Dans les locaux dune caserne de province et se noue autour de quelques événements dont les péripéties sentrelacent : une tombola, lélection dune reine de beauté, un incendie qui se déclare dans les environs et la remise dune hache dor au vétéran des pompiers
Il sagit à la fois dun film plus classique (par le respect des trois unités de temps, de lieu et daction) et plus ambitieux, de par sa structure chorale. Il ny a plus, comme dans lAs de pique et les Amours dune blonde, un personnage principal auquel se rattacher, mais la description dun rituel collectif réunissant quelques groupes, les jeunes et les vieux, les habitants venus faire la fête et le comité des pompiers. Cest aussi le premier film en couleur de Forman, et son complice de toujours, le chef-opérateur Miroslav Ondrícek, sen tire avec les honneurs (il travaillera sur tous les films de Forman des Amours dune blonde à Valmont, à lexception de Vol au-dessus dun nid de coucou). À une séquence près, toute laction prend place dans les locaux dune caserne de province et se noue autour de quelques événements dont les péripéties sentrelacent : une tombola, lélection dune reine de beauté, un incendie qui se déclare dans les environs et la remise dune hache dor au vétéran des pompiers, vieil homme hagard et dune courtoisie dun autre âge. Beaucoup plus découpé que les Amours dune blonde, le film croise ces fils avec adresse.
Dès le prégénérique, le ton est donné. Le feu sempare dune affiche tandis quon décore la salle des fêtes. Les pompiers accourus ne parviennent pas à actionner un extincteur défectueux. Forman, Passer Papouek ont conçu Au feu, les pompiers comme une parabole politique. Derrière le comité organisateur composé de petits chefs incompétents, toujours prompts à se défausser de leurs responsabilités sur le dos du voisin, il nest pas difficile de reconnaître les dirigeants du politburo communiste ; dans lassistance réunie pour le bal, le microcosme dune société ayant abdiqué tout idéal ; dans lincendie, limage dun système au bord de leffondrement. La fête où lon picole ferme tourne rapidement au chaos. Le vétéran quon honore est traité comme un paquet encombrant dont on ne sait trop que faire et quon finit par oublier sur sa chaise. Le recrutement des candidates au concours de beauté vire au désastre. Les mères cherchent à placer leur progéniture et font des pieds et des mains pour influencer le jury. Lune des filles se livre à un strip-tease embarrassant pour être sélectionnée, et pour finir toutes se réfugient aux toilettes au moment de monter sur scène. Chemin faisant, Forman épingle la culture du chapardage, présentée comme un réflexe de survie dans un pays où chacun est privé des biens de première nécessité. La solidarité est une vaste blague. Un des organisateurs se révèle même incapable de se souvenir du mot lorsquil prononce son discours. La collecte organisée pour le malheureux qui a vu sa maison consumée par les flammes ne rapporte aucun argent mais des billets de tombola, dont les lots ont été dérobés les uns après les autres. Lorsque le président somme lassistance de restituer les objets volés, personne ne bronche. Magnanime, il propose quon éteigne les lumières pour que les voleurs puisse rendre leur butin sans être vus. Quand la lumière revient, les derniers lots qui restaient sur la table ont disparu. Au deuxième essai, cest un pompier qui est saisi en flagrant délit de restitution du fromage de tête que sa femme avait chipé. Sensuit un conseil à huis clos où lon débat vivement pour savoir sil faut féliciter le pompier davoir montré que la seule personne honnête de lassistance était un membre de la brigade, ou le fustiger au contraire davoir par sa conduite ridicule déshonoré le corps des sapeurs : du moment quil avait volé un lot, il ne devait en aucun cas le rendre. Cette scène en particulier excitera la fureur des officiels lors des premières projections.
Selon sa sensibilité, on pourra louer Forman davoir réalisé un film aussi noir et peu aimable, où il ne se trouve rien pour sauver personne. On pourra aussi regretter que sil entre beaucoup damertume dans cette peinture de lhumanité, cette amertume vire à laigreur. Malgré sa brièveté, le caractère systématiquement caricatural du film a quelque chose de lassant. Cest que, contrairement aux Amours dune blonde, Au feu, les pompiers ne joue que sur un seul registre : celui de la farce grinçante, au trait appuyé, non toujours exempt de lourdeur ni de complaisance. Les candidates récalcitrantes au concours de beauté sont toutes des gourdes plus « moches » les unes que les autres. On pourra certes arguer que leur sélection reflète le mauvais goût dun comité de vieillards égrillards. Il nen reste pas moins que le film les montre bel et bien comme telles. Forman sen est défendu en affirmant vouloir dénoncer un système qui avilit les gens plus que les personnes qui en sont les rouages et les victimes, mais force est de reconnaître quil na pas su toujours trouver la bonne distance et que linsistance sur la bêtise, la laideur et le grotesque est telle quelle finit par gêner.
Au crédit du film, on portera cependant la belle scène de lincendie où, quittant la caserne, le film respire, et nous avec lui. Tandis que le camion de pompiers senlise dans la neige, lassistance se presse à ce nouveau spectacle. Un bar de fortune est installé à la hâte. Une dame essaie en vain dobliger le vieux paysan à ne pas regarder sa maison brûler, mais celui-ci sentête (car toujours chez Forman il sagit de regarder la réalité en face). La caméra sattarde, comme le cinéaste sait si bien le faire, sur des visages en proie à des sentiments mêlés. Le temps se suspend, comme médusé. De la même force est la clausule du film, où lhomme se couche au milieu de la neige dans son lit, parmi les rares objets qui furent sauvés des flammes : moment de poésie énigmatique relevé dun dernier trait dhumour, qui nest symbolique ou allégorique de rien du tout, mais résonne de sa seule étrangeté.
Au feu les pompiers provoqua la colère des pontes du parti, qui se sentirent directement visés. Le climat social, à la veille du Printemps de Prague, ne permettait pas une interdiction du film en bonne et due forme qui aurait été politiquement risquée, mais on entreprit den saboter lexploitation. Lorsque Ponti, qui avait détesté le film lui aussi, décida de retirer son apport financier en se servant dune clause en petits caractères du contrat, Forman fut accusé de sabotage économique, délit passible de dix ans demprisonnement. Invité au festival dAnnecy, il eut heureusement la chance dy rencontrer Claude Berri et François Truffaut. Mis au courant de la situation, ces derniers réunirent sans plus tarder, dans un bel élan de générosité, les fonds nécessaires pour sauver la mise. Berri assura une distribution internationale au film qui fut, comme les Amours dune blonde, sélectionné pour lOscar du meilleur film étranger. À quelque temps de là, les chars entraient dans Prague. Et Milo Forman, qui se trouvait alors à Paris, senvola pour les États-Unis.