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Take shelter

2011

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Cannes 2011  : Semaine de la critique Deauville 2011 Avec : Michael Shannon (Curtis LaForche), Jessica Chastain (Samantha 'Sam' LaForche), Katy Mixon (Nat), Shea Whigham (Dewart), Ray McKinnon (Kyle), Kathy Baker (Sarah). 1h56.

Grafton, comté d'Elyria dans l'Ohio. Jeudi. Devant sa maison, Curtis LaForche voit une tornade approcher. Il prend une douche puis son petit déjeuner avec sa femme, Sam, et sa petite fille, Hannah, qui est sourde.

Lorsqu'il se rend ensuite au travail, le ciel est dégagé. Son collègue et ami, Dewart, avec lequel il travaille sur un chantier de fabrication de sable, lui fait remarquer qu'ils devront sans doute finir tôt car l'orage menace.

Sam reçoit chez elle, Nat, la femme de Dewart et une autre amie. La discussion est interrompue par Hannah qui joue, sans conscience du danger, avec une planche cloutée. Curtis et Dewart sont au café plus tôt qu'habituellement car, comme ce dernier l'avait prévu, le travail est impossible sous la pluie. Dewart, qui ne désire plus sa femme, n'est pas pressé de rentrer chez lui. Il complimente Curtis pour la vie droite et belle qu'il mène avec Sam.

Rentré chez lui, Curtis discute avec Sam qui, lui racontant l'épisode de la planche cloutée, lui demande de ranger les détritus qui pourraient être dangereux pour leur fille. Le couple de parents regarde, attendri, leur fille dormir.

Curtis range les détritus et voit la tornade approcher. Leur chien, Red, aboie et tire tant et tant sur la corde qu'elle se rompt et Red s'en vient mordre Curtis au bras qui hurle de douleur. Ce n'était qu'un cauchemar.

Vendredi. Au petit déjeuner, Sam demande à Curtis, qui regarde, angoissé, Red jouer avec Hannah, de rentrer pour 18h00. Curtis est contrarié de voir le chantier arrêté par un problème mécanique sur la foreuse. Il hallucine un vol d'oiseaux. Il rentre tard du travail et n'a pas le temps de prendre une douche avant de se rendre à l'école des sourds. Sam lui en veut mais finit par se réconcilier avec lui dans l'ambiance bon-enfant de l'école.

Une pluie violente s'abat sur la route et Curtis a un accident en conduisant sa fille à l'école. Blessé, il voit des gens sur la route briser les vitres de sa voiture et se saisir de Hannah et de lui. Ce n'était qu'un cauchemar.

Samedi. Sam amène Hannah sur son stand de vente de broderies. Curtis clôture de grillage la niche du chien. Il ouvre l'ancien abri. Le soir, la télévision rend compte d'un nuage toxique sur Bukersville qui a causé la mort d'une famille. Chez lui, un homme tente d'ouvrir la porte.

Alors qu'il se précipite pour sauver sa fille, les meubles se mettent à léviter. Ce n'était qu'un cauchemar.

Dimanche. Ce cauchemar est accompagné d'incontinence et Curtis empêche sa femme d'approcher. Sam est inquiète de l'état de fatigue de Curtis qui décide de prendre rendez-vous avec le docteur Shannan. Sam rejoint ses parents avant la messe et demande à Curtis de les retrouver un peu plus tard avec Hannah. Curtis, après avoir lavé les draps, décide néanmoins de se rendre avec sa fille à bibliothèque d'Elyria emprunter un livre intitulé "Comprendre les maladies mentales". Il passe aussi dans un supermarché acheté des conserves. Il arrive ainsi très en retard chez lui où ses beaux-parents lui reprochent de n'avoir pas assisté à la messe. Il annonce son envie de rénover l'abri anti-tempête ce que la nuit il fait avec soin pour lire ensuite son livre.

Lundi. Curtis arrive fatigué chez Shannan, son médecin traitant auquel il déclare mal dormir depuis quatre nuits. Celui-ci lui recommande un psychiatre à Columbus
Dewart. Sam obtient un rendez-vous pour un implant auditif remboursé pour Hannah. Curtis achète ses somnifères, mal remboursés. Le soir, Sam fait avec Curtis le projet de vacances à 900 dollars la semaine. Il prend ses somnifères et ne rêve pas

Mardi. Mais sur le chantier, Curtis a des hallucinations sonores du tonnerre qui gronde. Il vomit et s'enfuit du chantier. Sur le chemin du retour, il tombe en arrêt devant des containers à vendre. Il rend visite à sa mère, internée depuis 1986 alors que son frère Kyle entrait en terminale, il avait dix ans. Sa mère ne faisait pas de mauvais rêve mais était prise de panique : elle pensait que des gens l'écoutaient et la surveillaient. En rentrant de voiture, il téléphone à George Shannan que Columbus est trop loin pour consulter le psychiatre. Le soir, il est paisible avec sa femme et regarde son enfant. Il établit un budget pour l'abri qui s'élève à 6 875 dollars.

Mercredi. Curtis négocie un prêt risqué à taux variable avec hypothèque. Dewart le couvre par rapport à son chef vis à vis de sa fuite de la veille. Ils parlent du repas du Lions club. Il a besoin d'une pelleteuse et d'une benne pour samedi.

Jeudi. Curtis rencontre Kendra et lui déclare s'être auto-diagnostiqué cinq symptômes associés à la schizophrénie : délires, hallucination, langage et comportement incohérents, symptômes déficitaires. Il présente seulement deux symptômes et n'a que 5/20 au test qui fait démarrer à 12/20 le diagnostic de schizophrénie. Il ne diagnostique qu'un épisode psychotique. Il demande un traitement que Kendra décline. Elle n'est que psychologue et peut seulement parler avec lui notamment de la schizophrénie paranoïde qui frappa sa mère à 30 ans. Curtis avoue son angoisse de lui ressembler maintenant qu'il a 35 ans. Il avait alors dix ans et son frère avait 17 ans. Il avait été abandonné dans un parking alors que sa mère fuyait vers le Kentucky. C'est son père qui s'était occupé d'eux mais il est mort en avril dernier.

Vendredi. De retour de l'école des signes, Curtis a, en pleine nuit, des hallucinations d'éclairs.

Samedi. Curtis creuse l'abri pendant que Sam est au marché. De retour, celle-ci s'emporte : pourquoi a-t-il mis Red dehors ? Pourquoi passe-t-il ses nuits dans l'abri ? Curtis refuse de s'expliquer et double sa dose de somnifères. La crise se déclenche dans la nuit. Devant ses convulsions et le sang, Sam appelle une l'ambulance. Curtis s'explique enfin. Ses hallucinations commencent par une tempête avec une pluie épaisse comme une huile de moteur. Les gens, dit-il, ça les rend dingue et ils s'attaquent à Hannah et moi. Dans le premier Red l'attaquait. Plus que rêve des sensations aussi.

Lundi. Rendez-vous est pris avec un médecin conventionné avec la mutuelle pour une opération le 21 du mois suivant, dans six semaines.

Curtis demande à Jim, son patron, de ne plus travailler avec Dewart. La femme de celui-ci, Nat, s'inquiète de la santé de Curtis, Sam la rassure. Curtis achète des masques à gaz. Il installe l'eau courante dans l'abri lorsque Kyle, son frère appelé par Samantha, tente de le ramener à la raison. Curtis rêve alors de sa femme, trempée de pluie avec un couteau à proximité. Il aperçoit Jim dans le jardin. Son patron est venu examiner les travaux effectués avec ses engins de chantier sans son autorisation. Jim renvoie Curtis que Dewart, meurtri, avait dénoncé. Il a encore deux semaines d'indemnités. Sam l'annonce à sa femme qui se désespère pour la fin prématurée de la mutuelle et le gifle.

Curtis retourne au dispensaire. Kendra est partie en formation à Columbus et le nouveau psychologue qui l'accueille n'a pas eu le temps de consulter son dossier. Curtis s'en va, découragé. Sa femme accepte toutefois de rester avec lui s'il vient au Lions club le dimanche. Là, Dewart s'en prend à lui. Ils se battent. Curtis annonce à l'assemblée interloquée une tempête à venir. Comme il bricole dehors, il court sur la route protéger sa fille. Ce n'était qu'un cauchemar. Mais, alors qu'il se réveille, la sirène de tempête du village se déclenche. Curtis se précipite dans l'abri et demande à Sam et Hannah de porter un masque à gaz. Il s'endort en les rassurant. Au matin, il est surpris de voir Sam et Hannah débarrassées de leurs masques. Sam le convainc de sortir de l'abri car la tempête a cessé. Curtis ouvre la porte et constate que c'est bien le cas.

Sam et Curtis sont chez le psychiatre de Columbus. Celui-ci leur explique qu'il faudra une longue thérapie pour que Curtis se défasse de sa psychose. En attendant, il leur conseille de prendre des vacances loin de l'abri. La famille s'en va donc pour la maison de vacances de Myrtle Beach (Caroline du Sud). Alors que Curtis joue avec sa fille sur la plage, Hannah voit une tempête s'approcher. Curtis, qui a vu la même chose, sollicite du regard Sam qui confirme qu'elle aussi voit la tempête avec sa pluie de graisse jaune. La famille fait front face aux tornades qui approchent.

Jeff Nichols parvient à visualiser sous forme de déchainement cosmique une crainte qui trouve son origine au sein des pressions sociales que subit un américain moyen d'un petit village de l'Ohio, désespéré de ne pouvoir protéger sa famille comme il le souhaiterait. Ce faisant, il constitue un couple de cinéma particulièrement tendre et émouvant qui survivra probablement à une fin de film particulièrement ambiguë.

L'Americana qui souffre

Les quatre premiers plans du film donnent le ton du film. Le vent souffle dans les arbres ; un homme est devant sa maison ; il voit une tornade qui approche et angoisse. S'exprime ainsi l'angoisse de l'américain moyen qui se sent incapable de protéger ce qu'il aime face à un monde extérieur qu'il ne maitrise pas. Tout se joue dans ces quatre temps : la réalité météorologique objective, l'origine de la psychose puis la visualisation et l'intériorisation de celle-ci.

Les quatre premiers plans du film
(Les voir dans leur contexte)
1 - l'orage menace
2 - Curtis devant les symboles de la réussite économique petite bourgeoise : maison et voiture
3 - épisode psychotique : angoisse transformée en tempête
4 - raccord dans l'axe inverse pour être dans la tête de Curtis
   

Curtis est tout nouvellement nommé chef de chantier, il n'a pas l'expérience du management et est angoissé par tout retard alors que Dewart, son ami et subordonné profite le mieux qu'il peut des intempéries. Curtis a aussi l'angoisse d'avoir à soigner sa petite fille sourde. Enfin il a peur de finir dans une résidence médicalisée comme sa mère qui a été frappée d'une schizophrénie paranoïde à 30 ans alors qu'il en a lui-même aujourd'hui 35

Curtis fait beaucoup d'efforts pour être aussi normal que possible. Il se consacre à sa famille car il n'a pas reçu la même attention avec sa mère folle et son père mort récemment. Il ne veut pas apparaître faible et incapable de s'occuper de sa famille. C'est humiliant pour lui de raconter ses visions, ce qu'il ne fait qu'après une grave crise et comme si on lui arrachait les mots de la bouche car il veut que Sam se sente en sécurité. Il ne veut pas qu'elle sente qu'elle ne peut plus lui faire confiance.

Ces pressions sociales, économiques, psychologiques qui s'exercent sur lui le conduise comme il s'auto-diagnostique lui-même à un épisode psychotique. Lointainement, Curtis ressent la peur de bien des Américains face aux guerres atomiques qui leur fait construire des abris, peur qui s'est exacerbée avec les attentats de septembre 2001. Il ressent aussi la dureté économique du krach boursier de 2008 qui conduit son frère mais aussi son banquier à l'avertir des dangers du crédit. Mais les onze hallucinations ou cauchemars sont appelés plus simplement par des causes concrètes et personnelles liées à la situation familiale ou économique de Curtis

Jour et cause apparente
Description
Type
1- jeudi - cause économique : maison
Tornade du matin
hallucination
 
2- jeudi- cause familiale : planche cloutée dangereuse pour Hannah
attaque du chien
cauchemar
 
3 - vendredi - cause économique : chantier arrêté
Les oiseaux du chantier
hallucination
 
4- vendredi - cause familiale : après la séance à l'école des sourds.
L'accident de voiture
cauchemar
 
5- samedi soir- cause familiale : nuage toxique sur Bukersville qui a causé la mort d'une famille
Lévitation et agression
cauchemar
 
6- mardi-cause économique
Hallucinations sonores sur le chantier
hallucination
 
7- vendredi -cause familiale : retour de l'école des signes
hallucination d'éclairs nuit
hallucination
 
8 -samedi soir -cause économique : rêve non visualisé de Dewart le poursuivant avec une pioche enfoncé dans sa jambe
convulsions , se mord la bouche
Cauchemar
 
9 -mercredi -cause familiale : Sam a appelé son frère
sa femme, trempée de pluie, avec un couteau à proximité
hallucination
 
10 - dimanche soir - cause familiale : traumatisme du Lion's club
Court sur la route protéger sa fille
Cauchemar
     
11- chez le psychiatre - cause familiale : rêve d'une famille unie face aux difficultés
Tornade sur la plage
rêve éveillé
     

Une fin ambiguë

Curtis n'a pas besoin, le croit-il d'un psychiatre qui coûte cher (il renonce en voyant le prix de l'essence s'afficher au compteur de la pompe à son retour de Columbus) car il ne souffre pas du même mal que sa mère. Celle-ci entendait des voix et croyait que tous complotaient contre elle. Curtis n'est donc pas fou et pourtant la scène finale ne peut être interprétée comme l'approche d'une tornade réelle.

Le film est en effet bien ancré dans la réalité de 2010. La folie de la mère se déclencha en 1986 alors que Curtis avait 10 ans et il en a aujourd'hui 35 et le calendrier dans le bureau de Jim indique bien l'année 2010. Il ne s'agit donc pas d'une œuvre d'anticipation. Or aucune tempête d'ampleur importante n'a ravagé Myrtle Beach en Caroline du sud en 2010. Nichols ne peut donc pas y déclencher une apocalypse réelle. Il est par ailleurs peu probable que le couple au chômage se paie des vacances aussi dispendieuses qui représentaient déjà un sacrifie en période de prospérité.

La fin est donc un fantasme mis en scène avec soin par Nichols comme els dix précédents cauchemars et hallucinations. Classiquement un rêve est pris en charge par le dernier personnage vu dans le plan qui le précède. Ici, seul Curtis nous fait face car Sam se tourne vers lui et le regarde. Il accepte le diagnostic du psychiatre et s'échappe une dernière fois dans ce qui est probablement un rêve éveillé. L'interprétation de celui-ci est ambiguë. Curtis rêve simplement, nous semble-t-il, que sa fille et sa femme voient enfin la même chose que lui. Ils sont enfin réunis dans une vision commune qui les laisse prêt à affronter les difficultés qui s'amoncellent.

Les effets spéciaux parfois un peu trop jolis de la société Hydrolx (nuages d'oiseaux noirs, lévitation, pluies torrentielles, tornades et cieux menaçants) ne doivent en effet pas faire oublier que le trajet de Curtis est d'échapper à l'abri artificiel qu'il s'est construit pour le trouver dans sa famille. L'attention que Curtis manifeste à sa famille n'a d'égale que la tendresse de sa femme envers lui et leur commune attention envers leur fille. La tornade, les évènements de la vie briseront peut-être le père, la mère et l'enfant. La vision de Curtis n'est néanmoins pas si noire ; c'est celle d'un avenir menaçant mais où l'espoir est permis puisque la famille s'est reconstituée.

Jean-Luc Lacuve le 03/01/2012 puis apres le débat du 06/09/2012 et la conférence du 07/09/2012 à Deauville.

Test du DVD

Editeur : Ad Vitam. Mai 2012. Coffret 2DVD. 26 €.

Suppléments : Préface de Michel Ciment (2'30), Entretien avec Jeff Nichols (12'), Entretien avec Michael Shannon (15'), Le making of (10'),Scènes coupées (6') et bande annonce, Les commentaires de Jeff Nichols et Michael Shannon.

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