I) Le Masque - Ancien séducteur, un vieillard court les Palais de la Danse, son visage ridé couvert d'un masque de jeune homme. Victime d'une attaque en plein bal, il est ramené par un docteur chez Denise, son épouse résignée qui lui raconte l'histoire Ambroise, son mari.
II) La Maison Tellier - Des pensionnaires d'une maison close, sous la conduite de leur patronne, la digne Madame Tellier, sont invitées à une première communion à la campagne. Le silence champêtre, la ferveur des communiantes, le souvenir de leur enfance les plonge dans un bain de pureté et d'émotion, qui se communique à tout le village.
III) Le Modèle - Un couple de jeunes artistes s'aime à la folie... jusqu'au jour où la lassitude s'installe. Il s'enfuit, elle menace de se jeter par la fenêtre, il ne la croit pas, elle s'exécute... Pour réparer, il l'épouse, alors même qu'elle est paralysée à vie. Un narrateur commente chacune de ces histoires et en tire la morale : si le plaisir est chose facile, le bonheur assurément n'est pas gai...
Le choix du cinéaste s'était porté sur trois nouvelles : Le masque, La maison Tellier et La femme de Paul, cette dernière devant être remplacée in extremis pour des raisons financières par Le modèle.
Ce morcellement de la construction n'implique nullement la division traditionnelle en sketches séparés les uns des autres. L'on a affaire plutôt à un triptyque tel qu'en peignaient les artistes du moyen âge et dans lequel le volet droit et gauche répondent symétriquement au panneau central.La voix du narrateur, personnage d'ombre, est d'ailleurs là pour relier subtilement entre eux les trois épisodes.
C'est le second qui retient d'abord l'attention. Des pensionnaires d'une maison close s'en vont à une première communion à la campagne. Elles y découvrent, non des motifs de plaisanteries scabreuses, mais la pureté. Pureté des communiantes vêtues de blanc, pureté des fleurs et de la nature en fête, pureté architecturale d'une église normande. Par manière de réciprocité, le paysan du cru qui les accueille connaîtra les joies factices du plaisir, tôt enfui. De cette confrontation de deux mondes, la nature d'une part et de l'autre le libertinage froufroutant, et de leur impossible conciliation, naît une sourde nostalgie.
A cette nuance de mélancolie répondent les tons beaucoup plus sombres des deux volets extérieurs: sur l'un (Le masque), une épouse résignée attend fidèlement son vieux mari qui chaque soir court le palais de la danse, son visage ridé couvert d'un masque de jeune homme. L'autre (Le modèle) nous dépeint la séparation tragique d'un couple de jeunes artistes, dont l'amour a mal résisté à l'épreuve du temps.
La leçon est claire et prolonge celle dégagée par La ronde : pour tous les âges le plaisir est facile mais contrecarre presque toujours le vrai bonheur. Le bonheur n'est pas gai, conclut le narrateur, le bonheur est une longue patience, non une tourbillonnante folie.
Or la tentation est grande pour l'être humain (et pour le cinéaste) de se laisser aller à la griserie de mouvement, alors que le repos et la médiation solitaire sont les seules réalités essentielles. On voit que Maupassant a été bel et bien laissé en chemin. En revanche Pascal, et sa critique du divertissement ne sont pas loin. Ophuls domine sa mise en scène comme jamais. La première séquence du masque s'ouvre par un travelling d'accompagnement étourdissant, qui nous plonge d'entrée de jeu dans cette frénésie (infernale) du plaisir. Quant à la maison Tellier, nous n'y pénétrerons jamais, la caméra se bornant à serpenter autour de ses fenêtres, de l'extérieur comme un lierre naturel.
Jacques Lourcelles, Dictionnaire des films