Michele Apicella est un jeune cinéaste en tournée de débats, s'adressant au public dans les universités, les écoles, les instituts religieux après la projection de ses films et notamment du dernier, sur les jeunes. A chaque réunion, il est taxé d'intellectualisme et on lui demande s'il pense pouvoir intéresser l'Italie profonde avec un tel film où il parle si mal des jeunes. Un membre du public insistant apparaît à tous les endroits et dit à Michele que ses films manquent de pertinence sociale, le mettant au défi de "montrer ce film à un ouvrier de Basilicate, un berger des Abruzzes ou une femme au foyer de Trévise".
Après avoir terminé la tournée de conférences, Michele rentre chez lui dans la maison qu’il partage avec sa mère et commence à travailler sur un nouveau projet, un film intitulé La maman de Freud. La pression de faire le film lui pèse, et il se retire dans un monde de rêve dans lequel il est enseignant dans un lycée et tombe amoureux de l'une de ses élèves, Silvia. Le rêve devient cauchemar quand Silvia annonce qu'elle déménage en Argentine pour deux ans avec son amoureux.
La réalisation du film ne va pas sans difficultés et renoncements. D'autant que Gigio Cimino, un jeune talent qui imite Michele et que Michele méprise cordialement, réalise avec l'aide de son producteur une comédie musicale sur mai 1968.
Leurs films sortent en même temps et Michele est invité avec Cimino à un débat télévisé qui oppose les cinéastes comme s'ils étaient des adversaires sportifs. Michele finit par succomber à son rival plus jeune. C'est apparemment sans conséquence puisqu'un ouvrier de Basilicate, un berger des Abruzzes et une femme au foyer de Trévise abandonnent leur tache toute affaire cessante pour venir assister à l'une de ses projections.
Dans le rêve, Silvia revient mais Michele est au bord du gouffre. Il se transforme en loup-garou et la chasse hors d'un restaurant, en criant "Je suis un monstre et je t'aime !"
Troisième film de Moretti et troisième film dans lequel il joue le rôle principal d'un réalisateur nommé Michele Apicella. Cette fois, il assume totalement de parler de lui, davantage encore que de son époque
A toutes les étapes de la fabrication d'un film, le réalisateur doit affirmer sa personnalité pour ne pas sombrer. Il doit ainsi assurer le service après-vente du débat en salle, où les attaques frontales (il coupé des réalités) ou sournoises (il ne penserait qu'à l'argent) l'emportent largement sur les éloges (seule la nonne reconnait que c'est un film drôle et pourtant tragique). Même dans son café favori, Michele fait face à la critique des amateurs qui ne parlent de son film qu'en le confrontant à celui de Don Siegel, sans doute L'évadé d'Alcatraz (1979), l'un trouvant qu'il n'est qu'une suite de clichés, l'autre qu'il joue avec ces clichés. La critique professionnelle est pire encore : elle enfile les adjectifs dans des éloges écœurantes de généralisations à tout va.
Le film aborde ensuite la difficile étape du scénario. L'idée vient à Michele de sa situation propre. Il vit chez sa mère toujours inquiète de son activité ; comme Freud donc. Qui plus est, sa mise en scène intègre le rêve et les associations d'idées. D'où l'épisode onirique qui revient à intervalles réguliers mais sans prévenir de ses amours monstrueuses avec Sylvia. Si le titre du film dans le film est La maman de Freud, celui de Moretti "Fais de beaux rêves !" sonne bien plus ironiquement, et rajoute un second film dans le film tant Moretti en loup-garou ressemble au Docteur Cordelier de Jean Renoir.
Le tournage est tout aussi difficile avec les frères Nicola et Claudio, qui se sont mis en tête de l'aider certes un peu lourdement mais qui s'avèrent de vrais soutiens quand même, d'où la visite à la pâtisserie présentant une Sachertorte. On notera aussi l'origine de la balle de tennis, qui reviendra dans tant de film de Moretti, associée pour Michele à l'enfance. Il est doué pour la rattraper lorsqu'elle rebondit sur un mur de sa chambre et lui sert ensuite de ballon pour son football en chambre sur moquette avec petits buts.
Enfin, Michele est confrontée à la vulgarité de la télévision italienne dans le combat avec le jeune réalisateur. Dans le match d'improvisation, il gagne grâce à sa verve. Il perd ensuite dans le match de boxe et la course des pingouins aspergés de seaux d'eau, sans doute parce qu'il est simplement plus vieux.
Sans être un échec, ce film restera moins populaire que Ecce bombo. La misanthropie radicale de Michele, qui s'affirme seul contre tous, est sans doute moins consensuelle que la satire bienvenue de la petite bourgeois intellectuelle de gauche de ses films précédents.
Jean-Luc Lacuve, le 6 avril 2020.