Alice Heimann, universitaire de formation littéraire, prend possession de son petit bureau à la mairie de Lyon. Elle a pour cela renoncé à un nouveau départ pour l'étranger. Pourtant, son amie Mélinda l'informe que le poste qui lui était destiné a été supprimé la veille de sa prise de fonction. On lui en a bricolé un autre : elle devra faire des fiches afin de donner des idées au maire : "Ton boulot, c’est de prendre du recul". C'est aussi ce que lui confirme Isabelle Leinsdorf, la cheffe de cabinet du maire qui déclare tout de go à propos de celui-ci : "Vous allez nous le sauver".
En effet, quand Alice découvre le maire de Lyon, Paul Théraneau, à la tribune du conseil municipal, elle ne peut que constater l'apathie de son ton qui contraste avec l'apparat et le cérémonial de l'exercice officiel. De retour dans son bureau, elle intitule sa première fiche "Modestie" et cite quelques noms; Georges Orwell, Jean-Jacques Rousseau....
Le jour même elle est convoquée chez le maire qui lui explique que, soudainement il n'a plus eu une seule idée. Après trente ans de vie politique, il se sent complètement vide. Il voudrait qu’elle l’aide à réamorcer le flux d’idées qui a fait de lui le premier magistrat de Lyon, un innovateur politique.
Alice se trouve vite confrontée à Daniel, le responsable de la communication. Elle le contre sur sa réponse vaseuse face à une déclaration du maire que les écologistes ont mal pris. Pour elle, l'écologie est une valeur incontestable mais qui se place au-dessous de celle de la démocratie. Alice se trouve ainsi propulsée à la tête du comité des idées pour le projet "Lyon 2050", jusque là entre les mains du communiquant Patrick Brac. Au cours d'une séance de brainstorming, elle remarque Xavier, petit éditeur, qui la séduit par son discours sur la tradition mais qui l'indispose bien vite par son discours convenu sur la vanité du politique. Elle trouve un réconfort amical auprès de Gauthier, intellectuel de gauche qui a épousé,Delphine, une grande bourgeoise, artiste et militante climatique intransigeante.
Un peu requinqué par le commerce d’Alice, Théraneau se lance à la conquête du Parti socialiste afin d’en être le candidat à l’élection présidentielle. Au moment de faire son grand discours, rédigé avec Alice, au congrès des socialistes qui stigmatise la fascination de l'école pour la fiance, il renonce. Il ne sera jamais président.
Quelques années plus tard, Alice rend visite à Paul qui habite un modeste appartement et s'est retiré de la vie politique. L'un et l'autre ont un avenir ouvert devant eux.
Paul Théraneau le dit en taxi à Alice; entre elle et lui se joue une nouvelle confrontation entre le philosophe et le prince; entre l'intellectuel qui délivre de belles idées et un beau discours et le politique qui doit les mettre en musique pour incarner le changement dont il supporte tous les risques. L'intellectuel se satisfait comme d'une finalité d'un beau discours, rigoureux précis et argumenté. Le politique doit agir, résister aux pressions et mener le projet à son terme. Le film délivre ce beau discours mais ne l'incarne dans aucun projet concret de transformation de la ville de Lyon pas plus que de la France. Le peuple, les citoyens restent absents de la confrontation et le film en reste donc lui-même à l'exercice de style dont il dénonce les limites.
La littérature avant toute chose
Paul Théraneau se méfie des coachs à la mode et espère retrouver dans la culture classique une possibilité de régénération. Alice ne faillit pas à la tache et cite dès la rédaction de se première note Jean-Jacques Rousseau et George Orwell. Mais plutôt qu'à la lecture convenue de cette fiche intitulée "Modestie", c'est dans des moments concrets que le réalisateur va incarner les références citées, évitant ainsi le piège du name-droping.
Alors que son ami Gauthier, intellectuel de gauche, est fasciné par le mordant du discours de l'extrême droite, Alice lui rappelle ainsi la fameuse Common decency de George Orwell. La décence commune théorisée par Orwell fait de la classe ouvrière une source d’autorité morale. Mais se servir du peuple sans en partager le quotidien n'est qu'une stratégie de conquête du pouvoir. Un militant de gauche éduqué et favorisé ne saurait être en capacité d'édicter un point de vue moral ou politique aux catégories sociales défavorisées qu'il prétend défendre s'il n'a pas réellement conscience ou s'il ne partage pas d'une manière où d'une autre leur vie quotidienne et leur réalité sociale.
Même constat de rupture avec le peuple quand Alice offre Les rêveries du promeneur solitaire à Paul Théraneau qui en lit alors les premières lignes : "Me voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que moi-même. Le plus sociable et le plus aimant des humains en a été proscrit par un accord unanime. Ils ont cherché dans les raffinements de leur haine quel tourment pouvait être le plus cruel à mon âme sensible, et ils ont brisé violemment tous les liens qui m’attachaient à eux. J’aurais aimé les hommes en dépit d’eux-mêmes".
C'est par un constat d'impuissance politique que le film se conclut dans un appartement modeste et cette fois pour cadeau la célèbre nouvelle d’Herman Melville, Bartleby, celui qui "Préfère ne pas".
Le peuple qui manque
Dans L'exercice de l'état, le discours politique etait confronté à la problématique de la privatisation des gares et la confrontation avec le chauffeur du ministre. Ici, le peuple est absent ausis bien que tout enjeu concert si ce n'est le projet grotesque de Lyon 2500 avec le personnage de Patrick Brac en consultant politique haut de gamme, creux, machiste et retors. Le personnel politique régional est éponglé dans ses mesquines luttes de pouvoirs autour de la taille d'un bureau. Toutefois, la cheffe de cabinet et le responsable de la communication ne sont si pas mal traités et tous font de bonnes figures de comédie. Le peuple lyonnais se résume à la seeule figure du petit bourgeois libraire bien plus conventionnel que les garnds bourgeois que sont Gauthier et Delphine
Le discours du maire est inspiré du discours du Bourget de François Hollande et son fameux : "Mon ennemi c'est la finance". Alice et Paul font cette fois de l'école la responsable de cette fascination. Elle conduit les jeunes à préférer les écoles de commerce ou les formations bancaires à celles des grands commis de l'état ou d'ingénieur. Pour mordant qu'il soit, ce discours est fortement contestable. L'école est encore l'une des rares sources d'incitation à la culture et la citoyenneté. C'est bien davantage la frilosité des parents face aux choix, souvent désintéressés et courageux de leurs enfants, qu'il faudrait accuser ou le manque de moyens accordées à l'université voir la fascination du cinéma pour l'argent. Quoi quil en soit, ce n'est pas convainquant pour Paul Theraneau lui-même qui renonce.
Le discours non incarné ne saurait faire un grand acte politique mais cela semble bien être le sujet même de cette brillante comédie politique qui offre avec Alice un beau personnage d'intellectuelle et un politique qui sait prendre sa retraite ; c'est modeste et c'est déjà beaucoup.
Jean-Luc Lacuve, le 19 octobre 2019