"Chakal" est le pseudonyme du caricaturiste cinglant d'un journal anarchiste. Lorsqu'il voit sa dernière œuvre en première page de l'Anti-social, le directeur de l'Écho du Monde reconnait son talent et, bien qu'opposé politiquement, lui propose de "croquer" Clara Stuart la vedette de la scène et de l'écran, le jour de son retour en France. Chakal est ainsi à la gare lorsque la foule en délire accueille Clara, venue du Havre après son accostage à Cherbourg depuis New York.
Clara, dans sa loge, subit les pressions de son entourage, Malpiaz, l'imprésario qui veille sur ses intérêts et Geoffroy de Chabré, le prince de Choppé, son mari, pour apparaitre sur son balcon et satisfaire l'attente de la foule. Malpiaz négocie avec le prince de Choppé, désargenté, une somme de 1000 francs s'il parvient à convaincre sa femme de signer pour deux films avec le célèbre réalisateur Blomberg.
Chakal remet sa caricature contre 150 francs au directeur de l'Écho du Monde puis rentre dans sa très modeste bicoque. Il est abordé dans la rue par la jolie Louise qui lui avoue être depuis longtemps amoureuse de lui sans qu'il ait jamais fait attention à elle. Chakal, amusé, lui propose de se rendre le lendemain au concert de rentrée de Clara.
Clara, dans sa loge, n'apprécie guère le féroce coup de crayon du caricaturiste et, star capricieuse, se fait attendre pour entrer en scène. Chakal assiste au concert avec Louise. Malgré tout son mépris pour Clara, Chakal ne peut réprimer son émotion lorsqu'elle chante sa chanson fétiche, "Le bonheur". A la sortie du théâtre, Louise lui propose de "rentrer à la maison". Un coup de feu retentit rue de Wagram : on vient de tirer sur Clara qui repartait en voiture.
Clara n'est toutefois que légèrement blessée à l'épaule. Elle est surtout inquiète de savoir qui et pourquoi on a tenté de l'assassiner. Quelques semaines après, elle est convoquée chez le juge d'instruction et confrontée au tireur, Philippe Lutcher, dont les journaux n'ont pas pu publier une photo de son visage et qui fait la grève de la parole. Philippe Lutcher est Chakal ; il refuse toujours de répondre à Clara, interloquée.
Aux Assises, où il est accusé de tentative de meurtre, Philippe Lutcher déclare enfin, froidement et calmement, que les champions sportifs et les stars de cinéma symbolisent à ses yeux de révolté la décadence d'une société qui a besoin d'idoles pour survivre. Contre toute attente, Clara demande aux jurés de pardonner à son "assassin" au terme d'une vibrante plaidoirie qui ressemble à s'y se méprendre à un numéro de tragédienne. Philippe n'est pas dupe et s'emporte devant cette mascarade. Clara avoue alors avoir effectivement préparé sa plaidoirie mais s'effondre en avouant la sincérité de sa motivation. Réclamant toujours l'indulgence du jury, elle supplie qu'on ne l'envoie pas en prison et crie "donnez-le-moi, donnez-le-moi".
Condamné à une peine de dix-huit mois, Philippe, avec la préventive et sa remise en liberté conditionnelle, doit purger encore six mois de captivité. Il accueille avec gentillesse la visite de Louise, plus amoureuse que jamais. Mais c'est à Clara qu'il pense. Alors que celle-ci termine son dernier film, s'inspirant de leur histoire, il a en effet répondu favorablement à ses lettres. A sa sortie de prison, il est accueilli par une Clara dont la sincérité lui fait oublier la comédienne au profit de la femme. Il lui avoue que sa décision d'assassiner la star a échoué car il était tombé amoureux d'elle sans s'en apercevoir lorsqu'il l'avait entendu chanter.
Attendrie par son amour aussi immédiat que le sien lorsqu'elle le vit chez le juge d'instruction, Clara s'abandonne à cette idylle qui se noue entre ces deux êtres que tout semblait séparer. Mais Clara doit tourner de nouveau une séquence de son film car la pellicule a été rayée au tirage : on y voit un homme tirer sur une star de cinéma. C'est donc ainsi, pense Philippe, que Clara vit leur passion, comme une fiction, un film. Ainsi, lorsque le prince de Choppé, profondément aigri par la trahison de sa femme qui a demandé le divorce, vient le prévenir de l'inconstance de celle-ci, Philippe reste indifférent. Il se sépare de Clara en larmes.
Désormais, c'est ainsi qu'il aimera Clara, image sur l'écran blanc des cinémas, ces temples du rêve, où le bonheur et l'amour sont éternels avec peut-être une once de sincérité envers lui dans les déclarations d'amour de la star.
Film difficile tant les ellipses (scène du tir rue de Wagram, identification retardée de Chakal et Philippe, premiers échanges de lettres entre Philippe et Clara) perturbent la progression du récit ; tant le jeu de Gaby Morley et surtout de Michel Simon en agent homosexuel aux manières efféminées sont excessifs et tant la morale à tirer de tout cela est assez ambigüe.
Réflexion sur le cinéma dont René Prédal avait tiré ses propres conclusions, il nous semble que ce que suggère L'herbier est que ce n'est qu'en sachant que le cinéma est un mensonge appuyé sur une base réelle que l'on peut l'aimer pleinement.
Le mensonge de la biographie filmée est de placer l'attentat à la gare et non à la sortie du music-hall. La scène de chant n'ayant pas été retenue dans le scénario, le film est une version maladroite de leur histoire qui dégoûte Philippe. Aussi décide-t-il de quitter Clara qui trahit la séduisante ambiguïté de leurs sentiments en cautionnant une caricature ridicule et fausse de leur rencontre totalement vidée de ce qu'elle avait d'attachant et d'unique. Bien qu'ils s'aiment encore, les amants se séparent et Philippe donne rendez-vous à Clara au cinéma, lui anonyme spectateur dans la salle et elle vedette sur l'écran dans son prochain film. Là quand il la verra se pâmer à nouveau dans les torrides scènes d'amour qui sont sa spécialité, il se convaincra que c'est en pensant à lui qu'elle atteint cette perfection de jeu, cette crédibilité d'une présence envoûtante. L'Herbier juxtapose deux gros plans : elle reflet sur la toile, lui vivant sur son fauteuil. Plutôt que d'être soumis au mensonge du jeu de l'actrice mimant la réalité, Philippe préfère partir et gouter pleinement la réalité du mensonge du cinéma.
Jean-Luc Lacuve le 07/09/2015
Source : Le "je" dans l'abîme du cinéma français par René Prédal dans CinémAction n°124. Le cinéma au miroir du cinéma. 2007.