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Blow out

1981

Genre : Film noir

Avec : John Travolta (Jack Terry), Nancy Allen (Sally), John Lithgow (Burke), Dennis Franz (Manny Karp), Peter Boyden (Sam), Curt May (Frank Donohue), Ernest Mcclure (Jim). 1h47.

dvd

Un homme tue un vigile et s'introduit dans un dortoir d'étudiantes. Il pénètre dans le local des douches, tire le rideau et lève son couteau vers une jeune fille nue qui cri....

... Elle crie très mal et c'est bien ce qui fait rire Jack Terry, ingénieur du son de Philadelphie qui enchaîne les séries Z auprès de Sam, un réalisateur qui le supplie de trouver mieux pour leur film. Revenu chez lui, Jack sélectionne divers sons et apprend par la télévision que le gouverneur McRyan est favori pour la primaire de la campagne présidentielle face au président en place. L'annonce de sa candidature se fera lors du diner du Liberty Day, le samedi suivant. Jack Manner, le chef de campagne du président, lui aussi interviewé, ne déclare toutefois pas forfait.

Jack éteint la télévision. La nuit, il enregistre des sons d'ambiance sur Wissahickon walk : une conversation amoureuse, une grenouille, et avant le son du hibou, un curieux bruit de ressort. Il perçoit soudain le bruit d'une voiture arrivant à vive allure. Un pneu éclate. Le véhicule fou défonce le parapet et s'enfonce dans la rivière. Jack plonge. Il arrache à la mort une jeune femme, Sally. Mais le conducteur est déjà mort.

À l'hôpital, Jack déclare au policier qui l'interroge qu'il a entendu deux bruits distincts au moment de l'accident : d'abord un bruit sec comme un coup de feu puis l'éclatement du pneu. Il apprend que la victime est le gouverneur McRyan et est entraîné à l'écart des journalistes. Lawrence Henry, le chef de campagne du gouverneur lui demande, par égard pour la famille McRyan, de faire silence sur la présence de la jeune femme dans la voiture.

Jack ramène Sally dans un motel et la couche sagement dans le lit où elle s'endort immédiatement du fait des somnifères reçus à l'hôpital. Intrigué, Jack réécoute sa bande magnétique. Jack constate bien les deux bruits distincts : le coup de feu puis l'éclatement du pneu. Le mystère du bruit de ressort reste non résolu.

Durant cette nuit, un homme s'introduit dans le garage où l'épave de la voiture du gouverneur est entreposée. L'homme change la roue de la voiture dont deux impacts, entrant et sortant, prouvent l'existence d'un coup de feu. Le pneu de remplacement n'a qu'un trou. Au matin, Jack explique à Sally son interprétation de l'accident de la veille. Elle lui donne avec réticence son numéro de téléphone. Il ne souhaite, dit-il, que la rappeler pour prendre un verre.

En rentrant travailler, Jack apprend par la télévision qu'un certain Manny Karp, lui aussi présent sur les lieux, a filmé l'accident avec une caméra amateur. Il a vendu son film à un magazine. Frank Donahue, reporter pour Eye-on the city news, l'a interviewé. En découpant ses clichés, publiés dans le magazine, puis en les photographiant un à un, Jack parvient à en faire un film qu'il donne à développer. Il appelle Sally et a la surprise d'apprendre qu'elle va partir en voyage. Il obtient néanmoins un rendez-vous à la gare. Là elle lui dit être maquilleuse. Il lui explique qu'il a été autrefois dans la police. Il avait placé un micro sur un agent chargé d'infiltrer un maffieux mais n'avait pas pris soin de la protéger de sa sueur. Le policier s'était trahi et avait été abattu. Jack s'était alors reconverti comme preneur de sons. Il convainc Sally de ne pas partir: en montant le son qu'il a pris sur la bande image reconstituée, il pourra prouver l'existence d'un coup de feu.

Dans un grand hall puis dans la rue, un homme suit une femme rousse qui pourrait être Sally. Profitant d'être masqué par un bus, il l'étrangle avec un filin d'acier sorti de sa montre. C'est l'origine du curieux bruit de ressort. Il bascule dans le terrain vague caché derrière la palissade de l'arrêt de bus. Sa victime n'est pas Sally. Le tueur poignarde la jeune femme d'un pic à glace pris précédent dans l'étalage d'un poissonnier.

Sally va voir Manny Karp qui n'est pas très fier de l'avoir laissé choir le soir de l'accident. Cette même nuit, Jack cale sa bande-son sur la pellicule développée et parvient à localiser le photogramme qui laisse voir un éclair avec de la fumé, preuve qu'un coup de feu a été tiré derrière la rambarde. Il vient au matin montrer sa preuve au policier chargé de l'enquête qui enrage contre lui : une commission spéciale va conclure à l'accident sans même avoir pris le soin de vérifier le pneu et reprouvera le scandale de toute autre interprétation

L'homme mystérieux, assassin de la femme, s'appelle Burke. Il appelle Jack Manner, le chef de campagne du président pour la primaire. Durant ce temps, Jack se rend chez Manny Karp pour obtenir le film original. Un policier veille devant son bureau mais lui montre des photos prises par Karp : avec Sally, il prenait des photos compromettantes pour constituer des dossiers de divorces pour les femmes de riches hommes d'affaires. Jack Manner a rappelé Burke dans la cabine et lui reproche de ne s'être pas contenté de faire des photos compromettantes de McRyan et d'avoir outrepassé sa mission en l'assassinant. Burke informe Manner qu'il a bien changé le pneu, effacé les bandes de Jack et que, s'il a perdu la trace de Manny Karp, il a l'intention de tuer Sally en faisant passer ça sur un crime du maniaque sexuel.

Jack passe au studio ou Sam tente en vain de faire crier des figurantes de manière convaincante. Jack découvre que toute ses bandes ont été effacées (cinq panoramiques circulaires) ce que lui confirme le lieutenant de police MacKey chargé de l'enquête.

Jack est désemparé et demande à Sally de passer chez lui voir son film. En partant, il croise Frank Donahue. Il sait qu'il était là le soir de l'accident qu'il a affirmé avoir entendu un coup de feu. Il lui donne rendez-vous le lendemain soir à 20h30 pour passer la bande sonore en directe

Jack va chez Sally lui montrer l'originale de la bande envoyée à la police qu'il avait conservée chez lui. Sally trouve la bande image floue et Jack est persuadé que c'est la police qui a effacé sa bande magnétique. Ainsi décident-ils que pour convaincre tout le monde il faut s'emparer de la bande originale de Karp.

Karp reconnait l'accident et affirme que c'est le plus gros coup depuis le Zapruder film. Comme il se montre trop entreprenant, Sally l'assomme et lui vole le film. Jack est enthousiaste en le visionnant chez elle et appelle Frank Donehue. L'appartement de Sally est surveillé par Burke qui se fait passer pour un sadique auprès de la police et donne l'endroit où il a tué la femme, un chantier derrière Reading market. Burke suit Jack de chez Sally à chez lui et pirate sa ligne téléphonique alors que le journaliste promet de l'appeler dans l'après-midi. Burke empêche l'appel et c'est lui qui joint Sally pour lui donner rendez-vous à la gare centrale à 17 heures.

Jack se méfie et cache un micro sur Sally. Il a tôt fait de constater que c'est Burke qui se fait passer pour Frank Donohue auprès d'elle. Il court à sa poursuite mais la perd dans le métro. Burke détruit le film et entraîne Sally à l'écart. Jack ne peut entendre que les cris épouvantés de la jeune femme. Lorsqu'il arrive sur place, il est trop tard pour Sally, morte étranglée. Jack tue Burke.

Plus tard, au studio, Jack fournit à son patron, pour les besoins du film sur lequel il travaille, l'authentique hurlement de terreur de Sally. "Ça c'est un cri" dit-il en se bouchant les oreilles.

Blow out est l'un des grands films de complot, métaphore d'une société américaine paranoïaque, à la suite de Conversation secrète (Francis Ford Coppola, 1974) ou des Trois jours du condor (Sydney Pollack, 1975). Son intrigue complexe renvoie ainsi aux traumatismes historiques subis par l'Amérique. C'est aussi, à travers l'hommage rendu à Blow up (Michelangelo Antonioni, 1966), une réflexion magnifique et désabusée sur l’incapacité du montage, aussi bien celui des sons que des images, à prouver quoi que ce soit. En supprimant l'efficacité de la preuve, De Palma cinéaste sublime un traumatisme vécu adolescent.

Une intrigue complexe au sein d'une Amérique paranoïaque

L'intrigue du film est assez complexe. Sur le lieu de la sortie de route de la voiture du gouverneur dans la rivière sont présents, outre Jack et Sally, d'une part Manny Karp, le complice de cette dernière qui filmait la scène pour faire chanter le gouverneur, et, d'autre part, Burke, le tueur, qui opérait pour Jack Manner, le chef de la campagne du président sortant. La preuve du meurtre que veut constituer Jack est aussi compliquée. John Donahue, le journaliste a publié des photogrammes à partir du film de Manny Karp. Jack, en photographiant les photogrammes puis en les montant sur pellicule, reconstitue le film et monte une piste-son où il fait coïncider le bruit du tir avec la fumée sortant du fusil. Toutefois, le film reconstitué n'étant pas net, il cherche à récupérer l'original chez Manner en envoyant Sally. Puis Sally, munie de microphones, croit aller au rendez-vous de Donahue mais se trouve face à Burke qui la tue.

Au travers de cette intrigue, le film fait directement allusion aux traumatismes que furent pour les États-Unis l'assassinat du président Kennedy, l'incident qui compromit la carrière de Bobby Kennedy et même le Watergate avec ses microphones indiscrets. La voiture plongeant dans l'eau avec à son bord le gouverneur et Sally rappelle en effet l'accident de Chappaquiddick en 1969 impliquant Ted Kennedy et sa maîtresse. Le petit film d'une trentaine de seconde que Jack s'acharne à produire pour prouver le meurtre évoque le Zapruder film qui saisit en 27 secondes l'assassinat du président John F. Kennedy. Dans sa façon de ne proposer qu'un point de vue unique, de ne pas résoudre le mystère de cet attentat mythique, le film super8 disait toute l'impuissance de l'image à pouvoir éclaircir la vérité dès lors qu'elle ne propose pas l'intégralité des points de vue. Le Zapruder film dévoilait de façon criante les insuffisances du film à se constituer comme preuve et provoquait un inévitable désir de montage afin de faire intervenir d'autres points de vue sur l'événement initial.

Le choix de Philadelphie, haut lieu de l'indépendance, renvoie tout autant à l'impossible innocence de l'Amérique d'aujourd'hui. La réplique de la cloche de la liberté, cent ans après le premier et unique carillon de l'originale, est ironique. Fondue grâce à de l'argent collecté par des écoliers, elle devrait être préservée de la corruption. Pourtant Burke se sert de son dessin pour le reproduire à coup de pic à glace sur le corps d'une de ses victimes afin de faire croire à un crime de maniaque sexuel. Jack vient y accidenter sa voiture l'empêchant de sauver Sally.

Blow out quinze ans après Blow-up

La volonté de dénoncer un complot politique par une preuve audio-visuelle provient des motivations plus que personnelles de Jack qui veut sortir du métier peu valorisant de preneur de son pour devenir metteur en scène. De Palma rend ainsi doublement hommage au film dont il s'inspire, le Blow-up réalisé par Michelangelo Antonioni en 1966. Dans celui-ci, Thomas essaie de sortir du milieu de photographe de mode, qui lui permet de gagner sa vie, pour devenir photographe d'art.

Ici, Jack veut sortir de son travail de preneur de son de série Z pour le plus grand destin de redresseur de torts et devenir metteur en scène de sa propre vie. C'est la frustration professionnelle de Jack qui le conduit à se créer, s'inventer peut-être ce qui pourrait être enfin un grand sujet de film. Durant le générique, pendant que la présentatrice de télévision parle de l'élection présidentielle, Jack met en place son futur scénario en annotant des bouts de sons qui serviront ensuite dans le film. Il manipule des bandes magnétiques et donne au sens propre (bandes qui se tortillent dans la machine, boutons protubérants) comme au sens figuré, du relief à sa vie. Il se choisit un grand sujet qui a du relief pour vaincre le monde lisse et plat de l'image télévisuelle.

Plus tard, l'aspect documentaire du travail du preneur de son s'efface devant la dimension fantastique (gros plans sur un crapaud et un hibou) dans la scène nocturne où Jack capte des sons. La dimension mentale se révèle avec les arcs de ponts qu'accentuent plongées et contreplongées de plus en plus excessives. Le monde de Jack se construit. Il en est devenu le metteur en scène : l'accident peut arriver. Dans Blow-up, la preuve que recherchait Thomas consistait à agrandir l'image initiale pour mieux la comprendre. A la fin, Thomas acceptait toutefois de perdre le contrôle de la situation et de s'abandonner à la poésie en lançant la balle imaginaire exigée par la troupe d'acteurs. Il en était récompensé en entendant le son de cette balle. Pour De Palma, agrandir (blow up) ne suffit plus. La réalité a explosé (blow out) et il s'agit de réunir une centaine de photogrammes et une bande son pour aboutir à un montage cinématographique. Mais, là aussi, la preuve échappe et hélas pour Jack les portes artistiques se ferment. Jack ne tire de son aventure que le cri de terreur exigé par son metteur en scène. La vérité du cri a été arrachée aux vivants pour planer sur un monde désolé (le feu d'artifice de Penn's landing qui voit la mort de Sally raccorde sur un triste paysage de neige).

L'obsession de l'écoute chez De Palma

Jack après deux assassinats dont il est, avec ses micros, en partie responsable ne pourra ainsi échapper à sa condition de preneur de sons de séries Z. Cette fin pessimiste, De Palma s'amuse peut-être à la prendre pour lui.

Le film commence en effet par une scène de meurtre dans la douche, sorte de fausse piste, film dans le film, qui pourrait faire croire que De Palma ne sortira jamais de son rôle de petit maître plagiant Hitchcock et son célèbre Psychose. Mais il s'agit pourtant rien moins que de faire exploser la cinéphilie, celle d'Hitchcock ou d'Antonioni pour en faire jouer une nouvelle fois la magnificence. De Palma s'inscrit ainsi plus que jamais dans la lignée d'Hitchcock, pas tant en se confrontant à des séquences particulières qu'en étant, comme lui, un cinéaste de la crise de l'image-action pour reprendre la terminologie de Gilles Deleuze. Il est un cinéaste pour lequel les relations entre les images valent plus que les images elles-mêmes et ici les relations entre les sons valent plus que les sons eux-mêmes.

Déjà dans Pulsions, son précédent film, Peter, le fils de Kate disposait aussi un micro pour écouter la conversation entre le psychiatre et le policer, mais le rôle des micros ne sera jamais aussi fort que dans Blow Out, d'une certaine manière pour en montrer l'inefficacité comme preuve.

L'élément à la fois fondateur et traumatique de la vie de De Palma a, en effet, été d'accepter de constituer un dossier de divorce pour sa mère. Avec des micros, il suivait son père à la trace qui trompait sa femme avec une infirmière. En étant le bras armé de sa mère pour le divorce, il a, dit-il, « pulvérisé la cellule familiale. À la suite de ça, nous n'avons plus jamais été ensemble ». La réussite technique de son projet d'enfance est jugée par lui moins comme une faillite morale que comme un acte trop réussi aux conséquences irrémédiablement négatives. Pas étonnant dès lors qu'il magnifie comme cinéaste, l'échec d'un preneur de son.


Jean-Luc Lacuve le 12/12/2012.

Test du DVD

Editeur : Carlotta-Films. Novembre 2012. Nouveau master restauré HD. 17 €.

Suppléments : Préface de Samuel Blumenfeld (8 mn). Un cri de vérité (27 mn) : Une analyse de Jean Douchet. Retour à Philadelphie (18 mn) avec George Litto, producteur. Le noir et blanc en couleurs (27 mn) avec Vilmos Zsigmond. Souvenirs d'une poupée de chiffon (21 mn) avec Nancy Allen. Multipistes (27 mn) avec Pino Donaggio, compositeur. La bande-annonce.