusqu'à ce que, dans les derniers mois, un officier de la Wehrmacht lui offre sa protection.

En même temps que l'histoire de Szpilman devient un destin individuel, Polanski et son scénariste, le dramaturge britannique Ronald Harwood, sacrifient aux rituels du genre historique : personnages emblématiques, tirades explicatives. C'est une Polonaise qui, en un petit discours bien senti, fait la leçon au pianiste qui se demande à quoi sert le sacrifice des insurgés du ghetto. La confrontation entre l'artiste et le soldat allemand renvoie aux clichés qui fleurissaient à l'écran, quinze ou vingt ans après la fin de la guerre, sur les trésors d'humanité qui pouvaient se dissimuler sous l'uniforme vert-de-gris. Les quelques scènes qui séparent la libération de l'épilogue montrent un citoyen polonais retournant au sein de la communauté nationale, jusqu'à recouvrer toute sa gloire d'artiste.

Là encore, le recours à des figures éprouvées masque une implication personnelle profonde : des épisodes entiers du Pianiste - la construction du mur du ghetto vue de la fenêtre de l'appartement, le milicien qui dit à Szpilman "ne cours pas" au moment où il échappe à la déportation - sont relatés terme à terme, dans l'autobiographie de Polanski (parue en 1984), enfant juif du ghetto de Cracovie dont la mère n'est jamais revenue de la déportation. Seul le travail d'Adrien Brody qui, très sagement, très justement, limite son registre à la peur et à la rage de survivre, permet d'entrevoir, par éclairs, la vie d'un homme pendant la catastrophe, la profondeur de la plaie, et la souffrance inextinguible qu'elle représente pour un individu qui y a survécu.

Au bout de deux heures et demie d'un film digne dans son refus presque systématique de la manipulation des émotions, mais aussi rebutant par sa réticence obstinée à tomber les masques, l'énigme reste entière. Qui saura jamais pourquoi, de l'histoire qui lui est sans doute la plus proche, Polanski a tiré l'un de ses films les moins personnels ?"


Thomas Sotinel Le Monde du 25.09.2002

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