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Mystery

2012

Genre : Film noir

Avec : Hao Lei (Lu-jie), Qin Hao (Yong-zhao), Qi Xi (Sang-qi), Zu Feng (Tong Ming-song). 1h38.

L'hymne à la joie, adapté en chinois par un groupe populaire, empli les baffles d'une puissante voiture conduite par un jeune chinois. Une fille à ses côtés, il fait la course avec un autre couple conduisant une autre voiture de sport sous l'orage qui gronde. Et puis, c'est l'accident ; surgie de nulle part, une silhouette féminine se dresse sous la pluie sans qu'il puisse l'éviter. Sortant blessé de sa voiture, il part examiner le corps de la jeune femme ensanglanté qui s'accroche à lui dans un dernier geste de vie. Il la frappe à coups de pieds et se plaint d'être la victime quand la police vient sur les lieux et l'arrête.

Dans la ville de Wuhan, mégalopole arrosée par le Yang-Tsé, capitale de la province de Hubei, Lu-jie profite de la journée qui commence et emmène sa petite fille, An-an, au jardin d'enfants. Dans le parc, une autre jeune mère, Sang-qi, avec un petit garçon, ami de An-an, les filme avec son appareil portable. Les deux femmes échangent leurs numéros de portable et promettent de se revoir.

Yong-zhao, jeune entrepreneur chinois branché débarque de l'aéroport et donne des instructions par téléphone au volant de sa voiture. Il regagne son domicile... où le retrouve Lu-jie et An-an ravies que leur mari et père soit rentré si tôt. Le soir, Lu-jie masse Yong-zhao, inquiète de le sentir fatigué. Celui-ci la rassure : il va bien, a fait de bonnes affaires, ne souhaite pas que sa femme vienne l'aider dans l'entreprise et se sent rassuré qu'elle veille sur leur fille dans la mégalopole de Wuhan, toujours pleine de dangers.

Le lendemain à l'école, Lu-jie remarque que Sang-qi est inquiète et accepte un rendez-vous dans un café pour déjeuner le lendemain midi. Sang-qi révèle à Lu-jie qu'elle craint d'être trompée par son mari l'ayant vu sortir d'un hôtel au bras d'une inconnue. Lu-jie la rassure et lui conseille d'attendre avant d'accuser son mari. Sang-qi s'indigne contre ces maris adultères qui emmènent leur maîtresse à l'hôtel en plein jour... tel ce couple qu'elle montre en face de la rue. Lu-jie reçoit un coup au cœur: l'homme au bras d'une jeune femme en face, c'est son mari, Yong-zhao... Sang-qi a remarqué le changement en Lu-jie et quand celle-ci lui demande de partir, elle s'éclipse.

Lu-jie n'arrive pas à croire ce qu'elle vient de voir. Elle attend que le couple sorte de l'hôtel puis erre à l'intérieur de celui-ci à la recherche d'une improbable explication. C'est alors que revient la maîtresse de son mari dans les toilettes. Elle l'entend appeler Yong-zhao, mécontente qu'il soit parti sans l'attendre alors qu'elle recherchait son bracelet oublié sur le lit. Lu-jie suit la jeune femme dans la rue qui ne tarde pas à s'inquiéter de cette filature. Elle fuit dans les bois au-dessus de la ville alors que l'orage gronde. Lu-jie fonce dans les bois à sa poursuite puis, plus tard, trempée de pluie, appelle sa sœur sur son téléphone pour qu'elle vienne la chercher. Celle-ci vient la récupérer sous la pluie alors que le périphérique est ralenti du fait d'un accident. C'est celui du début du film, où la police embarque le jeune homme de la voiture meurtrière. Il est hystérique, se dit la victime de cet accident et exige que son père soit prévenu.

Au commissariat, le policier tente de calmer le jeune homme de la voiture. Celui-ci lui promet une récompense s'il parvient à prévenir son père et lui éviter une condamnation. En examinant les numéros de téléphone de la victime, le policier a une surprise. Il rend visite à son frère, garagiste, et lui révèle que la jeune fille qu'il a aimée vient de mourir ; c'est en effet un récent message de rupture adressé à son frère que le policier a trouvé sur le portable de la victime. Le policer a aussi trouvé le numéro de Yong-zhao et vient l'interroger. Mais celui-ci peut prouver qu'il n'était pas sur le périphérique à l'heure de l'accident.

En rentrant chez elle, Lu-jie, bouleversée, vomit et fait l'amour avec son mari. Elle repère sur son téléphone un autre rendez-vous et, munie d'une caméra, le retrouve à la sortie d'un hôtel avec une nouvelle maîtresse. Le lendemain, elle le suit lorsqu'il part travailler et découvre qu'il vit avec une femme avec un petit garçon. La femme s'appelle Sang-qi.

Lu-jie maile son film à son mari qui se dit piégé par ce film de lui au bras d'une inconnue. Lu-jie convie Sang-qi à faire des courses et la convainc d'acheter une chemise blanche. Elle achète ensuite la même et s'en va parader avec devant son mari lui disant que son amie, Sang-qi, qui a un petit garçon un peu plus âgé que An-an, a acheté la même. Cette fois, Yong-zhao se sait piégé et frappe violement tout en lui faisant l'amour Sang-qi qu'il accuse d'avoir tout fait pour rencontrer sa femme. Celle-ci, désespérée, lui explique que c'était pour qu'il fasse fuir ses maîtresses dont elle ne supportait pas la présence.

Les deux femmes finissent par se rencontrer et Lu-jie divorce.

Yong-zhao, qui n'était que l'employé de l'entreprise de sa femme, retrouve alors Sang-qi pour une vie presque normale mais celle-ci est de courte durée. Sang-qi explique à Yong-zhao que, si Lu-jie a frappé sa jeune maîtresse de coups de pierre à la tête, c'est ensuite elle qui l'a achevée en la poussant au bas de la colline sur le périphérique. Un vagabond l'a vue et vient depuis la faire chanter. Yong-zhao décide d'intimider le vagabond mais, emporté par sa rage et son désespoir, il le tue sauvagement à coups de pelle.

Le frère du policier, que la mort de son ancienne fiancée obsède, a retrouvé une clé de voiture, celle de Lu-jie sur le lieu du crime. Il enquête près de là et découvre le cadavre du vagabond. Il tente de convaincre son frère de rouvrir l'enquête. Dans une boite de nuit, le policier interroge Lu-jie. Celle-ci ne se laisse pas intimider et dit ne se souvenir de rien.

Seule la mère de la victime continue d'honorer sa mémoire. Le fantôme de celle-ci la regarde en haut de la colline.

Lou Ye déploie une structure narrative complexe qui ne donne jamais l'impression de jouer au plus fin avec son spectateur mais bien davantage de lui faire éprouver toute la duplicité de l'âme humaine et ses effets ravageurs sur ceux qui croient en une vie simple et naïve. Menaces sentimentales, policières et urbaines pèseront alors constamment sur le destin de chacun. Mais tous s'en arrangeront. Le mari, la femme, la maîtresse, les flics, la mère de la morte, les jeunes chauffards et leur entourage, tous referont leur vie, tout juste troublés sans doute par les fantômes des morts atroces de la jeune étudiante et du vagabond.

Une structure narrative complexe

L'accident est présenté en ouverture du film alors qu'il intervient après deux journées de la vie de Lu-jie dont on suivra ensuite les multiples coups de théâtre qui lui révèleront les infidélités de son mari puis la double vie qu'il mène avec Sang-qi. Parallèlement, on suit le cheminement de Sang-qi qui finit par récupérer le gentil mais bien falot fils à sa maman qu'est Yong-zhao. Les ellipses de ce double récit sont nombreuses : le meurtre commis à deux qui ne sera révélé qu'à la fin mais aussi les moments où Lu-jie poste le mail accusateur, son retour dans la boutique pour acheter la même chemise que Sang-qi à laquelle elle a prêté l'argent pour se l'acheter.

Le troisième "couple" de la narration, celui formé par le policier et son frère garagiste, est tout aussi condamné à la frustration. Le policier s'est en effet arrangé avec le pouvoir judiciaire pour traiter à l'amiable, à l'américaine pourrait-on dire, la responsabilité du jeune chauffard dans l'accident. Quand son frère revient avec une pièce à conviction qui aurait permis de rouvrir le dossier, c'est trop tard. La forte femme qu'est Lu-jie ne se laissera pas intimider. Le quatrième cercle est constitué par le jeune chauffard immature et inconséquent et par la mère de la victime qui reçoit, faute de mieux, une somme d'argent et un appartement et dont l'émotion n'éclate qu'à la toute dernière séquence.

Les plis de la mauvaise conscience

L'alternance des jours de pluie et des jours de soleil, de modernité paisible (Wuhan magnifiée avec son pont sur le Yang-Tsé et ses tours élégantes) et d'archaïsme (la mère de Yong-zhao qui veut un petit fils mâle) viennent tout autant disloquer et interpénétrer les cercles narratifs que l'enquête policière qui s'épuise faute d'une conduite irréprochable. Celle-ci est tenue par le jeune frère du policier qui, comme le spectateur l'a été au moyen des ralentis sur le cadavre martyrisé de l'étudiante, ne peut supporter le déni de justice. Ce sont donc, classiquement hélas, les plus démunis qui seront les principales victimes de ce récit. Lou Ye leur laisse emblématiquement les dernières images de son film : le cadavre du vagabond, le fantôme de l'étudiante et la voiture du garagiste qui, sur le générique de fin, parcourt le pont sur le Yang-Tsé.

Jean-Luc Lacuve, le 27/03/2013.

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