Le docteur Praetorius enseigne à la Faculté de médecine. Il dirige aussi l'orchestre des étudiants et alterne donc cours, répétitions et visites à sa clinique. Partout, Noah Praetorius est accueilli avec la chaleur et la sympathie que lui-même dispense généreusement à ses amis, collaborateurs et patients, Pour ce médecin hors du commun, le malade est avant tout un être humain qui attend plus de réconfort de l'aide morale du praticien que de ses remèdes.
Noah, cependant, n'a pas que des amis : un de ses collègues, le professeur Elwell, s'est laissé dire qu'il avait été, naguère, une sorte de guérisseur, et que l'étrange et taciturne Shunderson, un vieil homme qui suit partout Practorius comme un chien fidèle, a été, autrefois, condamné pour meurtre. Esprit mesquin et envieux, Elwell voit là l'occasion de discréditer son rival.
Celui-ci vient de sauver Deborah Higgins, une jeune fille qui avait tenté de se suicider après qu'il lui eût appris qu'elle était enceinte. Noah tombe amoureux d'elle et l'épouse. Deborah croit un instant qu'il a agi ainsi pour la sauver du déshonneur, mais comprend très vite la profondeur et la sincérité des sentiments de son mari. Aussi défendra-t-elle, bec et ongles, l'honneur de son époux, tout comme le bon professeur Barker et l'énigmatique Shunderson. Devant le conseil de discipline réuni par Elwell, le vieillard révèle qu'il a été ramené à la vie par le docteur Praetorius après sa pendaison pour un meurtre dont il était innocent. Après avoir balayé les accusations de charlatanisme - en réalité, il avait dû cacher, pour gagner la confiance de ses malades, qu'il était un médecin... comme les autres - le docteur Praetorius rejoint son orchestre et dirige " l'Ouverture Académique " de Brahms tandis que les choeurs entonnent avec toute la salle un vibrant " Gaudeanius igitur " (" Réjouissons-nous).
On Murmure dans la ville était de tous ses films, celui que Cary Grant préférait. Il en est de même pour Mankiewicz, qui mit à l'évidence beaucoup de lui-même dans ce personnage de médecin qui ne soigne que des femmes, "presque toutes" amoureuses de lui, et auquel il arrive de s'entendre reprocher sa suffisance et son verbiage.
Comme beaucoup d'autres personnages de Mankiewicz, Prateorius cultive une certaine nostalgie. Mais Praetorius ne se laisse pas dévorer par cette nostalgie, tout entier tourné vers cette vie qu'il s'est donné pour mission de sauvegarder. Sa conception de la médecine, l'idée qu'il se fait de sa profession, tout l'éloigne de la plupart de ses confrères et il considère "la foi (en la vie) correctement injectée à un patient, aussi efficace que l'adrénaline". Si le film semble aussi à part dans l'uvre de Mankiewicz c'est qu'il est le seul à affirmer sans aucune ambiguïté le triomphe de la vie. En ce sens, les deux récits (Elwell contre Praetorius, Praetorius et Deborah) loin de se concurrencer comme dans La maison des étrangers s'associent et se complètent, pour former un ensemble d'une éblouissante cohérence.
"Il n'existe aucun lien entre Elwell et mes querelles personnelles avec DeMille" affirme Mankiewicz qui précise également que ce qu'il voulait, en réalisant On murmure dans la ville, était de "dramatiser le contraste existant entre deux conceptions de la médecine : celle d'Elwell, déshumanisée, obsédée non par la santé, mais par la maladie, et celle de Praetorius entièrement tournée vers le respect de l'individu, vers la vie". Impossible pourtant de ne pas penser aux méthodes maccarthystes en voyant Elwell fouiller dans le passé de son adversaire et collecter les ragots pour constituer un dossier et faire comparaître sa proie devant un tribunal. On doute fort que Mankiewicz, qui remit à Zanuck un premier traitement de soixante-cinq pages le 15 décembre 1950, soit moins de deux mois après la réunion du Beverly Hills Hotel, n'ait pas été entièrement imprégné par ce qu'il venait de vivre depuis son retour d'Europe. Qu'il le veuille ou non, On murmure dans la ville ne peut être vu aujourd'hui sans que vienne à l'esprit la référence au climat régnant alors à Hollywood, univers presque aussi fermé que celui de l'université décrite dans le film.
A la figure malfaisante du professeur Elwell, répond celle de la médiocrité banale, quotidienne, incarnée par l'oncle John (Will Wright) chez lequel Deborah a été contrainte de se réfugier avec son père (Sideny Blakmer) après que celui-ci, un intellectuel, ait connu des revers de fortune. Cet expert en dégrèvements fiscaux (il décompte les repas pris à sa table) qui se réfère sans cesse à la Bible et mange du poulet tous les dimanches et uniquement ce jour-là ne cesse de s'intéresser à l'argent que pour écouter la radio.
Face à ce frère qui lui reproche sans cesse sa présence, Arthur Higgins, le père de Deborah, témoigne d'une dignité et d'un humour qui renforce par contraste la bassesse de ce tyran domestique : "Il est propriétaire de la ferme, dit-il à Praetorius. La nourriture que je vous aie invité à partager, les lits dans lesquels nous dormons, les vêtements que nous portons, les frais d'étude de Deborah et le tabac que j'ai dans ma pipe sont à lui. La pipe est à moi" Cette séquence campagnarde extrêmement réussie culmine dans la scène de la laiterie, exemple parfait de la virtuosité avec laquelle Mankiewicz sait jouer de la crudité des dialogues à double sens et de leur mise en situation dramatique : Praetorius parle d'amour à Deborah, qui décrit consciencieusement le fonctionnement de l'écrémeuse, puis, lorsqu'elle lui dit son amour, c'est lui qui parle de crème et de lait. De même que la parole sert à caractériser Elwell (vous êtes le seul homme que je connaisse qui puisse dire "maligne" comme d'autres disent "bingo", lui lance Praetorius), le langage permet à Praetorius d'apporter le réconfort à ses malades.