Dans un joli pavillon propret de la banlieue aisée de Rome, Juliette, jeune femme aimable, bourgeoise, attend son mari pour fêter leur anniversaire de mariage qu'elle a soigneusement préparé avec ses deux soubrettes gentilles et rêveuses. Giorgio, son mari a oublié leur anniversaire. Organisateur de galas et de réceptions, il rentre tard en compagnie d'une troupe de personnages excentriques que Juliette se voit contrainte d'accueillir avec le sourire. Il y là Valentina, jeune femme brune, férue d'occultisme, Genius, lui aussi très versé en cette matière, Hélène une artiste sculpteur avec son nouvel et jeune amant et un avocat bellâtre qui fait une cour sans espoir à Juliette. Genius convie les femmes présentes à une séance de spiritisme dans laquelle interviennent la gentille Iris et le violent Olav. Juliette, qui n'en peut plus de faire face avec gentillesse, s'évanouit. Les invités s'en vont et Juliette rejoint sa chambre où son mari a déjà mis un masque sur ses yeux.
Le lendemain, elle se réveille en entendant son mari partir en voiture pour le travail. Juliette s'en sur la plage avec ses deux enfants, et la nurse chargée de les surveiller. Elle y retrouve son médecin auquel elle fait part des cauchemars qui la hante de plus en plus souvent. Au loin s'installe sa voisine, une splendide blonde qui vit dans le luxe et le raffinement. Elle offre des fruits aux enfants mais Juliette les éloigne aussitôt. C'est du bout des lèvres qu'elle la remercie et dit ne pas fréquenter. Alors qu'elle s'endort, elle est en proie à un cauchemar dans lequel apparaissent dans la gueule d'une pelleteuse marine des guerriers d'un autre âge.
Au retour de la plage, Juliette croise sa mère et ses deux surs, Sylvia la plus jeune est une charmante actrice qui débute à la télévision alors que sa sur aînée est plus sévère. Moins cependant que sa mère qui lui reproche de ne pas être assez féminine pour son mari. Le soir, Juliette regarde la télévision avec ses deux soubrettes en attendant le retour de son mari. La nuit, celui-ci rêve d'une Gabriella qu'il enlace. Au matin, Juliette interroge Giorgio sur la Gabriella évoquée dans la nuit. Il nie connaître une Gabriella et lui affirme qu'elle a mal entendu.
A mettre des poivrons et des piments en conserve avec ses deux soubrettes, Juliette s'ennuie et accepte finalement l'invitation de Valentina pour une conférence de Bishma un maître spirituel de passage à Rome. Juliette est surprise de se voir choisie par Bishma, vieillard hermaphrodite, pour expliquer ses rêves. Elle se revoit enfant subjuguée par son grand-père homme chaleureux et jovial qui l'emmenait au cirque et qui s'enfuit un jour avec une belle écuyère. Celui qui était alors le professeur Filipis fut renvoyé de l'enseignement par son sévère proviseur. Bishma lui conseille aussi de se monter plus féminine et docile envers son mari et profère quelques propos obscènes puis promet à Juliette une rencontre décisive pour le soir
En rentrant chez elle, Juliette est en effet accueillie par José, un ami espagnol de son mari qui ne se montre pas insensible à sa gentillesse. Dans la nuit, Juliette surprend son mari au téléphone en pleine conversation amoureuse. De nouveau, il nie.
Cette fois cependant, soutenue par sa sur aînée, Juliette décide d'engager un détective pour faire suivre son mari. Elle rend ensuite visite à Hélène son amie sculpteur qui rêve d'avoir un rapport charnel avec Dieu. Juliette évoque un souvenir d'enfance. Elle participait à une séance théâtrale organisée par les religieuses. Elle jouait le rôle d'une sainte martyre placée sur un gril et dévorée par des flammes artificielles. Son grand-père était intervenu pour la délivrer causant un scandale et les pleurs de la petite Juliette, persuadée avec son amie Laure qu'elle allait rencontrer Dieu.
La voisine de Juliette, beauté blonde et pulpeuse, s'habille de façon extravagante et entretient, dans sa maison somptueusement meublée et décorée, une grande quantité et variété d'hôtes bizarres. Juliette est ensuite appelée par le détective qui lui prouve que son mari la trompe avec Gabriella Olsi, un mannequin de 24 ans.
Le soir Juliette retourne chez Susie, impressionnée par ce monde étrange autour d'elle et de Momy, son amant de 65 ans. Elle est fascinée et presque séduite par un beau jeune homme aux yeux de velours que Susie a désigné comme son fils. Juliette est sur le point de faire l'amour avec lui lorsque des visions d'elle enfant, brûlant sur le grill, lui apparaissent.
Chez Juliette, c'est de nouveau la fête. Un monde fantastique envahit progressivement son esprit troublé : elle a de plus en plus de mal à repousser les émanations de son imagination et de son inconscient : des chevaux sur un radeau, des officiers nazis, un prophète barbu et chevelu juché sur une colonne. Juliette est de nouveau courtisée par l'avocat et José. La signora Miller propose de jouer au jeu du psychodrame qui consiste à projeter une période sombre de sa vie dans quelqu'un d'autre. Elle lui suggère ensuite, lors d'une promenade que ce qu'elle souhaite c'est peut-être d'être seule.
Juliette décide d'affronter Gabriella. Mais, chez la jeune mannequin, elle ne trouve que la bonne. Gabriella l'éconduit au téléphone. Elle part pour quelques jours de vacances avec son amant et ne veut pas parler à une perdante. En rentrant chez elle, Juliette constate que son mari, effectivement, s'apprête à partir en voyage. Il invoque du travail, un besoin de solitude et affirme l'aimer toujours, que l'on a calomnié ses relations avec Gabriella.
Juliette pleure seule devant la télé. Lui revient alors toutes ces images de martyre qu'on lui imposa fillette et dont son grand-père essaya de la libérer. Aidée du souvenir de celui-ci, elle leur dit adieu. Libérée, elle s 'en va dans la campagne romaine. Mais déjà, de nouveaux esprits demandent l'hospitalité, promettant d'être ses amis.
Second film en couleur de Fellini après La tentation du docteur Antonio, Juliette des esprits ouvre la troisième période, la plus moderne de l'uvre de Fellini. Le thème reprend en grande partie ceux de La strada et des Nuits de Cabiria. Le voyage accompli par l'héroïne n'est cependant plus effectué dans l'espace mais dans l'imaginaire.
Gelsomina, Cabiria, Juliette et Alice.
Gelsomina et Cabiria étaient d'emblée des personnages sympathiques en proie à la violence des hommes qui ne semblaient vouloir leur laisser aucune place sur terre. Gelsomina mourrait martyre, provoquant la larme rédemptrice de Zampano et Cabiria, entre rire et larmes, prenait le spectateur à témoin de la dureté de sa vie. Genius exprimera ici ce que tous ressentent vis à vis de Juliette qu'ils savent trompée par Giorgio. Génius fait s'exprimer non Iris, l'esprit amical vis à vis de Juliette, mais Olav plus brutal :"Tu n'es rien. Tu es abandonnée. Tu ne comptes pour rien".
L'abandon de Juliette est ainsi le thème central du film, celui qui relie les différents épisodes par lesquels Juliette va essayer de trouver une place dans le monde qui l'entoure. A l'opposé d'un drame de l'adultère où Juliette chercherait par l'action à résoudre son problème, c'est à l'intérieur d'elle-même qu'elle va chercher les raisons de son abandon. En choisissant, une jeune femme bourgeoise et conformiste, Fellini abandonne le terrain des épreuves sociales pour celui des épreuves de l'imaginaire. Juliette traverse le miroir des apparences et se retrouve de l'autre coté, celui de l'imaginaire et des reflets, telle Alice aux pays des cauchemars.
Le premier plan qui passe derrière l'écran de végétation verte pour découvrir le pavillon de Juliette tel une maison de poupées évoque ce monde artificiel et presque fantastique dans lequel évolue Juliette. Ses deux soubrettes, Elisabetta et Teresina, et la végétation trop bien taillée du jardin participent de cette même possibilité d'être à la fois dans le réel et l'imaginaire.
Un voyage au travers des religions et de la psychanalyse
Traverser les apparences est un périple dangereux et courageux. Ce n'est que forcée par les soupçons d'infidélité de son mari que Juliette s'y contraint.
Elle n'est en apparence pas travaillée par l'idée de Dieu. Elle se le figure derrière un grand portail toujours fermé et plein de poussière. Il redevient plus concret lorsque Hélène lui déclare vouloir redonner à Dieu sa dimension physique pour ne plus avoir peur de lui. C'est, pour elle, un héros de la forme physique qu'elle peut posséder et prendre pour amant. Juliette se revoit alors dans le théâtre des surs qui inculquent aux petites filles l'idée du martyre.
La religion catholique est la plus critiquée mais la philosophie orientale est tout aussi dénigrée. Bishma au-delà du discours général (l'illuminé voit à la fois l'unité et la multiplicité, l'apparence et la substance ) lui fait remarquer que la félicité s'obtient en luttant mais lui dit aussi que l'amour est une religion : "ton mari est ton dieu, ton esprit doit se consumer" avant de s'embarquer dans des conseils érotiques où l'important serait de prononcer le son "hin", de lâcher le grand soupir avant de prononcer à nouveau les sons "put" ou "fut" et le son "platt".
La parcours de Juliette pourrait se rapprocher de celui d'une psychanalyse.
Face à tous les discours dont se plaint Juliette (Toute ma vie est
pleine de gens qui parlent, Qui dois-je écouter ? Il faut souffrir
pour être belle, on va te montrer comment être plus féminine)
le discours de Miller, la psychanalyste "Vous vous identifiez trop à
vos problèmes voilà l'erreur" et lui proposant de s'imposer
une séparation de son mari est la plus convaicante.
L'image-cristal : Juliette entre les faces clairs et sombres de l'existence
Les désirs de Juliette sont simples, dormir avec un mari qu'elle aime et qui la protège. Elle n'a que faire de la cour empressée du vieil avocat ou de José, l'homme de Cordoba qui lui propose une sangria qui "coupe la soif de celui qui la boit même les soifs dont on n'ose pas parler". José, bellâtre amateur de Riveira, Garcia Lorca et d'une tauromachie poétique (l'infortuné se jette et moi je le tue à coups d'illusions), l'importune plus qu'il ne la séduit.
Il ne peut y avoir de happy-end pour Juliette. Au mieux une libération des tensions accumulées. Elle parviendra ainsi dans une image saisissante à congédier toute cette armada de personnages qui lui pèsent, ce bric-à-brac de tensions dominées par Susie, réincarnation de l'écuyère dont tomba amoureux son grand-père et par les soupçons d'infidélités de son mari qui pèsent sur elle depuis longtemps. Le premier rêve est en effet amorcé par celui qui se révélera être le détective.
Petit à petit les pièces du puzzle qui se sont assemblées dans l'esprit de Juliette finissent par l'alléger mais au prix d'un combat où la mort guette constamment. Susie est un personnage dangereux qui bascule facilement dans le démoniaque. Les portes de sa demeure ouvrent sur des personnages inquiétants telle Arlette et ses trois suicides. Les statues de sphinx se transforment en oiseaux de proie alors que les invitées de transforment en vampires. Juliette pourrait se suicider comme son amie Laura qui, le soir du départ de son mari, l'appelle près de la mare.
Oscillant ainsi sans cesse entre mort et libération, réel et imaginaire, réminiscence et prémonitions, lourdeur et légereté tendresse et violence, Juliette des esprits se révèle un magnifique film de l'image-cristal dont la structure même, évoque le destin de l'être moderne à jamais pris dans les miroitements du monde, tour à tour, inquiétant et fascinant.
Editeur : Carlotta-Films, novembre 2009. |
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Réédité à l'occasion de l'exposition Tutto Fellini au Musée du jeu de paume et du DVD Fellini au travail. |