Dans le dortoir des jeunes filles de Tourlaville c'est l'agitation ; toutes soupirent comme si Julien leur faisait l'amour. Leur surveillante a en effet commencé à leur raconter l'histoire de Marguerite et Julien de Ravalet, fils et fille du seigneur de Tourlaville. Les amants maudits sont peut-être là, dans les bois, pourchassés par la police...
Les amants maudits se reposent aussi peut-être près d'une plage survolée par un hélicoptère. Les amants maudits n'avaient pas demandé à l'être : Marguerite et Julien s’aimaient d’un amour tendre depuis leur enfance. Le frère peignait la sœur sans cesse ou la sauvait de Pégase, cheval imprudemment monté par Marguerite et qui s'était emballé. Attendris par cette affection mutuelle, leurs parents ne s’en formalisent pas, et y voient là les racines d’un bel amour fraternel. Une situation qui embarrasse toutefois leur oncle, abbé de Tourlaville, qui perçoit très vite le caractère défendu de leur relation. Les deux amoureux sont séparés : Julien est envoyé aux quatre coins de l’Europe pour ses études pendant dix ans, tandis que Marguerite reste confinée au château.
Malgré les années, la passion de Marguerite est restée fougueuse alors que Julien hésite à répondre ouvertement à cet amour. Mais Marguerite le met au supplice en prétendant épouser Marigny, le jeune nobliau voisin. Lors du repas de fiançailles, Julien, excédé des attentions de Marguerite envers Marigny, sort de table. Il est bientôt rejoint par Marguerite et tous deux reprennent leur jeux érotiques innocents de l'enfance, oubliant les invités qui, scandalisés, quittent le château. Marguerite et Julien sont avertis que tous les recherchent par Jacqueline, leur fidele nourrice. Mais les parents doivent se rendre à l'évidence : la passion de leurs enfants fait dorénavant scandale.
Seul le riche Lefebvre accepte d'épouser Marguerite. Mais celle-ci se refuse à lui. Lefebvre subit les ricanements de sa propre mère et fréquente des prostituées. Il remarque le manège de Jacqueline transmettant les lettres entre Marguerite et Julien. N'y tenant plus, il fait arrêter Jacqueline par ses hommes de main... et la tue. Marguerite reçoit alors une lettre de ses parents la conjurant d'accepter d'être la femme de son mari. Marguerite s'évanouit et c'est le fantôme de Julien qui la relève pour l'emmener dans sa chambre où elle se barricade. Une nuit, Lefebvre rentre avec des prostituées et tente de la violer. C'est heureusement la nuit où Julien est venu l'enlever. Julien la ramène au château familial.
Lefebvre porte plainte et entame des poursuites. Au château, Marguerite et Julien sont surpris dans le même lit. Même s’ils considèrent leurs enfants comme perdus au regard de Dieu, le père Ravalet et sa femme ne peuvent s’empêcher d’y voir là la traduction d’une passion maladive. Conscient du caractère impérieux de cette dernière, la mère accepte d'aider ses enfants à fuir. C’est le début d’une folle échappée dans les bois vers Barfleur. Leur signalement étant révélés à tous, ils sont repérés. Au lieu du bateau promis pour l'Angleterre, c'est l'arrestation qui les attend au petit matin.
En dépit des suppliques de Jean de Ravalet pour ses enfants devant le roi, Marguerite et Julien sont condamnés à la décapitation. Julien est d'abord décapité puis Marguerite, morte, car foudroyée par le coup mortel porté contre son frère et amant.
Dans les bois, l'humus de la terre s'est imprégné des corps décomposés des amants maudits et la nature exalte leur passion.
L'histoire du film s’inspire de celle de Marguerite et Julien de Ravalet, qui s’aimèrent incestueusement et furent exécutés en 1603. Le scénario était initialement écrit par Jean Gruault pour François Truffaut. Ce dernier refusa de le tourner en 1973. Le scénario est paru en 2011. Le film est tourné en 2014 sur le lieu de vie même de Marguerite et Julien de Ravalet, au château des Ravalet à Tourlaville, ainsi qu'à proximité : à Auderville, Barfleur, Biville, Cherbourg-Octeville, Éculleville, Gonneville, Jobourg, Saint-Lô-d'Ourville et sur l'île de Tatihou, au large de Saint-Vaast-la-Hougue. Sensible et passionné à la fois, le lyrisme de Marguerite et Julien bouscule sans cesse les conventions de la reconstitution empesée.
Des racines romanesques ...
La phrase de Truffaut dans Les deux Anglaises et le continent (1971) : "Amour, amour, les chiens sont lâchés" semble tout aussi bien convenir lors d’une des scènes initiales en flash forward où les jeunes filles du dortoir évoquent la présence possible de Marguerite et Julien fuyant les chiens lancés contre eux ou encore lors de la course-poursuite à cheval ou Julien vient sauver Marguerite. Ces amours passionnées que rien ne semble devoir arrêter se manifestent par des interrogations "Tu m'aimes toujours ?" ; "Je préfère des miettes de toi que rien du tout"
Le château de Tourlaville rappelle celui du Peau d’âne (1970) de Demy. D'autant plus que s'y croisaient déjà courses à cheval et vol d'hélicoptère, que Marguerite et Julien semblent, dès le très beau prologue de l'enfance, les princesse et prince d'un conte que la surveillante du dortoir a plaisir à narrer.
... dont les échos parviennent jusqu'à notre époque
Non seulement la voix off de la jeune surveillante ou de la jeune fille bien informée vont exalter cet amour mais aussi une multitude d'idées : jump-cut dans la course de Marguerite vers Julien, surimpression pour Julien enlevant l'âme de Marguerite, images figées lors de l'arrestation des amants, final expérimental où l'amour des amants maudits, s'étant aimés bestialement dans la forêt, nourrit la nature. Il s'agit alors de réinscrire cet amour jugé anormal et amoral en tant que partie intégrante de l’ordre naturel du monde dans sa puissance sauvage qu'avaient déjà évoqués le revolver et le sang lors du cheval abattu, l'assassinat soudain de Jacqueline ou la double décapitation des amants.
Alors que Lefebvre fait office d'ogre dans sa demeure, tout un ensemble d'anachronismes disent l'intemporalité et l'universalité de cette histoire ainsi de l’hélicoptère, de l’appareil photo, de la voiture conduite par Lefebvre la nuit, ou encore des lampes torches pour chercher les fuyards, ou du micro lors du procès. Pareillement aux musiques d'époque de Vivaldi (Les quatre saisons, concerto pour violon) se mêlent de la musique électronique contemporaine signée Pierre-Alexandre Busson (Yuksek), agrémentée de titres pops : Oh My Love (The Artwoods), Past, Present And Future (The Shangri-Las) ou Song For Bob (Nick Cave & Warren Ellis).
Jean-Luc Lacuve le 17/12/2015