Gare de Bruxelles, octobre 2004. Benoît part en voyage. Son amie Circé lui offre un béret. Il fait son portrait. Dans le train Bruxelles-Moscou, Benoît sourit en voyant un voyageur lire l'Idiot, livre qu'il aime tout particulièrement. Interrogé sur le pourquoi de cette lecture, Charles Martin explique qu'il est ingénieur d'une importante compagnie pétrolière chargé de négocier un contrat durant le mois à venir à Moscou. Malgré de longues années d'efforts, il a dû renoncer à lire en russe et en s'attaque donc seulement maintenant à ce monument de la littérature. Le troisième compagnon de voyage, Jérôme Zimmer, voyage pour son plaisir et a, lui aussi, pour projet de lire l'Idiot. Mis au défi par Charles Martin de prouver cette lecture, Jérôme Zimmer sort effectivement de son sac de voyage un exemplaire de l'Idiot, qui, à la différence de celui de Charles, est en un seul tome. Alors que le train traverse la Pologne et la Biélorussie, Benoît Barnum quia appris aux autres qu'il était musicien, Charles et Jérôme échangent sur leurs passages préférés du roman et sur ce qui les touche dans l'écriture de Dostoïevski. Ils se séparent, arrivés à Moscou, mais se promettent de se revoir une quinzaine de jours plus tard.
A Moscou, Benoît parait sur un quai de gare, Charles dans un salon d'armement et Jérôme lit dans la rue le même passage de Dostoïevski que lisait Circé à Paris.
Quinze jours après leur arrivée, Benoît, Jérôme et Charles se retrouvent dans l'appartement de ce dernier pour la fête promise dans le train. Comme convenu Jérôme est accompagné de deux autres amis, Héloïse et Benjamin. Celui-ci remet une lettre à Benoît qui s'isole pour la lire et s'en va. La petite fête de retrouvailles se déroule donc sans lui. Jérôme explique qu'il n'était pas vraiment en vacances mais mandaté par un guide touristique pour repérer tous les lieux intéressants de la capitale russe.
Benoît va rendre visite à son vieil ami Naoum, qui lit pour lui quelques pages de l'Idiot en Russe. Charles vient rendre visite à Benoît dans sa petite chambre d'hôtel. Ce dernier annonce qu'il repart pour Paris. La lettre que lui a remise Benjamin, qu'il connaissait à Paris comme collègue, de travail est un engagement pour composer une pièce musicale pour une petite troupe d'acteurs chanteurs servant de commentaire musical d'un opéra. Benoît perçoit la mélancolie et la tristesse de Charles que son travail ennuie et qui se sent seul à Moscou n'ayant pas la capacité d'adaptation de Jérôme. Benoît le réconforte lui parlant de l'hiver sec et rude mais vivifiant de Moscou en octobre. Charles n'y croit pas constatant que c'est un pays où l'on ne peut faire des choses que par hasard. Benoît propose à son ami de venir lui souhaiter bon voyage le soir à la gare. Sur le qui de la gare les deux hommes se saluent avec émotion.
Le film se clôt sur un carton indiquant la date du tournage, du 4 au 26 octobre 2004, comme à la fin d'un livre, l'auteur indique parfois la période où s'est déroulée l'écriture de son roman. C'est une histoire d'hommes et d'amitié que met en scène Pierre Léon avec ses mystères (Benoît connaît Benjamin, sans que le spectateur en soit d'abord informé, et lui remet une lettre, qui n'est pas obligatoirement à l'origine de son absence à la petite fête des retrouvailles) ses zones d'ombres et ses lacunes.
En préservant cette part de mystère, Pierre Léon semble échapper ainsi à la difficulté signalée par Dostoïevski, dans un passage lu deux fois par Circé puis Jérôme, pour décrire des personnages qui n'ont pas, d'emblée, des traits caractéristiques. Ce sont ce que l'on appelle des hommes ordinaires. Il ne s'agit pourtant pas des types perpétuellement ordinaires qui font des efforts pour sortir de la routine mais sans moyen, ce qui les condamne à la médiocrité. L'écriture de Dostoïevski sert en effet ici de socle à une amitié entre trois hommes qui va se former dans l'octobre moscovite.
Le roman sera une façon de parler de soi au travers de son approche sensible de l'écriture. Charles se reconnaît ainsi moins dans général Epantchine, qui fait des affaires avec son ami Totski, que dans le général Yvolguine, premier type du bouffon chez Dostoïevski qui annonce le père Karamazov. Charles aime le rapport à la vérité de Dostoïevski et le personnage d'Aglaé.
Ce rapport à la vérité dépend en effet moins de la personne qui parle que de celle qui écoute et qui, par ses réactions, silences ou approbations, construit le discours du locuteur. Ce que le film pratique lui-même avec l'écoute active de Benoît vis à vis de ses deux compagnons de voyage.
Le personnage d'Aglaé, resté Aglaïa dans la traduction en un tome de Jérôme, est immédiatement perçu dans toute sa complexité par le prince Mychkine qui se refuse à en faire le portrait comme il l'a fait de ses deux soeurs et qui déclare, scandaleusement, qu'elle est presque aussi belle que Nastassia Philippovna. Le lecteur ne comprend lui que petit à petit toute la richesse de personnage.
Jérôme Zimmer préfère lui l'étrange aventure du prince en suisse avec la jeune Marie, déshonorée. Benoît se souvient du passage entre Hyppolite Mychkine se terminant par le mot de celui-ci "Passez devant nous et pardonnez-nous notre bonheur". Ce mot est prononcé, à retardement, dans une coupe de montage qui cadre le paysage et non plus Benoît avec, en fond sonore, le lyrisme du requiem de Verdi (version Carl Schuricht en 39). D'autres moments d'émotion seront rythmés par Beethoven (Bartok au piano en 40), Lohengrin (version 1949) avec une intensité romanesque dont ne se départi jamais le film.
Jean-Luc Lacuve le 25/06/2010
Editeur : Montparnasse, juin 2010. 20 € |
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Deux films de Pierre Léon : L'idiot et Octobre
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Avec : Pierre Léon (Benoît), Vladimir Léon (Charles), Sébastien Buchmann (Jérôme), Circé Lethem (Circé), Julie Desprairies (Héloïse), Renaud Legrand (Benjamin) et Naoum Kleiman (Naoum). 1h18.