Lionel est conducteur de RER. Il élève seul sa fille, Joséphine, depuis quelle est toute petite. Aujourdhui, cest une jeune femme. Ils vivent côte à côte, un peu à la manière dun couple, refusant les avances des uns et les soucis des autres. Pour Lionel, seule compte sa fille, et pour Joséphine, son père. Peu à peu, Lionel réalise que le temps a passé, même pour eux. Lheure de se quitter est peut-être venue...
Difficile de ne pas penser à Printemps tardif ou au Goût du saké de Ozu à propos de ce film. Même ancrage dans une réalité moderne subie avec bonne grâce avec ces trames de RER qui défilent dans la nuit ; même goût pour le riz pris en famille et l'alcool pris avec les amis (le rhum remplaçant ici le saké), et même sujet d'un père et d'une fille qui doivent apprendre à rompre une harmonie qui est devenue contre-nature.
On retrouve surtout l'extrême modestie de Ozu face aux déchirures humaines, leur inscription toujours affirmée au sein d'une nature pour laquelle les métamorphoses sont la règle et la stagnation un impossible espoir.
On retrouve enfin la capacité à filmer des objets comme véhicule du temps qui passe. Figuration directe du temps qui a passé, l'autocuiseur que père et fille achètent le même jour. Les deux achats, splendidement choisis par Claire Denis, l'un d'un rouge éclatant, l'autre plus petit d'un modeste rose, disent que le couple est redondant. Joséphine se cachera à elle-même cette vérité comme elle cache à son père l'achat qu'elle vient de faire. Celui-ci a sans doute trouvé l'objet avant le mariage de sa fille mais en le déballant le soir des noces, il affirme bien que désormais ce sont deux foyers qui existent.
Autre image-temps, la porte de l'appartement. Elle est d'abord vue de façon étrange par Noé qui, entendant de la musique, n'ose pas entrer. On se demande alors s'il n'est pas une petite frappe qui pense à quelque mauvais coup. Une fois rassuré sur son compte, on le verra ensuite faire à nouveau un effort pour aller vers cette porte symbole du cocon qu'il sait établi de l'autre coté mais qu'il a à coeur de voir se métamorphoser.
Sur ces objets symboles, Claire Denis greffe deux voyages. L'un qui ne se fera pas, celui de René qui reviendra sans cesse aux rames du RER qu'il a connu toute sa vie et y mourra faute de n'avoir pas su changer. L'autre voyage est aussi un voyage dans le temps, celui vers le passé de la mère originaire de Lubeck morte alors que Joséphine était enfant.
Ode au voyage dans le temps d'une vie plus que dans de vains espaces lointains, 35 rhums réussit l'exploit de proposer une légende, celle des 35 rhums que l'on accepte sans en connaître le fondement comme on se doit d'accepter les séparations qu'impose la nature sans en comprendre les justifications.
Jean-Luc Lacuve le 24/02/2009.