Après quelques
mots empruntés à Léonard de Vinci sur l'importance des
éléments et de la nature, Alain Jaubert dresse une rapide biographie
du peintre :
I - Biographie de Vinci
1472 : Leonard commence sa carrière de peintre dans l'atelier de Verrocchio
à Florence. Il serait l'auteur de l'ange et du paysage derrière
lui dans le baptême du Christ de son maitre. A la même époque,
il peint l'Annonciation et se fait remarquer comme portraitiste. Plusieurs
madones lui sont attribuées. Il commence l'adoration des mages qu'il
n'achèvera pas
Il quitte la toscane pour Milan où il se met au service de Ludovic
le Maure. Il peint la dame à l'hermine et une première version
de la vierge aux rochers
1495 : Il commence La Cène pour le réfectoire de sainte Marie
des grâces
A la suite de Ludovic, Leonard part pour Mantoue où il commence un
portrait d'isabelle d'Este
De retour à Florence il commence la bataille d'Anghiari pour la palazzo
vecchio. Détruite il n'en reste que des dessins préparatoires
et une copie de la partie centrale peinte par Rubens.
Leonard commence à travailler sur le thème de sainte Anne, exécute
le Portait de Mona Lisa.
1506 : Retour à Milan, seconde version de la vierge aux rochers
1513 : Il quitte Milan et entre au service de Julien de Médicis à
Rome
1516 : A la suite de la mort de son protecteur, il accepte l'invitation de
François 1er au Clos Lucé; non loin du château d'Amboise.
Il emporte la Joconde, la sainte Anne et saint Jean-Baptiste.
Il meurt le 2 mai 1519. Son assistant, Francisco Mezzi, repart en Italie en
emportant plus de 10 000 pages de notes et de dessins. Ses textes sont écris
à l'envers, de droite à gauche. Ses pages sur la peinture seront
assemblées dans un traité qui, à partir du XVIIe siècle,
connaitra plusieurs éditions. La Joconde est restée en France.
Mezzi emporte peut être la sainte Anne en Italie où elle sera
acheté par Richelieu. Elle Entre au Louvre en 1801
Vinci : L'homme a parfois été nommé Le microcosme. Si l'homme a les os comme support et armature de la chair, le monde a les rochers comme support de la terre.
II - Genèse de l'oeuvre
La premiere version de la sainte Anne, celle de la National Gallery à Londres, est un dessin au fusain avec de rehauts de pastels. L'enfant joue avec saint Jean-Baptiste. Bernardo Luine, un élève de Vinci, a rajouté un saint Joseph à l'ensemble.
Un second carton fait l'émerveillement de la ville de Florence, peut-être pour le couvent des servites dont Vinci est l'hôte. Saint Jean-Baptiste est remplacé par un agneau. Le carton a disparu, une esquisse restée à Venise lui correspond peut-être.
Leonard aurait fait un troisième carton pour préparer la sainte Anne du Louvre, cette uvre a disparu aussi. Il n'en reste que les esquisses.
III - Support matériel
Quatre planches de peupliers d'Italie de trois centimètres d'épaisseur renforcées par la suite par deux barres transversales de bois de sapin. A une époque ultérieure, le tableau a été élargi. Deux bandes de huit à dix centimètres ont été ajoutés de chaque côté. Elles sont ensuite été peintes de façon à amplifier la composition. Ces deux bandes latérales sont aujourd'hui cachées par le cadre. Les planches se sont déformées et présentent une certaine convexité qui apparaît nettement avec une lumière rasante. Une fissure importante traverse le visage de sainte Anne.
Sur une préparation claire ou rougeâtre, le peintre réalise un dessin très détaillé pour mette en place un modèle monochrome, une couche de peinture mince pour la sainte Anne.
La théorie réside dans l'intelligence mais la pratique est dans les mains et c'est pour cela que Leonard de Vinci acheva très peu de chose. Il en disait la cause : sa main n'arrivait pas à la hauteur de son intelligence.
Très apprécié, le tableau a été l'objet de nombreuses restaurations qui l'ont abimé. Les vernis anciens se sont assombris de façon non uniforme et ont assombris la peinture.
IV - Description de l'oeuvre
Deux zones chromatiques emboitées, celles des couleurs chaudes, les
carnations des personnages, celle des couleurs froides : les montagnes, le
manteau de la vierge. Accentue l'effet triangulaire de la construction pyramidale
axe vertical tête et pied gauche de sainte Anne. Du mal à distinguer
les formes les membres semblent permutables patte de l'agneau en continuité
avec la cuisse de l'enfant
Michel ange sainte famille, Raphaël madone a l'agneau
Les figures se superposent, se nouent, s'enchevêtrent .Paysage minéral ruisselant d'eau comme après une catastrophe tellurique, partie droite de la Joconde, vierge aux rochers l'abime sépare le spectateur de la scène
La figure de sainte Anne rare au XIVe se repend en Toscane au XVe. Chez Masaccio,
c'est une femme âgée, elle domine la Vierge en un groupe hiératique.
Ici pas de différence d'âge ni de hiératisme la tendresse
de saint Anne entoure Marie comme celle-ci entoure de ses bras son fils. L'enfant
s'échappe de sa mère comme pour une naissance. Il rejoint l'humanité
en tentant d'enjamber l'agneau, il torture un peu l'animal. Il mime ses futures
propres souffrances et sa propre mise à mort. Marie peut être
consciente de l'avenir de son fils tente de la retenir.
V -Originalité du traitement
La conquête d'un visage personnel et chargé d'implications philosophique est caractéristique de la renaissance florentine. A l'idéal platonicien de la beauté, à la douceur de Leonard qu'il partage avec Le pérugin ou Raphael, s'ajoute un trait distinctif : le sourire.
Evident dans la Joconde ou la sainte Anne, on peut le voir aussi sur les lèvres de la Vierge aux rochers, de l'ange, ou de la dame à l'hermine. Il inscrit la bouche et les yeux dans un cercle parfait.
En 1910, Freud s'appuie sur un souvenir de jeunesse de Vinci pour publier une analyse du tableau. Vinci : "Il semble que ce soit mon destin d'écrire ainsi sur les Milans car, parmi les plus lointaines impressions d'enfance, il me souvient que du temps où j'étais au berceau, un Milan vint m'ouvrir la bouche de sa queue et, à plusieurs reprises me frappa de sa queue sur les lèvres.
Se fiant à une mauvaise traduction, Freud prend l'oiseau pour un vautour. Il note que cet oiseau était une divinité maternelle chez les anciens Égyptiens. Leonard, fils bâtard d'un notaire toscan a eu deux mères : sa vraie mère et sa mère d'adoption. D'où, selon Freud la condensation de la figure maternelle en un seul corps. Le sourire énigmatique qui revient dans plusieurs de ses personnages serait le sourire maternel sublimé.
Un disciple de Freud, Oskar Fister, découvre quelques années plus tard la silhouette d'un vautour dans les contours et les plis du manteau de la Vierge. La queue de l'oiseau viendrait bien en contact avec les lèvres de l'enfant
Alain Jaubert valide non seulement l'hypothèse du sourire maternel mais aussi le possible jeu avec la figure simplifiée du Milan. Leonard a en effet parfois été fasciné par les images fantastiques. Il affectionne les prophéties, les anamorphoses. A la même époque, Mantegna fait apparaitre des profils dans les nuages. Le XVIe siècle sera marqué par la figure de l'analogie, par les paysages anthropomorphes, les têtes composées, grotesques. Cette esthétique de l'ambiguïté survivra aux siècles suivants dans les anamorphoses et les illusions d'optique.
L'entrelacs des lignes et des formes souhaité par Leonard multiplie les possibilités d'analogies et de correspondances et préfigure les tentations baroques qui succèderont à la Renaissance : au monde clos se substituera le monde infini, aux formes fermées succèderont les formes ouvertes. Ces pistes anachroniques sont peut-être l'explication de l'inachèvement des uvres de Leonard.
Depuis qu'elle a été peinte entre 1500 et 1515, de nombreux écrits et analyses sont parus sur cette oeuvre. En disséquant le tableau jusqu'aux moindres détails, Alain Jaubert mène enquête scientifique détaillée. En intitulant son documentaire Le sourire et l'entrelacs, il livre deux clés d'interprétation majeures pour convaincre le spectateur de la beauté et de l'importance du tableau.
Leonard, fils bâtard d'un notaire toscan a eu deux mères : sa vraie mère et sa mère d'adoption. Alain Jaubert valide la thèse de Freud pour lequel Vinci condense les deux figures maternelle de Marie et Anne en un seul corps. Le sourire énigmatique qui revient dans plusieurs de ses personnages serait le sourire maternel sublimé. La conquête d'un visage personnel et chargé d'implications philosophique est caractéristique de la renaissance florentine. A l'idéal platonicien de la beauté, à la douceur de Leonard qu'il partage avec Le pérugin ou Raphael, s'ajoute le trait distinctif de Léonard : le sourire. Evident dans la Joconde ou la sainte Anne, on peut le voir aussi sur les lèvres de la Vierge aux rochers, de l'ange, ou de la dame à l'hermine. Le sourire qui inscrit la bouche et les yeux dans un cercle parfait répond ainsi aux préoccupations scientifiques, intimes et artistiques de Leonard.
L'entrelacs des lignes et des formes souhaité par Léonard dans la condensation des corps d'Anne et Marie mais aussi de Jésus enfant et de l'agneau et dans tous le paysage multiplie les possibilités d'analogies et de correspondances et préfigure les tentations baroques qui succèderont à la Renaissance : au monde clos se substituera le monde infini, aux formes fermées succèderont les formes ouvertes. Ces pistes anachroniques sont peut-être l'explication de l'inachèvement des uvres de Leonard.
Jean-Luc Lacuve le 30/04/2012
Série "Palettes". Avec les voix de Marcel Cuvelier et de Valerio Adami pour Leonard de Vinci. 0h30.