Paul boit quelque pastis au bar avec des collègues puis, bien éméché, rentre chez lui en voiture. Il est employé sur une plateforme téléphonique près d'Aix-en Provence et apprend, le lendemain, que sa journée de travail est repoussée au samedi. Il reste chez lui à boire du vin rosé en cubi, à grignoter des apéricubes et à fumer et à regarder la télévision où Jean-Pierre Pernaut débite des sornettes sur la phobie du vendredi 13. Sa femme et ses deux enfants rentrent des courses. Après quelques mots échangés, Paul décide d'aller faire un tour en vélo pour une heure.
En combinaison rouge sur le dos, il file dans les lacets grimpant vers le massif de la Sainte-Victoire. Bientôt épuisé, il abandonne son vélo, et grimpe vers un sommet du massif montagneux où il décide de se suicider. Un promeneur l'en empêche mais, comme il se définit lui-même comme un garçon constant, il se dirige vers le parapet d'un barrage, où son suicide est là empêché par un groupe d'enfants jouant au ballon. Paul erre dans la montagne et se désespère des performances que la société capitaliste exige encore d'un homme de 56 ans. Deux générations auparavant, on l'aurait tranquillement laissé assumer son rôle de pépé. Puis, alors que l'orage gronde, Paul revient vers le sommet initial. Au bord du précipice, il se déclare symboliquement mort avant de s'endormir dans les buissons.
Le lendemain, il erre dans la montagne, se désaltère à l'eau d'une piscine et se nourrit d'un vieux pot de confiture dans une poubelle. Il construit trois grands cairns de pierres qui représentent sa femme et ses deux enfants avec lesquels il monologue. Il erre ainsi plusieurs jours ; découvre un lapin pris au collet et saute à pieds joints sur la tente d'un campeur interloqué. Alors qu'il mime un cosmonaute sur un terrain lunaire, il croise un vagabond qui lui propose une partie de petit vélo puis le jeu de" je te tiens, tu me tiens par la barbichette".
Un nouveau jour d'errance, Paul dérape sur un chemin et demeure inconscient quelque temps, doucement bercé par la voix angélique d'Endorphine qui calme sa douleur. Lassé par l'inconfort des journées en pleine nature, Paul descend de la montagne et cueille quelques fleurs pour sa femme. Il est alors pris en stop par une sympathique conductrice qui lui débite des lieux communs qui le désespèrent au point de sauter de la voiture en marche. Abandonné par la conductrice au milieu de la route, il entend Endorphine constater qu'elle ne pourra rien pour lui au-delà de deux minutes. Son destin se jouera donc entre la douleur ou la mort.
Abandonnant leur grandes chevauchées idéalistes de personnages border- line en recherche de rencontres chaleureuses et, au final, désespérées, Kervern et Delepine recentrent leur cinéma sur la seule quête d'un individu perdu en lui-même, perdu dans la nature et qui ainsi, méditant et marchant aurait une chance de sortir de la dépression. Le choix d'une petite caméra numérique à la définition souvent pauvre, d'un unique acteur filmé en gros plan alors que les autres n'entrent souvent dans le champ que cadrés sous les visages, de longs plans fixes, d'un texte écrit par Kervern et Delépine mais ennoncé, si bien, par Michel Houellbecq, presque comme s'il émanait de l'acteur-écrivain, favorisent ce cinéma presque conceptuel où le texte, toujours remarquablement écrit, échappe au délitement du corps. Lorsque le texte se réincarne dans la banalité du quotidien, c'est de nouveau le drame.
Un texte baroque sur un corps épuisé.
L'alcool et la cigarette ont martyrisé le corps de Paul qui cherche à l'oublier en se suicidant ou en se fondant avec la nature dans les herbes ou sur les parois des rochers, incapable qu'il est de le maintenir dans l'état de santé qu'exige le capitalisme moderne. Si Paul accepte encore son corps, c'est celui que lui renvoie son ombre trop faible et trop maigre, sauf les cuisses trop grosses. Il croit encore à l'enfance, les jeux avec le vagabond, la plaisir puérile de sauter sur la tente et ses références à son enfance sérieuse, accrochée au réel.
"J’ai toujours pensé que se foutre en l’air nécessitait certes du courage mais aussi de la chance. On ne compte plus les suicides ratés pour cause de déveine. Certains de ces désespérés y voient, par lâcheté, un signe divin. Ce ne sera pas mon cas. Une des rares qualités que les gens me reconnaissent c’est la conscience professionnelle. J’ai toujours été jusqu’au bout des travaux que j’ai entrepris. Que ce soit dans le cadre de mon travail ou dans le privé. Enfant, par exemple, j’ai toujours fini mon assiette."
"A côté de chez mes parents, il y avait un arbre qui avait cette forme, et à côté d’une pierre, il y avait une botte en caoutchouc enfoncée dans la terre. Ça m’effrayait parce que j’imaginais mille choses à son propos. Comment voulez-vous affronter la vie quand vous avez déjà peur d’une botte en caoutchouc ?"
Mais la vieillesse n'est plus un refuge ni même un naufrage, on ne laisse plus les pépés tranquilles comme autrefois, on exige d'eux la même capacité à exceller au travail, en famille et même au lit. Dans ce monde souffrances permanantes, seule Endorphine est un ange. Le présent, celui de France-Télécom, où même une pause-pipi doit être négociée alors que les journées de travail peuvent être décalées au dernier moment, est déjà terrible. Plus encore banalement triste, le journal de TF1 de 13 heures ou la sympathiques conductrice férue d'astrologie. Rien qui puisse rattacher, Paul à son présent :
"Obsolète. Voilà. J’ai 56 ans et je suis obsolète. 56 ans. L’âge de mon grand-père quand j’avais 7 ans. Avant on était un vieux, un pépé. On attendant tranquillement la retraite. On vous demandait pas d’atteindre des objectifs. De les dépasser. On vous demandait pas d’être toujours séduisant. D’être habillé en jeune. D’être un homme viril, de baiser encore. De faire du sport. De manger équilibré. D’aimer sa femme comme au premier jour, d’être le meilleur copain de ses enfants… On vous demandait pas d’être créatifs. D’avoir de l’humour. Et des passions ! T’as eu de la chance pépé. T’as eu le droit de n’être qu’un pépé. Moi, tu vois, en étant comme t’étais, je suis devenu un pauvre gars. Obsolète."
Jean-Luc Lacuve le 19/09/2014