Un violeur sévit dans une banlieue populaire anglaise. Trois fillettes ont déjà été agressées à la sortie de l'école. Cette fois, c'est la jeune Janie Edmonds qui se laisse entraîner dans les bois. Dès que l'alerte est donnée, l'inspecteur Johnson organise une battue et, après plusieurs heures de recherches, il retrouve l'enfant, couverte de bleus et terrorisée. Obsédé par ce criminel qui, depuis des semaines, semble le narguer, le policier est fortement tenté d'agir en marge de la légalité. Ainsi, il monte dans l'ambulance pour interroger Janie, sachant qu'une fois arrivé à l'hôpital, il n'en aura plus la possibilité. Toutefois, la fillette est tellement choquée qu'il faut aussitôt l'anesthésier.
Dans la nuit, Kenneth Baxter, un individu qui traînait dans les rues, est interpellé et emmené au poste de police. Devant son air égaré et ses manières hypocrites, Johnson n'a aucun doute : il tient son coupable. Renvoyant les autres inspecteurs et même le policier de garde, il reste seul avec le suspect. Peu après, le policier Garrett, alerté par des bruits sourds et des appels au secours, avertit ses collègues. Ils font irruption dans la salle d'interrogatoire où ils trouvent Baxter, évanoui et ensanglanté. Pendant qu'on le transporte à l'hôpital, Johnson, suspendu de ses fonctions par l'inspecteur-chef Lawson, retourne chez lui où sa femme Maureen tente de le réconforter. Après l'avoir insultée, il finit par lui raconter les scènes d'horreur (tortures, viols, suicides, assassinats...) auxquelles, pendant vingt ans de carrière, il a été confronté. La crudité de l'aveu provoque chez Maureen d'irrépressibles vomissements. Johnson lui reproche alors de n'être même pas capable de l'écouter. Sur ce, deux inspecteurs sonnent à la porte. Baxter vient de mourir et Johnson doit les suivre au poste afin d'être questionné par le surintendant Cartwright. L'interrogatoire durera du petit matin jusqu'à la nuit tombée.
Progressivement, Cartwright arrache à Johnson des parcelles de vérité avec lesquelles il reconstitue le puzzle de ce qui s'est réellement passé. Depuis des années, Johnson est un homme déchiré entre son sens de la justice et des fantasmes obsessionnels. La répulsion qu'il éprouve envers les meurtriers et les dépravés sexuels s'accompagne d'une étrange fascination. En détruisant Baxter, c'est sa propre face obscure qu'il a cherché à annihiler. Baxter l'a compris et son mépris cinglant a déclenché chez Johnson un fatal accès de violence. Était-il coupable ? Cartwright l'ignore. Mais une chose est certaine : Johnson est un homme malade qui aura besoin de toutes les ressources de la psychiatrie pour retrouver la santé.
Réalisé en 1973, The Offence est resté inédit en France jusqu'en 2009. Le distributeur de l'époque considérait que la noirceur du film nuirait à l'image de Sean Connery. L'acteur américain voulait pourtant s'éloigner des rôles de James Bond et c'est lui qui décida de ce film anglais très crû. En confiant la réalisation à Sidney Lumet, il en fit aussi un film qui s'inscrit dans la ligné des grandes interrogations morales des meilleurs polars américains des années 70.
Une genèse de film d'auteur.
Sean Connery veut s'éloigner des rôles de James Bond. L'United Artists lui propose en contrepartie de son rôle dans Les diamants sont éternels de s'engager dans la distribution de deux films indépendants. The offence est une pièce de théâtre que Sean Connery voulait jouer en 1968. Il engage Sidney Lumet avec qui il avait déjà tourné Le gang Anderson et La colline des hommes perdus.
Les 28 jours de tournage à Twickenham, avec des acteurs amis, Trevord Howard et Ian Bannen, se passent pour le mieux. Mais, à l'arrivée, le film effraie United Artists. À mille lieues de l'élégance charismatique de James Bond, Sean Connery trouve en effet l'un des contre-emplois les plus risqués de sa carrière, celui d'un flic usé, irascible, hanté par les horreurs d'un monde qui ont fini par brouiller ses repères moraux. Le film sera pauvrement distribué. Il ne restera à l'affiche qu'une seule semaine à New York... et restera longtemps inédit en France. Sean Connery renonce alors à tourner son second film indépendant, une adaptation de Macbeth, et ce d'autant plus que Polanski prépare la sienne.
The Offence constitue l'une des pièces maîtresses de l'immense filmographie de Lumet. The Offence assume de longues scènes dialoguées déjà très présentes de Douze hommes en colère et porte toutes les obsessions du réalisateur (le poids de la culpabilité, la frontière tenue séparant le vice de l'innocence, la corruption par le Mal), à un point d'incandescence radical et parfois éprouvant. On y retrouve aussi les flics compliqués, fragiles comme Serpico ou violents et racistes comme dans Contre-enquête. La question posée est de savoir comment peut-on être flic aujourd'hui avec l'horreur au quotidien ?
Des partis-pris formels très affirmés
Deux plans blancs viennent isoler dans une parenthèse un mystère que le film élucidera par la suite. Le premier ouvre le pré-générique (2'15). Un projecteur éclaire violemment la scène depuis l'arrière-plan. Ralentis et sons déformés se succèdent dans des plans ne raccordant pas toujours entre eux jusqu'à ce que son et image, brusquement, deviennent nets sur le "My god" prononcé par Johnson. Le générique (1'45) qui s'ouvre ensuite se termine avec le nom de Sidney Lumet sur le phare de l'ambulance qui aveugle le plan de blanc. Le plan se teinte alors : les inspecteurs attendent dans leur voiture une sortie d'école.
Le travail sur la couleur est permanant. Le blanc est celui de la virginité perdue de Johnson. Il voudrait se laver du crime. Le blanc est aussi celui du black-out. Le gris, tonalité de presque tout le film, figure son trajet moral. En revanche, les visions qui assaillent Johnson sont en couleur. Le monde est terne, gris, sans saveur. Seule la violence qui le hante est colorée et devient ainsi séduisante. La réconciliation ne pourra être fantasmée que sur l'image à la Hamilton dans les tons chauds apaisés de la petite fille qui sourit.
Johnson est désigné comme un rustre avec sa moustache, son unique manteau et son chapeau. Il apparaît comme un personnage ambigu qui pourrait être le bourreau de la petite fille. Personnage bifaces, un rien pourrait le faire basculer de victime à bourreau. L'espace répercute la psyché de Sean Connery. Il n'arrive ainsi pas à faire le distinguo entre son immeuble et celui de l'hôtel de police. Il préfigure les flics de James Ellroy qui ont trop avalé d'images cauchemardesques et qui basculent du côté du mal.
Souvent silencieux, le film s'organise néanmoins autour des trois grandes séquences dialoguées où Johnson libère son énergie intérieure, avec sa femme, avec l'inspecteur et avec le suspect.
Un film dans une double lignée, anglaise et américaine
Avec ses lieux sordides, ses cadres oppressants et son style hyper réaliste, le film évoque cette Angleterre glauque filmée par Alfred Hitchcock dans Frenzy (1971). Il s'inscrit dans la lignée du nouveau film noir anglais qui se veut plus crû avec La loi du milieu de Mike Hodges en 1970 et Salaud (Villain) de Michael Tuchner en 1971 avec Richard Burton. Mais le public rejettera ces films.
Le film s'inscrit dès lors plus facilement dans la lignée des nouveaux films policiers américains avec L'inspecteur Harry de Don Siegel (même passage à tabac du début), French connection de Friedkin. Les films américains dénoncent toutefois un système corrompu alors, qu'ici tout est refermé sur l'exploration intérieure d'un personnage et l'institution n'est pas mise en cause.
La scène de réminiscence dans la voiture rappelle Taxi driver. Johnson n'arrive pas à faire refluer la violence qu'il a vécue comme celle du vétéran du Vietnam. Il passera aussi par la folie meurtrière et l'expiation violente. La référence majeure reste néanmoins Les flics ne dorment pas la nuit (1972) où Richard Fleischer montre qu'il est impossible d'être flic en ayant avalé trop d'horreurs et que pour appliquer la loi, on est parfois amené à la transgresser la loi. La société est devenue une jungle dans laquelle on ne peut survivre.
Ces films ne justifient pas la violence policière sous prétexte qu'il faut combattre une criminalité de plus en plus forte. C'est le constat désespéré d'un mal si puissant qu'on se laisse engloutir par lui.
Jean-Luc Lacuve, le 01/09/2009