Prologue : "Christophe Colomb signait ainsi : un X surmonté d'un S. Un M avec un A au-dessus, lui-même surmonté d'un S. Puis un Y avec un S au-dessus. Colomb n'est pas né à Gênes et Colomb n'est pas son nom de baptême. Il le porta ensuite comme symbole phallique ou protecteur des causes vierges. Les historiens d'autrefois utilisaient les textes pour discréditer les thèses d'autrui et faire disparaître toute idée que Colomb aurait pu naître autre part qu'à Gênes. Aujourd'hui heureusement on traite l'histoire différemment. Certains prônent la vérité avant tout"
L'émigration 1946. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, Manuel Luciano da Silva et son frère Herminio quittent Porto pour rejoindre leur père aux Etats-Unis laissant leur mère sur le quai. Elle les rejoindra plus tard. L'ange de la république les regarde embarquer.
Arrivés dans le brouillard dans le port de New York, Manuel et Herminio ne peuvent distinguer la statue de la liberté. Au contrôle de l'émigration on leur confisque leurs partitions musicales. Leur père leur fait dire, par un compatriote qui porte le même nom qu'eux, qu'ils pourront travailler dans son usine de la 23ème rue.
En 1957, Manuel Luciano est médecin dans le Massachusetts bien que diplômé de l'université de Coimbra au portugal. Il est un médecin reconnu et donne une conférence expliquant que mener une enquête scientifique ou une enquête historique, c'est la même chose. Il s'est fait un nom comme spécialiste de l'histoire de Christophe Colomb qui s'appellerait Colon et serait le bâtard d'une noble famille du sud du Portugal. Ceux qui assistent à sa conférence disent qu'il va se marier bien qu'il ait une maîtresse : le rocher de Dighton où, d'après lui, Colon aurait rêvé de partir découvrir L'Inde.
En 1960, Manuel Luciano se marie à la Cathédrale de Porto alors que son frère Herminio est resté passionnément attaché à Hollywood. Manuel se marie avec Sílvia Jorge avec laquelle il part en voyage de noce dans l'Algarve, la province natale de celle-ci, qui est aussi celle de Christophe Colon. Ils essaient vainement de trouver la maison de Isabel Gonçalves Zarco, la mère de Colon à Cuba, nom qu'il aurait donné à l'île qu'il découvrit en arrivant au terme de son voyage.
Ils partent ensuite sur les traces de la famille royale du duché de Beja à l'origine de la grandeur du Portugal auquel aurait pu être lié Salvador Fernandes Zarcos, futur Colomb. Il serait le fils naturel de Ferdinand du Portugal, premier duc de Beja, et de Isabel Gonçalves Zarco, dame de la cour marié au juif portugais Joao Gonçalves Zarco, fils du navigateur qui découvrit l'île de Porto Santo en 1418, un an après celle de Madère. Colomb serait ainsi un fils de la dynastie d'Aviz.
Manuel et Silvia se rendent au tombeau, pillé par les troupes de Napoléon, de Ferdinand de Portugal. Ils se rendent ensuite à la Vila do Infante au Cap de Sagres, lieu le plus occidental du Portugal, lieu de mémoires consacré aux rois portugais.
2007, 47 ans plus tard. Manuel Luciano et Sílvia Jorge sont à New York et le premier montre à sa femme émerveillée les hommages des nations à l'Amérique découverte par Colomb : la statue de l'ange protecteur des navigateurs par les Italiens et la Statue de la liberté offerte par les Français. Déclaration d'amour mutuel après 40 ans de vie commune et des passions communes pour leur travail.
Au parc fédéral du rocher de Dighton, Manuel Luciano et Sílvia Jorge admirent la maquette du Saint Gabriel avec lequel Vasco de Gama a navigué jusqu'en Inde en 1498 et celle de La Victoria, utilisée par Magellan pour son premier voyage autour du monde entre 1519 et 1522 au service de l'Espagne
Bref retour aux USA pour contempler une construction octogonale construite
du temps de Colomb, semblable à une autre au Portugal.
Aéroport de l'île de Porto Santo au Portugal. Manuel Luciano y est reçu comme spécialiste de Colomb pour la maison du souvenir évoquant son départ de l'île pour la découverte de l'Amérique. Encore vide, la maison est, pour tous, l'occasion d'évoquer les grands poètes portugais.
En moins d'une heure trente, avec un formidable humour pince sans rire, une culture sans faille et une mise en scène d'une grande splendeur formelle, Manoel de Oliveira réussit, après Non ou la vaine gloire de commander ou Un film parlé, un nouveau film à la gloire du Portugal. Cette fois-ci, c'est aussi le couple qu'il élève à la même dimension du mythe.
La gloire du Portugal
Au parc fédéral du rocher de Dighton dans l'île de Porto Santo, Manuel Luciano et Sílvia Jorge admirent la maquette du Saint Gabriel avec lequel Vasco de Gama a navigué jusqu'en Inde en 1498 et celle de La Victoria, utilisée par Magellan pour son premier voyage autour du monde entre 1519 et 1522 au service de l'Espagne. Mais on y parlera aussi des autres navigateurs qui firent des portugais, les premiers à découvrir les cinq continents : Corte Real qui navigua en Afrique, Pedro Alves Cabral qui découvrit le Brésil et Fernand Mendes Pinto la Chine et le Japon.
Il restait bien sûr à annexer Christophe Colomb, en faire un descendant bâtard de la dynastie d'Aviz, la deuxième des quatre dynasties du Portugal. Dès 1946, Manuel Luciano en regardant la statue de Jean 1er affirme que c'est à partir de lui que l'on a pensé les grandes découvertes. Il ne reste qu'à faire du futur Christophe Colomb son demi-frère. Celui-ci serait le fils naturel de Ferdinand du Portugal, premier duc de Beja, et de Isabel Gonçalves Zarco, dame de la cour marié au juif portugais Joao Gonçalves Zarco, fils du navigateur qui découvrit l'île de Porto Santo en 1418, un an après celle de Madère. Ultime preuve de l'origine portugaise de Christophe Colomb le nom de Cuba donné à la plus grande île des Antilles en hommage à sa ville natale.
Le Portugal devient alors bien plus grand, bien plus beau que l'Amérique. On verra ainsi la statue de la liberté, non pas comme un symbole de la liberté donnée par l'Amérique aux émigrants (ils la voient dans leur brouillard et, en guise de liberté, on leur confisque leurs partitions), mais comme un don de la France à la gloire de l'Amérique découverte par Colomb. La modernité de l'Amérique, ces feux rouges et verts qui rythment la circulation sont inspirées des couleurs du drapeau portugais. Silvia ira aussi jusqu'à s'étonner de la rage des républicains de détruire des anges catholiques alors que ceux-ci portent des habits à ses couleurs. Du pont de Brooklyn, on ne verra que de maigres barreaux alors que le pont de Porto sera montré dans toute sa splendeur. De même lors d'un bref retour en Amérique, on ne verra qu'une grise tour octogonale censée être la copie d'un édifice portugais, lui pris dans une belle photo en couleur.
Un mémorial Colomb à Porto Santo se justifie aussi bien que les monuments élevés à la gloire de Gagarine en Russie ou de John Glenn aux Etats-Unis.
Physique et métaphysique...
Cette interprétation est soutenue par la démarche scientifique de Luciano qui déclare appliquer à ses recherches historiques la même méthode que celle lui permettant de faire le diagnostique de ses patients. Il va pourtant sans dire que Oliveira observe tout cela avec un point de vue plus surplombant encore comme l'indique la dernière phrase du prologue : "Certains prônent la vérité avant tout".
Il fait bénéficier à Luciano et Sylvia de la protection de l'ange du Portugal car ils sont investis de cette même idée de la grandeur du Portugal que les grands navigateurs, pionniers du monde moderne. L'ange semble aussi les approuver dans leurs voyages en contemplant les symboliques châteaux du drapeau du Portugal qu'ils sont eux en train de visiter pour retrouver les traces portugaises de Colomb.
Enfin les plans de ciels et la musique lyrique sont employés avec une dimension lyrique et panthéiste que ne renierait pas le Godard de Je vous salue marie.
...à la gloire du couple
En interprétant lui-même le rôle de Manuel âgé et plus encore en confiant à sa femme le rôle de Silvia, Manoel de Oliveira se met dans la même position de fabricant de gloire que son personnage.
Oliveira s'inscrit dans la continuité des hagiographes du Portugal. Cette continuité n'est possible qu'à partir du couple comme perpétuant la descendance et la tradition. En présentant son film en avant-première au Latina, Oliveira tenait à expliquer pourquoi la bande sonore du mariage se prolonge au-delà de la séquence dans la cathédrale. Pour lui, le mariage a une valeur symbolique. C'est l'alliance du féminin avec le masculin. Il exprime ainsi la continuité de l'humanité nécessaire à l'intérêt de la découverte de nouveaux territoires.
La suprême élégance du film est d'alléger le panthéisme du film par une forme brève et surtout un humour incontestable.
Luciano avoue que depuis 1988, il pourrait prouver la validité de ses hypothèses avec une analyse de l'ADN des ossements de la famille des premiers ducs de Beja qu'il suffirait de confronter aux restes de Colomb.
Mais surtout la déclaration d'amour à 80 ans passés pour les personnages et cent ans pour les interprètes est charmante. Sont également interprètes du film les membres de sa famille : les Trepâ et les Baldaque. Le tranquille et opiniâtre amour du couple s'oppose aux paillettes hollywoodiennes comme l'avait déjà noté Manuel lors de leur voyage de noces : on restera ensemble pour toujours avait-il dit. "Plus que ton frère à Hollywood" avait répondu Silvia.
Jean-Luc Lacuve, le 09/07/2009 (après celle du 27/09/2008 lors de la sortie salle)
Editeur : Epicentre juin 2009.
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