Après quatre années de séparation, Ahmad arrive à Paris depuis Téhéran, à la demande de Marie, son épouse française, pour procéder aux formalités de leur divorce. Lors de son bref séjour, Ahmad découvre la relation conflictuelle que Marie entretient avec sa fille, Lucie. Les efforts d'Ahmad pour tenter d'améliorer cette relation lèveront le voile sur un secret du passé.
On croyait pourtant bien terminés les films du type Kramer contre Kramer (Robert Benton, 1979) qui déroulent leur scénario au service d'une thèse douloureuse et facilement partageable par les spectateurs, celui de la souffrance des séparations et des histoires d'amour qui finissent mal. Si Une séparation faisait preuve d'un minimum de mystère dans l'interprétation des motivations des personnages, il n'en hélas pas de même ici.
Un mélodrame de la culpabilité
Beaucoup trop d'éléments mélodramatiques sont introduits pour prétendre à être la description de la famille recomposée (dont le film ne fait pas, c'est le moins qu'on puisse dire, l'apologie). Farhadi multiplie en effet les coups de théâtre au bout d'une heure et demie de film.
Il fait alors circuler la patate chaude de la culpabilité d'un personnage à l'autre. Le couple qui a osé essayer d'être heureux est soudain déchargé de sa culpabilité (soupçonnée par le calme, responsable et bien comme il faut Ahmad) grâce à l'histoire de la robe tachée racontée par Naïma. La culpabilité, soudain effacée, passe alors sur Lucie qui a transféré les mails des amants à l'épouse. Et le film part alors sur une autre piste : faut-il ou non révéler l'acte fatal de Lucie ? Après avoir bien appuyé chacune des scènes d'aveux, de Lucie à Ahmed, de Ahmad à Marie, de Marie à Samir (deux fois) vient un troisième rebondissement : la suicidée n'était pas dans le magasin. S'en suit la confession de Naïma (nouvelle coupable) puis son retour pour faire porter la faute sur Samir qui n'a pas su voir la détresse de sa femme.
Les quatre-vingt-dix premieres minutes auraient pu suffire puisque le jeu de patate chaude ne sert à rien : c'est bien, in fine et comme Lucie l'exprimait en masquant une partie de la vérité, Samir qui est responsable du suicide de sa femme.
Farhadi n'aurait-il pas pu faire plus simple pour justifier sa thèse de l'acharnement médical comme de l'acharnement amoureux, lourdement mise en scène dans la séquence finale ? Tous ces coups de théâtre sont-ils vraiment utiles ? Tout ça pour montrer que cest un beau gâchis. Bergman travaillait aussi la douleur dêtre à deux mais au moins montrait-il que ça valait mieux que de vivre seul. Farhadi montre seulement que cest dur de vivre à deux mais avec de tels parti-pris de scénario que cela affaiblit sa démonstration. Le vrai sujet est sans doute qu'il est difficile de vivre sans culpabilité.
Une mise en scène qui ne filme que les rouages d'un scénario
Question mise en scène, le film se résume à une série de champs contre-champs où chacun récite (plutôt bien) son discours. Aucune prise de risque : pas de gros plans, pas de plan-séquence, pas déchos dune séquence passée : rien dans limage qui viendrait dire quil y a quelque chose de plus à voir que ce que disent les personnages. Dès lors, ceux ci sont réduits à leur fonction de rouage dans un scénario : Marie est débordée, malheureuse et hystérique, Samir est malheureux (ses yeux pleurent tout le temps, métaphore de sa douleur intérieure), se laisse traiter comme un chien par Marie qu'il n'aime effectivement déjà plus (main retirée du levier de vitesse) et toujours en manque de sa femme. Les enfants sont lucides (Lucie sait que l'histoire d'amour est sans issue) et Fouad porte l'espoir d'une vie meilleure de l'enfance (scène du métro).
Seule la scène du maïs grillé, du repas et de l'évier bouché donne un peu de respiration à ce scenario tricoté pour faire resplendir les valeurs de la paternité responsable... Fallait-il autant de souffrances bien appuyées et de rebondissements scénarisés pour défendre cette valeur bien consensuelle ?
Jean-Luc Lacuve le 19/05/2013.