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Real

2013

16e festival du film asiatique de Deauville(Riaru : Kanzen naru kubinagaryû no hi). Avec : Takeru Sato (Koichi Fujita), Haruka Ayase (Atsumi Kazu), Jô Odagiri (L'éditeur), Shôta Sometani (L'assistant d'Atsumi). 2h07.

Atsumi, jeune dessinatrice de mangas, et Koichi, son compagnon vivent heureux dans leur luxueux appartement dominant la ville de Tokyo. C'est tout juste si Koichi trouve Atsumi un peu trop accaparée par son travail, en passe d'être nationalement reconnu.

En dépit de ce bonheur apparent, un an plus tard, Atsumi se retrouve pourtant plongée dans le coma dans un état gravissime après avoir tenté de mettre fin à ses jours. Koichi, est sollicité par l'hôpital où elle reçoit des soins pour se prêter à un programme scientifique novateur qui permettrait d'entrer en contact avec l'inconscient de son amie et de ramener sa conscience dans le réel.

Un premier contact est établi et Koichi retrouve Atsumi, un an plus tôt, toujours passionnée par le travail et inquiète seulement à ce sujet. En sortant de l'appartement, Koichi a pourtant d'étranges visions et des parties d'espace se fissurent autour de lui.

Au cours des contacts suivants, Koichi apprend à Atsumi que celle-ci n'étant plus là pour assurer la suite de sa série de manga, celle-ci, où le "méchant", Roomi, est devenu célèbre, va être reprise par un de ses jeunes collaborateurs ambitieux. Pour être la plus performante possible en revenant au réel, Atsumi demande à Koichi de lui retrouver le cahier sur lequel elle dessina un plésiosaure parfait étant enfant et qui décida de son engagement de dessinatrice. Koichi le recherche partout chez eux, chez sa mère, sans succès. Il se décide donc à partir pour l'ile où il rencontra Atsumi enfant. Celle-ci était née sur l'ile et lui débarqua avec son père, chargé de réaliser un ambitieux et controversé complexe touristique.

En arrivant sur l'ile, Koichi découvre le désastre écologique causé par le projet de son père. Le père d'Atsumi est réduit à évacuer au mieux les blocs de béton qui ont défiguré le paysage. Koichi est déçu quand il retrouve le cahier d'Atsumi dans un vieux coffre : il ne peut que constater que le dessin en est absent.

En révélant son échec à Atsumi, les ordinateurs du programme scientifique s'affolent et... c'est Atsumi qui se réveille. Nous étions dans l'inconscient de Koichi qui se rêvait en libérateur d'Atsumi alors que c'est Atsumi qui tente de sauver son compagnon, dessinateur de mangas.

L'origine du mystère se trouve bien sur l'ile et, lors d'un nouveau contact, les deux jeunes gens embarquent vers elle. Koichi se souvient alors que le nom de son héros de manga , le "méchant", Roomi, est l'anagramme de "Mori", celui qui était, avant son arrivé sur l'île, le meilleur ami d'Atsumi. En voulant effrayer le couple de jeunes amoureux qui se baignait dans une crique ; Mori avait surgit brusquement derrière eux mais une mauvaise vague l'avait entrainé vers le fond. Koichi et Atsumi avaient toujours ressenti le remord de ne pas avoir tout tenté pour sauver leur camarade de la noyade. Pour effacer le traumatisme, Koichi avait dessiné un plésiosaure qu'il imagina responsable de la mort de l'enfant. A cet instant, dans l'esprit de Koichi, le jeune Mori l'entraine alors en bateau vers le large. Atsumi court vers son ami mais ne peut empêcher son départ. Elle se réveille au centre médical et constate que Koichi est déclaré mort.

Atsumi n'accepte pourtant pas ce destin et demande à être ramenée dans le passé pour sauver Koichi. Les médecins acceptent et, cette fois, elle parvient à décider Koichi à demander pardon à leur jeune camarade et à revenir vers la terre. Alors qu'ils se croientt sauvés, surgit des flots un gigantesque plésiosaure qui tente de les entrainer vers le large. Koichi, sachant qu'il est un avatar de Mori, parvient à le raisonner. Alors qu'il cherche à fuir par le centre touristique à l'abandon, ce sont ses blocs de béton qui bloquent et empêche sa sortie. Koichi ne peut en effet manquer de se sentir responsable du gâchis écologique mené par son père. C'est alors que surgit une seconde fois le plésiosaure, incarnation de ce nouveau traumatisme. Là encore, Koichi devra reconnaitre sa faute pour voir partir l'animal. C'est sain et sauf que les deux jeunes gens reviennent au centre hospitalier.

Le projet avait de quoi séduire Kurosawa. Un jour parfait pour le plésiosaure de Rokuro Inui est l'un des romans de divertissement les plus lus au Japon et les analogies avec le blockbuster américain Inception étaient prometteuses avec le rêve sous contrôle partagé par plusieurs personnages et les thèmes du suicide et de la résurrection des morts qui permettent un suspens constant durant le film.

Les indices dispersés par Kurosawa durant le récit amènent, dès avant le milieu du film, à soupçonner que c'est Atsumi qui vient en aide à Koichi et non l'inverse. Les brumes, les fêlures qui apparaissent dans ce qui est censé être la réalité appartiennent bien davantage au domaine mental. Ce mystère et cette sourde inquiétude se manifestent aussi par une grande importance accordée à l'eau qu'envahit progressivement l'appartement que vient visiter Koichi.

Le brusque renversement de point de vu au trois quart du film n'est en rien artificiel. Il vient renforcer la dimension mentale du film qui se serait sans doute assez vite épuisé si le seul thème du suicide avait été exploré. Koichi a peur de l'eau parce qu'il s'est noyé accidentellement un soir de cafard. Mais c'est un traumatisme partagé avec Atsumi qui prend bientôt le relais. La peur commune de l'eau est due au fait que leur amour innocent est entaché par la noyade de Romi. Enfin, dernière state du traumatisme, le désastre écologique causé par le père de Koichi.

En multipliant ainsi les pistes et les ruptures, Kurosawa réussit à donner à ce qui n'aurait pu être qu'un film d'aventures de science-fiction une vraie dimension fantastique où intégrité physique et mentale des personnages vont de pair. Il redonne ainsi une version plus lègère de l'indépassable Je t'aime, je t'aime d'Alain Resnais.

Jean-Luc Lacuve le 15/03/2014