Sur les lieux de l’extermination des Cambodgiens par les Khmers Rouges, la nature a repris ses droits. Pourtant, les morts affleurent sous le vert des rizières, au pied des kapokiers — leurs ossements mis en terre et les âmes en souffrance, privées de nom par le génocide cambodgien. Il suffit d’une souche anthropomorphe couchée dans une flaque pour qu’un cadavre s’offre au regard. D’un masque posé dans l’herbe ou d’une brise animant une bande de tissu pour qu’on se dise : les âmes sont là, présentes dans cette plaine où Rithy Panh, enfant, a enduré la barbarie khmère rouge et où il nous emmène, poursuivant son travail de documentation avec ce nouveau film d’une étonnante puissance évocatoire
Le cinéaste de L’Image manquante et d’Exile invoque les esprits et n’hésite pas à paraître à l’écran, répondant à l’invitation d’un bonze ou d’une chamane pour entrer en contact avec son père défunt. Portée par les mots de Christophe Bataille et la musique de Marc Marder, sa quête croise des témoignages d’anciens déportés qui disent la mort, la peur, la faim. Mais c’est dans les cérémonies et dans l’exploration tant poétique que physique des lieux, dans la terre dont ses doigts extirpent une dent comme dans la manipulation de dix petits cercueils, que se joue pleinement son rapport à celles et ceux dont il porte le deuil pour pouvoir dire enfin « je suis vivant »