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La vie d'Adèle, chapitres 1 & 2

2013

Avec : Léa Seydoux (Emma), Adèle Exarchopoulos (Adèle), Salim Kechiouche (Samir), Mona Walravens (Lise), Jérémie Laheurte (Thomas), Aurélien Recoing (Le père d'Adèle), Catherine Salée (La mère d'Adèle), Fanny Maurin (Amélie), Sandor Funtek (Valentin). 2h55.

A 15 ans, Adèle est une lycéenne de première L sans problème. Tous les matins, elle court après son bus puis son train pour rejoindre un lycée réputé du centre de Lille. Le professeur enseigne avec conviction et pertinence La vie de Marianne et notamment comment, pour l'héroïne, l'amour se traduit par quelque chose qui manque. Adèle est jolie et ses copines ne manquent pas de faire remarquer combien le beau Thomas ne cesse de la mater. Un matin dans le bus, Thomas l'aborde et la discussion sur les goûts littéraires et musicaux se traduit par un rendez-vous en ville. Juste avant de s'y rendre Emma croise, enlaçant une autre femme, une jeune femme aux cheveux bleus qui lui jette un regard qui la déséquilibre presque physiquement.

A la terrasse du café de Lille, Thomas boit les paroles d'Adèle et promet de lire les 600 pages de La vie de Marianne qu'il a commencé en souvenir de leur première rencontre. Le soir pourtant, au lieu de rêver de Thomas, Adèle se rêve étreinte par la fille aux cheveux bleus. Le lendemain matin, les copines du lycée sont impatientes de savoir comment s'est terminé le rendez-vous d'Adèle et se montrent déçues de sa non concrétisation au lit. Adèle fuit Thomas qui la rattrape dans les couloirs et lui avoue son amour et sa peur d'être allé trop vite dans leur relation. Adèle, touchée, l'embrasse et, l'après-midi, les adolescents font l'amour. Mais, en dépit de l'orgasme mutuel, quelque chose cloche toujours.

Adèle s'en ouvre à Valentin, son camarade de classe, qui lui conseille de rompre. Ce qu'elle fait, suscitant la tristesse et le dépit de Thomas. Désemparée, Adèle écoute une amie lui dire qu'elle est jolie et qui tendrement l'embrasse sur la bouche. Le soir, Adèle a de nouveau des rêves érotiques avec la fille aux cheveux bleus. Le lendemain, elle cherche à revoir celle qui l'avait embrassée. Mais celle-ci la repousse gentiment, lui expliquant qu'elle s'est trompée sur ses sentiments envers elle.

Un soir abandonnant ses amies en boite, Adèle suit Valentin dans un bar gay et poursuit dans un bar lesbien où elle retrouve celle qu'elle cherche. Elle, la fille aux cheveux bleus, c'est Emma, étudiante depuis quatre ans aux Beaux-arts, tempérament irréductible et identité sexuelle assumée. Emma s'amuse du trouble d'Adèle mais s'enquiert avant de la quitter du lycée où elle étudie.

Adèle écoute sa professeure de français expliquer Antigone, comment un jour on décide de quitter l'enfance et de s'affirmer femme. A la sortie du Lycée, Emma est venue attendre Adèle qui la rejoint immédiatement devant ses copines ébahies. Les deux jeunes filles s'en vont discuter dans le parc de la philosophie de Sartre et de son pouvoir de libération de la jeunesse qu'Adèle retrouve chez Bob Marley. Emma dessine le portrait d'Adèle qui lui laisse son numéro. A peine Adèle est-elle rentrée qu'Emma l'appelle pour savoir si elle pourra la revoir.

Le lendemain, les files du lycée se déchainent sur Adèle dont l'attirance physique pour Emma a sauté aux yeux de tous. Adèle refuse d'admettre qu'elle est attirée par les filles et pleure sur sa page où Francis Ponge parle du vice de l'eau.

Adèle et Emma se revoient pour un pique-nique dans le parc et échangent sur leurs capacités en philosophie ou en langue. Adèle n'y tenant plus embrasse Emma et les deux filles s'en vont faire l'amour avec rage et bonheur. En rentrant, Adèle trouve bien désuète la fête d'anniversaire de ses 18 ans que ses parents et ses amis ont organisée. Les deux filles visitent ensemble La Piscine, le musée d'art et d'industrie de Roubaix et participent à la Gaypride dans les rues de Lille.

Adèle est reçue dans la famille d'Emma avec condescendance puis Emma dans la famille d'Adèle qui a caché la nature de sa relation avec elle à ses parents. Les deux filles en profitent pour faire l'amour longuement, violemment et tendrement.

Adèle est maintenant institutrice en maternelle où elle enseigne avec passion. Elle vit avec Emma dans une maison aménagée avec goût. Elle se prépare à recevoir les amis d'Emma ayant cuisiné tous les plats et organisé le décorum de la soirée à l'exception sans doute de la projection dans le jardin de Loulou avec Louis Brooks. Adèle ne sait que parler des plats qu'elle a confectionné et, malgré l'hommage qu'Emma lui rend aux yeux de tous, ne parvient pas à s'intégrer. Elle échange toutefois avec Samir, qui a fait un peu de figuration de cinéma et qui s'intéresse aux recettes de cuisine. Elle s'inquiète de voir Emma retrouver une complicité évidente avec Lise, enceinte, qui fut son premier amour. Le soir, Emma conseille à Adèle de trouver un moyen d'exprimer sa personnalité au travers de l'écriture. Adèle fait la sourde oreille et prétend qu'enseigner lui suffit. Emma refuse de faire l'amour.

La vie d'Adèle et Emma est devenue tristement banale. Emma fait passer son travail avant tout et néglige Adèle prenant tout juste la peine de lui cacher ses infidélités. Se sentant seule, Adèle finit par sortir avec un de ses jeunes collègues amoureux d'elle. Un soir, il la raccompagne en face de chez elle et Adèle se laisse embrasser en pleine lumière. Emma en profite pour lui faire une scène et la jeter dehors sous prétexte qu'elle lui ment puis sous le prétexte qu'elle lui dit la vérité. Larmes pleins les yeux et morve sur les lèvres, Adèle erre désespérée dans les rues.

Adèle enseigne en grande section amis a perdu sa passion d'enseigner. L'été elle continue de s'occuper des enfants se permettant un bain parfois. A la rentrée suivante, elle enseigne en CP avec autant d'assurance que d'irritation. Parfois elle s'endort sur le banc du parc qui vit le début de son amour avec Emma. Un jour elle a enfin rendez-vous avec elle dans un café. Adèle brûle de désir mais Emma veut préserver son couple avec Lise et s'occuper de leur enfant. C'est vacillante qu'Emma finit l'année par la traditionnelle kermesse où tous les enfants lui portent des fleurs. Adèle se rend à l'exposition d'Emma qu'elle partage avec un autre artiste dans une galerie. Adèle comprend définitivement combien elle est éloignée du monde d'Emma et de Lise. Encore une fois, seul Samir, devenu agent immobilier, s'intéresse à elle. Il tente de la retrouver dans la rue mais les sens interdit qui la jalonnent indiquent le peu d'espoir de cette relation.

Kechiche, et c'est tant mieux, n'a pas renoncé à sa colère sociale pas plus qu'à sa narration en grands bocs de scènes assez longues dans cette libre adaptation du Bleu est une couleur chaude, la bande-dessinée de Julie Maroh. Cinéma exigeant de ses acteurs de faire exister la scène dans la durée de leurs dialogues et de leurs gestes, c'est par eux que se révèle sans appel l'impossible réconciliation des classes sociales au-delà de ce que dure un amour. Celui-ci est magnifié de sa naissance frémissante et innocente à sa fin cruelle et odieuse comme une exception à la règle qui est de rester seul, socialement et amoureusement.

Blocs contre blocs

Dans la famille d'Adèle, on mange des spaghettis bolognaise avec un bon vin de table tout en écoutant Questions pour un champion. On sait la vie sociale difficile et, pour sa fille, on souhaite un métier solide qui protège en cas de coup dur. Si Emma veut se consacrer à la peinture mieux vaut qu'elle épouse un commercial qui la fera vivre : "Les peintres ne gagnent leur vie que quand ils sont morts". Cette solidité de surface s'incarne dans les plans rapprochés de spaghettis appétissants et de vin dans de jolis verres. La télévision n'est entendue que off, préservant ainsi la belle abstraction des questions sur le vocabulaire ou la compagne d'Orphée.

Dans la famille d'Emma, cohabitent la mère et le beau-père, l'intellectuelle et le bon vivant et le menu sophistiqué de fruits de mer et de vin blanc est une découverte pour Adèle. L'expression de soi est valorisée et le dévouement à la cause des enfants, exprimé par Adèle, surprend.

Le lycée constitue le troisième bloc de certitudes, celles émancipatrices des enseignements de littérature et celles castratrices des préjugés homophobes de la plupart des camarades d'Adèle.

Avec un temps pour l'amour

Face à ces milieux typés, Kechiche parvient à faire exister son histoire d'amour par deux longues scènes de dialogue et deux presque aussi longues scènes d'amour physique. Les scènes dans le parc aux dialogues spirituels et au désir non exprimé, aboutissent au plan du premier baiser traversé de soleil. Il n'en faut pas moins pour, en contrepoint, lorsque l'amour ne sera plus partagé, faire retentir la différence avec le plan d'Adèle allongée sur le banc du parc en automne.

Les scènes sexuelles sont d'une longueur et d'une intensité rare au cinéma. L'empire des sens (Nagisa Oshima, 1976), L'ennui (Cédrick Kahn, 1998) et Intimité (Patrice Chéreau, 2000) avaient aussi approché cette passion à atteindre le plaisir qui se déchaîne ici. L'amour physique étant sans issue quand rien ne vient le relayer, Emma finira par se débarrasser cruellement d'Adèle pour Lise. Il faut toute la présence charismatique de Léa Seydoux pour faire rayonner le personnage d'Emma, indépendante et lucide, face au désespoir insondable dans lequel elle plonge l'innocente Adèle.

Jean-Luc Lacuve, le 05/10/2013.

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