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La favorite

2018

(The Favourite). Avec : Olivia Colman (La reine Anne), Rachel Weisz Rachel Weisz (Lady Sarah), Emma Stone (Abigail Hill), James Smith (Lord Godolphin), Mark Gatiss (Le duc de Marlborough), Nicholas Hoult (Lord Harley), Joe Alwyn (Samuel Masham). 2h00.

1704. Au château royal, on pare de sa longue traine, celle qui depuis deux ans est la reine Anne. Elle est la fille de Jacques II et la sœur de Mary, épouse de Guillaume d'Orange qui régna sur l'Angleterre avant elle. Anne est la dernière héritière de la lignée des Stuart car aucun de ses 17 enfants, presque tous mort-nés, n'a survécu. Anne a bandé les yeux de sa favorite, Sarah Churchill et la conduit devant une maquette: celle d'un futur palace sur le domaine de Woodstock pour remercier son mari, le duc de Marlborough, de sa grande victoire de Blenheim en aout dernier lors de la guerre de succession d'Espagne acquise contre les français.

Pendant de temps, Abigail Hill voyage en calèche sous le regard concupiscent d'un soldat et de braves fermiers. A peine arrivée au château, elle est poussée dans la boue par le soldat. C'est ainsi que, toute crottée, elle se présente devant Sarah Churchill, sa cousine. Mais Abigail est déchue de son rang par un père que le jeu a ruiné et qui a incendié leur propriété. Sarah ne se fait pas faute de le lui rappeler et l'envoie comme servante aux cuisines.

Abigail se voit ainsi réduite à laver le sol. Ignorant que le seau contient de la soude, elle se brûle la main. Au petit matin, elle emprunte un cheval et va se préparer une décoction de plante pour soigner sa main. Dans les bois, elle croise le regard d'un beau jeune homme, le colonel Masham. Dans la nuit, elle est appelée pour bander les jambes de la reine Anne, victime d'une crise de goutte alors que Sarah la réconforte. Abigail voyant là un moyen d'échapper à son emploi de servante, ordonne au valet de lui laisser l'accès à la chambre de la reine pour lui appliquer sa pommade. Mais Sarah survient et ordonne d'infliger des coups de fouets à Abigail pour être entrée sans autorisation. Lorsque Sarah constate que la pommade fait effet, elle s'en attribue les mérites mais réduit le châtiment d'Abigail et, remarquant son intelligence, décide d'en faire sa femme de chambre.

C'est ainsi que parée de sa toute nouvelle fonction, Abigail croise le colonel Masham qui ne lui cache pas son désir d'elle.

Sarah règne à la place d'Anne, myope, gourmande capricieuse, instable, que de violentes crises de goutte mettent à plat, et que la mort de ses enfants a rendu dépressive et sous la coupe de sa favorite. Sarah domine même Godolphin, le ministre de la guerre, autant intéressé par les affaires du pays que par les courses de canards. Sarah et Godolphin, tous les deux du côté du parti Whig, poussent la reine à lever de nouveaux impôts pour financer la poursuite de la guerre. Anne, dont la bonhommie favoriserait plutôt la paix, est sensible au discours de Lord Harley, chef du parti Tory.

Lord Harley veut faire d'Abigail son alliée et favorise même Masham dans son entreprise de séduction qui s'avère d'abord piteuse devant la froide détermination d'Abigail. Sarah a néanmoins fort à faire pour défendre ses intérêts devant les parlementaires et laisse Abigail se rapprocher de la reine sans savoir que celle-ci a décidé de mettre à profit sa découverte de la relation amoureuse entre elle et la reine. Sarah, jouant la douceur, parvient ainsi jusqu'au lit d'Anne qui se lasse de la rudesse franche de Sarah. Abigail se voit néanmoins contrainte de trahir Sarah par Lord Harley. Devant le parlement, Lord Harley fait un discours présentant la reine comme la protectrice de la paix, l'empêchant de déclarer la demande de fonds préparée par Sarah.

Abigail, sentant sa position fragilisée, décide d'éloigner Sarah en empoisonnant son thé. Mais sa tentative va plus loin qu'elle ne le pense : Sarah étant alors grièvement blessée par une chute de cheval. Abigail obtient alors de la reine son mariage, richement doté, avec Marsham.

Défigurée, Sarah revient au château mais elle ne plait plus à la reine qui laisse Abigail s'occuper d'elle. Abigail fait chasser Sarah du château et obtient même son bannissement. Mais sa victoire est un désastre : sans but, elle se saoule toutes les nuits. Elle n'accorde plus qu'une étreinte triste et forcée à Anne, solitaire, de plus en plus traumatisée par le souvenir de la perte de ses enfants qui se mêle aux visions des lapins, ses "petits".

La favorite se voudrait une satire de l'hypocrisie contemporaine où triomphent ceux qui ne pensent qu'à leur propre promotion. Une telle thématique n'est pourtant applicable qu'à la seule Abigail Hill. Sarah et Lord Gondolfin, fervants partisans des whigs, abusent certes de la faiblesse de la reine pour défendre la stratégie de la guerre et Lord Harley, représentant des riches classes paysannes défend la paix. Mais tous sont animés du désir de défendre la grandeur de l'Angleterre.

Sur ces jeux de pouvoir assez classiques, Lanthimos n'évite pourtant pas l'impression d'une classe politique pourrie où tous sont obnubilés par eux-mêmes. Il masque l'inintérêt de sa vision en accumulant de petites idées amusantes : les grands angles totalement injustifiés, la musique répétitive sur certaines séances (archet de violon ou quelques notes de piano); pratiques curieuses de la cour (ball-trap, courses de canards, lancer d'oranges, élevage de lapins) ; mots crus et allusions à des pratiques sexuels décomplexées de ce qui était alors être supposément tabou (masturbation, saphisme, sodomie, viol). Sur ce dernier point le film est d'ailleurs totalement puritain car il s'agit toujours de faire saillie (si j'ose dire), pas de montrer.

Même manque d'idée forte masquée par de petites idées faibles avec le choix du chapitrage qui s'en va reprendre pour titre une phrase qui y est prononcée à l'intérieur: "Cette boue empeste", "Je crains la confusion et les accidents", "Une tenue étonnante", Et si je coulais en m’endormant", "Eviter l’infection", " En rêve, je vous ai poignardé à l’œil"...

Tout pareillement l'ensemble historique n'a aucune charpente ni vision et se réfugie dans quelques faits historiques avérés. Il y a néanmoins quelques arrangements avec l'histoire. Le Prince George de Danemark, époux de la reine Anne (père de tous ses enfants malheureux) n'est jamais vu ni mentionné, bien qu'Abigail soit entrée au service de la reine en 1704 et que George ne soit décédé qu'en 1708. Sa mort, ainsi que celle de leurs enfants, était l'une des raisons de la dépression d'Anne.

Mais surtout, en accumulant de petits faits anecdotiques, il est bien difficile de saisir la temporalité historique de 1704 à 1712, notamment la date du mariage secret d'Abigail auquel la reine assiste en 1707 alors qu'il faut attendre janvier 1711 pour que la reine exige de Sarah l'abandon de sa Clé d'Or, (symbole de sa fonction de gardienne de la bourse privée, responsable des dépenses de la cour du souverain britannique). C'est le 29 décembre 1711, avant que les accusations ne soient examinées par le Parlement que la reine Anne, envoie une lettre demandant l'exil sur le continent des Marlborough qui sera effectif le 1er décembre 1712.

Au total, un bien piteux film historique, sans écho sur notre présent, mais agrémenté toutefois de colifichets visuels et sonores assez distrayants.

Jean-Luc Lacuve, le 16 février 2019 (version plus positive du 8 mars).

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