D'étranges personnages masqués de noir déménagent les affaires personnelles d'un ministre dans un palais de la république. Une jeune femme nue s'avance dans la pièce sous l'il concupiscent d'un crocodile. La jeune femme s'introduit dans la gueule de l'animal.
C'est ainsi que Bertrand Saint Jean, ministre des transports, fantasme la nuit. Ses jeunes collaborateurs de garde au ministère préfèrent leur jeune collègue peu farouche et musique techno pour s'exciter au milieu de la nuit calme. Mais, soudain, le téléphone sonne : un très grave accident d'un car d'enfants vient d'avoir lieu dans les Ardennes. Yan sourit et téléphone au directeur de cabinet, Gilles, qui prévient le ministre avec lequel il entretient une longue relation d'amitié.
L'âge et le nombre des victimes imposent un déplacement immédiat sur place. Après avoir passé de la glace sur son visage, Saint Jean, en pleine nuit, en compagnie de Pauline, sa conseillère en communication, dans sa berline lancée à grande vitesse, gyrophare allumé, sur la route puis en hélicoptère, prépare son discours et sa stratégie communication : promptitude de réaction et solidarité des services de l'Etat. Sur place l'horreur est patente, treize victimes, le cri des mères, l'effroi de survivants. Sur le chemin du retour, Saint Jean dialogue avec sa conseillère sur les retombées médiatiques et le bénéfice qu'il pourra en tirer. Peut-être que ce calcul, qu'il aimerait moins cynique, provoque le vomissement de Saint Jean.
Au matin, Saint Jean est interviewé par Marc-Olivier Fogiel sur Europe 1 chez lequel il déclare qu'il est contre la privatisation des gares. L'émission est à peine terminée que, sur les écrans de contrôle qui surveillent les chaînes concurrentes, il entend que sur RTL son collègue, ministre du budget, Peralta, annonce qu'un projet de privatisation des gares est à l'étude.
Saint Jean obtient du premier ministre un démenti sur cette étude sur la privatisation des gares, mettant ainsi Peralta en porte-à-faux.
Le chauffeur de Saint Jean va bientôt être père et part en congés. Il devra donc être remplacé. Il le sera par un chômeur longue durée, Martin Kuypers, qui fait partie d'un programme de réinsertion médiatique pour lequel chacun des ministères a été mis à contribution.
Kuypers conduit Saint Jean pour une rencontre avec des ouvriers sur un port. Sur la route, le ministre est pris à partie par des manifestants. Il redit à cette occasion qu'il ne sera pas le ministre de la privatisation des gares mais la colère des manifestants l'oblige à fuir sous les huées.
Le premier ministre convoque ses principaux collaborateurs pour décider de la privatisation des gares. Dominique Woessner, directeur de cabinet de Peralta, est désigné pour diriger, depuis son prochain poste de chargé des relations internationales chez Vincy, le rachat par le privé des gares.
De retour à Paris, Saint Jean apprend qu'une grève à l'opéra l'empêche d'y fêter l'anniversaire de sa femme. Il décide d'aller prendre un verre puis propose à Kuypers de faire une surprise à sa femme et s'invitant chez eux.
Pendant ce temps, Woessner rend visite à Gilles, son camarade de promotion de l'ENA, pour l'avertir qu'il doit faire changer Saint Jean d'opinion. Sans quoi, le ministre sera remplacé.
Chez Kuypers, sa femme, Josépha, exprime tout son mépris pour les politiques qui, dit-elle ne cherchent qu'à garder le pouvoir en sautant d'un ministre à l'autre, sans connaitre grand-chose et surtout sans aider les gens de peu. Saint Jean s'entête à boire plus que de raison et, ivre mort, se lance dans la fabrication de béton pour, croit-il, aider Kuypers à finir sa maison. Celui-ci le ramène chez lui.
Le lendemain, Gilles expose à son ministre et ami l'obligation dans laquelle il est d'accepter la privatisation. Saint Jean qui s'est maintenant, le croit-il, trop engagé dans son refus manifesté auprès de l'opinion publique refuse de faire volte-face. Il demande à Gilles, au nom de leur longue amitié, de partager sa position. Gilles, qui ne demande en fait que cela, accepte la position que Saint Jean va devoir défendre contre le premier ministre.
Cependant lors de la réunion ministérielle, le premier ministre annonce clairement que le choix de la privatisation est déjà fait, est irrévocable et sera annoncé dans trois jours. D'ici là, toute fuite sera sanctionnée d'une demande de démission immédiate. Saint Jean plie.
Saint Jean sait que cette volte-face va lui coûter le départ de Gilles. Il lui demande, en guise de dernière mission, de lui trouver un fief électoral qui l'enracinera dans une région française. Alors que Saint Jean s'en va vers un nouveau voyage, Gilles lui propose Dijon. Son maire s'y accroche mais le premier ministre s'arrangera pour le proposer à la cour des comptes ce qui l'obligera à démissionner de tous ses mandats électoraux. Saint Jean vérifie l'information auprès d'un expert juridique. Il n'a guère le temps de s'en réjouir : sa voiture est prise dans un embouteillage qui va le priver de la commission d'investiture. Il demande à Kuypers de prendre une départementale qui aboutit à un tronçon d'autoroute qu'il doit inaugurer la semaine suivante et qui les mènera jusqu'à Chalon.
Kuypers s'engage sur l'autoroute en construction. Et soudain c'est l'accident; la voiture fait plusieurs tonneaux. Le garde du corps comme Saint Jean ne sont que légèrement blessés mais Kuypers a été éjecté. Saint Jean, qui s'est extrait avec peine de la carcasse de la voiture, découvre bientôt le pied arraché de son chauffeur puis le corps amputé de Kuypers, mort. C'est en pleurant qu'il part, sans chaussure, chercher du secours.
Saint Jean est soigné dans une clinique. Sa femme puis ses collègues viennent le voir. Considéré comme un miraculé, il devient intouchable pour l'opinion publique. L'annonce de la privatisation des gares est reportée de trois semaines.
Saint Jean et l'ensemble du gouvernement assistent aux funérailles de Kuypers. Saint Jean y récite de façon muette le discours qu'il avait préparé pour une cérémonie officielle à laquelle s'était opposé Josépha. Dans l'église, pleurent Josépha et sa fille.
Lorsqu'il revient au ministère, Saint Jean doit accepter la démission de Gilles qui, intègre, refuse de participer à la privatisation des gares. Désolé et alors qu'il est sur les toilettes, Saint Jean apprend par un coup de fil du secrétariat de la présidence qu'il va être nommé au ministère de l'emploi et de la solidarité. Il s'en réjouit et annonce à Gilles qu'il refuse sa démission : ensemble, à la tête de leur nouveau ministère, ils vont pouvoir faire de grandes choses.
Saint Jean et Gilles se rendent au palais de l'Elysée où le président donne sa feuille de route au futur ministre de l'emploi et de la solidarité. La colère monte dans tout le pays et Saint Jean est chargé de désamorcer la révolte qui gronde. Le président donne quelques noms à Saint Jean pour former son nouveau cabinet et, devant Gilles, lui indique que celui-ci n'y figure pas car il veut qu'il s'entoure d'hommes nouveaux.
Gilles s'en va seul de l'Elysée. Saint Jean le suit sans chercher
à le rattraper.
La thèse du film est que l'exercice de l'état ne se résume plus aujourd'hui qu'à l'exercice d'un pouvoir de plus en plus réduit. Cette vacuité du sens oblige les hommes politiques à un exercice physique et moral de premier ordre. Au corps politique filmé avec maestria s'oppose le corps du peuple, noble, lucide, criant et mutilé filmé avec une rigueur quasi documentaire qui n'exclut pas quelques incursions dans le fantastique.
L'exercice du pouvoir
La rencontre entre Gilles et Dominique Woessner est explicite quant au pouvoir de plus en plus réduit de l'Etat. Le premier ministre a pris la décision de privatiser parce qu'il a y besoin d'argent pour faire face à la dette. Ce motif passe avant les considérations de protection des salariés ou de justice sociale. L'Etat n'ayant plus de pouvoir, Woessner préfère aller l'exercer dans le privé où il reste des marges de manuvre. Les hommes politiques doivent mettre toute leur énergie à se maintenir au gouvernement en espérant, de temps en temps, faire passer ou contrecarrer une loi. Saint Jean qui, avant que ne commence le film, a déjà privatisé les ports, aurait aussi bien pu privatiser les gares. S'il s'y oppose, c'est parce que le journaliste l'a obligé à prendre une position publique et que son collègue du budget l'a mis en défaut en annonçant le contraire au même moment sur RTL. Engagé sur cette voie, il tente de réunir autour d'elle ses collaborateurs mais fait rapidement volteface lorsqu'il voit que le premier ministre a déjà pris sa décision.
Le corps du peuple...
Face aux politiques, toujours fuyant et discourant, se dressent les figures du peuple. Kuypers, interprété par Sylvain Deblé qui n'a jamais fait de cinéma, oppose son mutisme à l'arrogance de Yan, brillamment interprété par le jeune Laurent Stocker de la Comédie Française, lui débitant sa vie qu'il a facilement apprise par cur. Il fera preuve du même mutisme face au délire verbal de Saint Jean, l'excellent Olivier Gourmet, venu chez lui. Ce souci d'un double casting avec d'un côté des acteurs très brillants et, de l'autre, des acteurs non professionnels donne toute sa force à la contestation du peuple : les ouvriers debout sur le port, sans illusion sur le discours du ministre, les chômeurs sur le perron de l'Elysée refusant de sourire au maigre emploi que l'on leur propose en dépit des quolibets des journalistes.
... amputé par le crocodile
Schoeller décrit de façon sans doute très vraisemblable le fonctionnement du pouvoir et ce sans jamais caricaturer ses personnages. Il dénonce pourtant l'absence totale de sens de cette façon d'exercer le pouvoir. La complète vacuité de cet exercice de l'Etat est redoublée par une absence de capacité à changer l'exercice du pouvoir. Le chauffeur, jeune père, aura seul l'occasion de changer. Du moins est-ce sans doute le sens de cet épisode, comme hors du temps, souligné par une musique qui ne l'est pas moins où il porte son bébé. Mais ni l'accident dans les Ardennes, ni celui de son chauffeur pas plus que la conversation avec Josépha ne peuvent modifier Saint jean. Il fonctionne comme une machine connectée (portable qui s'affiche à l'écran).
Pour marquer sa colère vis à vis de cet état de fait désespéré, Schoeller redouble le double casting des corps par un double régime du fantastique. Dans le fantasme érotique du début, le crocodile ministre rêve de "se faire" une belle jeune femme. En fait, il ne va "se faire" que le peuple !
L'accident de l'autoroute est en effet filmé avec une dimension d'étrangeté qui le place sur un plan bien plus fantastique que réel. Jamais ne sera expliquée la cause de l'accident alors que son sens métaphorique n'échappe à personne : Saint Jean quitte l'autoroute encombrée (la France engluée) pour s'engager sur une voie déserte (d'où le peuple est absent), faisant fi des règles qui s'imposent normalement à tous (position surplombante sur le peuple). Le politique, en ignorant le peuple et en ne partageant pas son destin, s'égare et mène le pays dans le mur. Pour la classe dirigeante, ce n'est qu'une péripétie, douloureuse certes, mais dont elle se remet rapidement, comme si de rien n'était. La vraie victime, pourtant innocente, est le peuple, silencieux et souffrant (amputation et décès du chauffeur). Schoeller montre trois fois le plan gore sur la jambe pour ne rien édulcorer la violence qu'impose le pouvoir actuel aux plus faibles.
Sans critiquer l'intelligence ou même la sensibilité des gouvernants, Schoeller ne cesse dans ce film haletant de faire sourdre la menace de la sortie de route mortifère. L'accident d'autoroute avait en effet été évoqué avec l'arrêt d'urgence pour vomir au début et avec le morceau de pizza qui fait fausse route (sic) et manque d'étouffer Saint Jean. Cette colère sourde et rentrée n'en est que plus vivement ressentie par le spectateur.
Jean-Luc Lacuve le 09/12/2011 (après le débat au Café des Images avec Carole Desbarats)