Kyoto, quartier populaire de Gion. Deux surs, geishas l'une et l'autre, ont des conceptions opposées de leurs rapports avec les hommes. L'aînée, traditionnelle, est amoureuse de l'un de ses clients, Furusawa. Celui-ci a fait faillite. Abandonnant sa famille, il vit aux crochets de sa maîtresse. La cadette, Omocha, convaincue de n'être qu'un jouet entre les mains des hommes, entend leur rendre la pareille.
Appliquant sa théorie, Omocha gruge Kimura, le jeune employé d'une maison de kimonos, en abusant de l'amour qu'il lui porte. Elle le méprise et devient la maîtresse de son patron.
La situation de Furusawa se rétablit. Il retourne auprès de son épouse, donnant raison à la cadette.
Pour se venger, Kimura précipite Omocha par la portière d'un taxi en marche. La jeune femme est hospitalisée. Sa sur la veille. Couchée sur son lit, elle crie sa rage et son impuissance : « Que vienne un monde où l'on n'ait plus besoin de geishas », gémit-elle. Un cri entre les barreaux du monde.
Les Surs de Gion est le cinquième et dernier film réalisé par Mizoguchi pour la Daiichi-Eiga, compagnie de production à la création de laquelle il a été étroitement associé en 1934. Après le film précédant, L'élégie de Naniwa, Les surs de Gion devait constituer le deuxième volet d'une trilogie sociale. La violence du propos déplait à La Shochiku à laquelle la Daiichi-Eiga, qui n'a ni distributeur ni exploitants confie le film. Elle sacrifie sa sortie ne le présentant que dans deux salles sans la moindre publicité. La Daiichi-Eiga fait faillite avant que le succès critique puis populaire ne couronne le film, élu film de l'année par "Hinema juko (?)" la grande revue de cinéma de l'époque.
Mizoguchi refusera ensuite la proposition de la Toho et tournera trois films pour des compagnies indépendantes sans trouver à vraiment exprimer son talent. Ce n'est qu'en rejoignant la Shochiku en 1939 qu'il réalisera son chef d'uvre suivant : Contes des Chrysanthèmes tardifs.
Les surs de Gion marque une étape importante dans la carrière de Mizoguchi. Comme dans L'Elégie de Naniwa, nous ne sommes pas dans la tendance lyrique, mélodramatique, romantique, sentimentale et tragique mais dans la veine naturaliste de Mizoguchi. Celle où la description d'un individu est déterminée par un milieu. Ici pas de sentimentalisme mais la dureté du commerce.
Si l'argent dirige le système, Omocha veut le prendre là où il est. Elle retourne le système pour le faire marcher pour son compte. Omocha veut dire "jouet" mais c'est un personnage de guerrière qui refuse d'être une victime comme le sera l'héroïne de L'intendant Sansho. Omocha ne critique pas le monde mais vit dans un monde sans sentiment et elle ne pourra finalement rien contre les hommes, faibles, lâches et sans scrupules qui ont le pouvoir et auront toujours le dessus.
Isuzu Yamada, égérie des années trente de Mizoguchi, irradie le film de sa présence y jouant, un de ses rôles les plus marquants, cynique et tête haute face à l'adversité. Les gros plans se font cependant plus rares que dans L'élégie de Naniwa. Mizoguchi y trouve là le style qu'il ne cessera ensuite de travailler et de varier.
C'est par exemple le plan-séquence d'ouverture qui place dès l'abord les personnages sous le signe des rapports d'argent. A la fin du travelling qui suit el déroulementde vente aux enchères, un panoramique permet par un effet de superposition de cadrer le patron discutant de sa ruine avec son employé. Ils semblent seuls avec hors champs les bruits de la vente. Mais en se détournant, l'employé révèle la présence de la femme à droite qui se plaint que son mari ait dilapidé sa dot.
Jean-Luc Lacuve Le 20/03/2008