Le soir. Le jeune Tony Clou, un club de golf à la main s'approche d'une résidence du au Parc, luxueuse ville privée de la Côte d'Azur. Le son étouffé d'une télévision se fait l'écho de la rébellion des banlieues qui flambent.
Tony clou est chez lui. Il s'allonge sur son lit et s'endort. Ecchymoses et plaies légères marquent ses genoux et ses mains. Un homme est conduit de la prison au tribunal. Un agent immobilier fait visiter à Paul Marteau les résidences du Parc.
Georges Clou aime sa femme, son fils, sa maison et son chien, va au bureau le matin, à l'église le dimanche, traumatisé par l'agitation sociale qui secoue le pays qui lui semble faire écho à la soudaine aphasie de son fils.
Riche, solitaire, Paul Marteau traîne une existence mélancolique et désoeuvrée. Déchiré entre la sévérité du jugement qu'il porte sur le monde et son désir d'y appartenir, Marteau s'installe au Parc. Clou y voit l'occasion d'une sincère amitié. Marteau y trouve une nouvelle raison de vivre : détruire l'idéal de bonheur de l'homme occidental incarné par la famille Clou....
Adapter un roman dont la critique sociale, celle envers le phénomène des résidences privées, est particulièrement évidente peut conduire à désigner trop facilement les bons et les méchants. Chez Cheever, qui construit son roman en trois parties, Clou, Marteau et leur rencontre catastrophique, le père de famille est nettement le bon de l'histoire alors que Marteau est le parfait bad guy.
Arnaud Despallière déplace cette problématique policière aux profits d'enjeux relevant du conte, celui du grand méchant loup pénétrant la maison des trois petits cochons, de la mystique religieuse, du sacrifice d'Isaac au martyr de saint Sébastien en passant par la dernière Cène (celle de Holbein) et la crucifixion. On y croise aussi les thèmes du terrorisme, incarné par une bourgeoise décadente, et celui de la faiblesse des enfants. Bouleversement de la chronologie, présence de la nature et violence de l'orgasme dérangeront encore un peu plus le programme trop lisse que nous promettait le roman.
Ces pères ou mères abusives qui sacrifient leurs enfants
Les premiers plans suivent en légère plongée Tony Clou qui rentre chez lui, un club de golf à la main. Ils se concluent par une soudaine élévation de la caméra vers le ciel au crépuscule. Plus tard alors que l'orage menace, la caméra opérera le même mouvement ascensionnel qu'elle reprendra, à la fin, alors que Paul Marteau est allongée en position foetale au pied de l'autel. La caméra découvre alors la grande décoration murale derrière Paul qui entonne, en voix off, depuis le tribunal où il est jugé, sa litanie sur son obsession de la crucifixion.
Le jeune Tony comme Paul sont victimes de l'enfermement dans lesquels sont confinés leurs parents. La bulle de Tony lui insupporte; il se dit décervelé d'avoir "l'impression d'être un personnage de série télé", il se dit "triste", alors que les médias font écho de la rébellion des banlieues qui flambent. Son père a beau le planter devant la nature ce n'est qu'un flou herbeux qu'il distingue depuis les vitres de la villa. Son école le contrôle a tel point qu'on lui interdit le football pour améliorer ses résultas. Ce seront la fiction et la poésie qui le tireront de sa léthargie
La bulle dans laquelle est enfermée Marteau est plus grande encore que celle de Tony. Sa possibilité d'y échapper est ainsi presque nulle. Il est issu d'une bourgeoisie désoeuvrée, décadente, cynique, crispée qui use de la terreur comme d'un ultime délassement. Paul comme Tony sont longuement représentés dans la position de recroquevillement foetale.
Despallière ne se contente pas de transposer la situation politique de la côte est des USA en 1969 à la côte d'azur des années Sarkozy. Il donne aux émeutes leur véritable dimension politique, celle d'un pouvoir enfermé dans sa sphère qui sacrifie aussi sa jeunesse lorsqu'elle refuse d'assimiler ses valeurs.
Loin de la froideur d'un Hanneke, Des Pallières est plus proche des épiphanies de la sensation de Gus van Sant. Il en reprend d'ailleurs quelques signes : la cible sur le tee-shirt de Tony ou ses filmage de marche de face ou de dos sur les routes de l'automne.
Un monde incarné
Georges Clou apparaît comme un être dont l'apparence massive cache mal la fragilité. Son goût maniaque pour les éléments propres et fonctionnels (la tronçonneuse et ses compartiments huile et essence, les bains de bouche, la pêche) laisse parfois affleurer l'angoisse qu'il traite à l'aide de drogues médicamenteuses obtenues sur ordonnances frauduleuses. La scène d'amour avec sa femme révèle toutefois une vaillance morale et physique qui en font un personnage plus sympathique que lui vaudrait sa position sociale. Comme Abraham sacrifiant Isaac, il pourrait toutefois dans un moment de colère aller jusqu'à abattre un... club de golf vengeur sur son fils. Mais un mystérieux effet divin détourne le club de golf du visage du fils.
Le recourt à la mystique chrétienne est toutefois davantage réservé au personnage de Paul. Dans la magnifique et lynchienne séquence où sa femme, Evelyne, déverse sur lui toutes ses tentatives amoureuses comme autant de flèches, il semble jouir tranquillement de ce martyr. L'interprétation grandiose de simplicité de Jean-Marc Barr en fait un moderne saint Sébastien. Lors de la première visite dans la maison. Paul s'était aussi attardé devant une reproduction de la Cène de Holbein où Judas est peint dans sa couleur fétiche, le jaune.
Cette couleur jaune, symbole de la névrose de Paul, imprègne la piscine, les murs de Dora ou la décoration christique de l'église. C'est un piège duquel ne sortira pas Jean-Marc Barr en Paul Marteau... comme une sorte non plus de Grand bleu (Luc Besson, 1988) mais de grand jaune.
Jean-Luc Lacuve le 21/01/2009
Editeur : Montparnasse, août 2010. 15 € |
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