Mexico, 1970. Dans le quartier résidentiel de La Colonia Roma, une femme de ménage, Cleo, nettoie le dallage de l'étroite allée donnant accès à la maison de Sofia et Antonio. Le couple a quatre enfants : Tono, Paco, Sofi et Pepe, le plus jeune. La grand-mère, Teresa, et une autre bonne, Adela, aident à maintenir l'équilibre familial : faire la cuisine, emmener les enfants à l’école, leur servir des repas, les mettre au lit et les réveiller.
Ce soir, le père rentre plus tôt que prévu mais s'énerve qu'une crotte du chien salisse la Ford Galaxie qu'il a rentrée au millimètre dans l'allée. La soirée se passe devant la télévision. Le lendemain matin, une fois les enfants envoyés à l'école, Antonio part pour des conférences au Québec. Il semble étrangement froid avec sa femme.
Pendant leur temps libre, Cleo et Adela sortent avec leur petit ami, Fermín et Ramón, au cinéma. Cependant, juste avant d'entrer, Cleo et Fermín renoncent et décident de profiter du beau temps. Ils vont ensuite à l'hôtel où Fermín, nu, montre ses talents d'arts martiaux en utilisant la tringle à rideau de douche comme bâton de combat. Quelques semaines plus tard, les deux couples se retrouvent dans une salle de cinéma, où est projetée La grande vadrouille. Cleo dit à Fermín qu'elle pense être enceinte. Alors que le film est sur le point de se terminer, Fermín prétexte une envie pressente pour partir mais Cleo ne le revoit pas. Elle rentre seule du cinéma.
Cleo révèle sa grossesse à Sofia, craignant d'être renvoyée. Au contraire, Sofia l'emmène se faire examiner à l'hôpital. Mais Sofia compte aussi avoir des nouvelles de son mari qui la laisse sans nouvelles depuis son départ. Le médecin, la docteur Velez, reçoit Cleo et lui confirme qu'elle est enceinte : l'accouchement devrait avoir lieu en juin. Un tremblement terre perturbe quelques instants la vie de l'hôpital.
Sofia emmène Cleo, Adela et ses enfants à l'hacienda d'un ami de la famille pour le Nouvel An. Les propriétaires fonciers s'entraînent au tir devant un lac. Ils font état de tensions récentes concernant les terres dans la région. Adela entraîne Cleo dans une annexe où les serviteurs font la fête. Cleo, enceinte, est réticente à boire. En remontant de l'annexe, Cleo surprend un ami de la famille qui drague vainement Sofia qu'il sait abandonnée par son mari. Au milieu de la nuit, un feu éclate dans la forêt. Tout le monde aide à éteindre le feu alors qu'un homme compte à rebours les secondes restantes de 1970 avant de chanter au premier plan.
De retour en ville, Cleo accompagne les enfants et leur grand-mère au cinéma. Tono s'échappe et Cleo le retrouve devant un kiosque à consulter un magazine érotique avec un copain. C'est alors que surgit Antonio avec sa maîitresse que Tono refuse de reconnaître quand son copain lui indique avoir vu son père mais que Cleo identifie surement. Ils vont voir Les naufragés de l'espace (John Sturges, 1969). Sofia essaie de cacher le départ d’Antonio aux enfants. Son fils aîné l’apprend, ou en a confirmation, en écoutant une conversation téléphonique derrière une porte. Elle lui demande de ne pas dire à ses frères et sœurs plus jeunes qui croient que leur père est toujours en voyage d'affaires au Canada.
Par l'intermédiaire de Ramon, Cleo trouve Fermín lors d'un cours de formation aux arts martiaux en plein air. Firmin refuse de reconnaître que le bébé est le sien et la menace de coups si elle tente de le revoir. De son côté, Sofia fait une tentative pitoyable pour garer la Ford Galaxie familiale dans l'étroit garage.
Cleo approche du terme de sa grossesse. Teresa l'emmène chercher un berceau. Sur le chemin du magasin, elles observent des étudiants qui se rassemblent pour manifester. Alors qu'elles discutent le prix du berceau dans le magasin de meubles, la manifestation tourne au drame. Dans l'avenue Mexico-Tacuba, la police tire sur les étudiants qui sont bientôt assassinés par le groupe paramilitaire Los Halcones (les faucons) qui tire au hasard sur des manifestants. Lorsqu'un homme et une femme blessés entrent dans le magasin pour se cacher, plusieurs membres des Faucons entrent à leur suite et les abattent. L'un d'es faucons pointe une arme sur Teresa et Cleo : c'est Fermín, qui leur jette un regard noir avant de s’enfuir avec les autres. A ce moment, sous le choc, Cleo perd les eaux.
Cleo, Teresa et leur chauffeur essaient d’aller rapidement à l’hôpital, mais la voiture est immobilisée deux heures dans les bouchons dus à la répression policière alors que Cleo souffre atrocement. Cleo est admise à l'hopital où Antonio vient la rassurer, mais prétexte une excuse pour éviter de rester avec elle. Les médecins n'entendent pas le cœur du bébé battre dans le ventre de Cleo et l'emmènent en urgence dans la salle d'accouchement, où elle donne naissance à un bébé. Les tentatives pour réanimer la fillette échouent. Les médecins donnent le corps sans vie de son bébé à Cleo pendant quelques instants avant de le retirer.
Sofia achète une plus petite voiture qu'elle rentre sans problème dans l'étroit garage. Elle a néanmoins prévu un dernier voyage dans la Galaxie pour des vacances en famille sur les plages de Tuxpan, en emmenant Cleo pour l'aider à faire face à la perte de son enfant qui l'a laissé amorphe et quasiment muette. Pendant le dîner, Sofia dit aux enfants que leur père et elle sont séparés et que le voyage a pour but de permettre à leur père d'aller chercher ses affaires chez eux. Alors que Tono pleure, Sofia tente courageusement de leur dire qu'elle est heureuse d'avoir trouvé un travail dans une librairie. Dorénavant, une nouvelle vie s'offre à eux, heureuse puisqu'ils resteront unis. Le dernier jour des vacances, à la plage, Paco et Sofi sont emportés par le fort courant jusqu'à ce que Cleo pénètre dans l'océan pour les empêcher de se noyer, alors qu'elle-même ne sait pas nager. Alors que Sofia et les enfants affirment leur amour pour Cleo qui leur a sauvé la vie, elle s’effondre et révèle qu’elle n’a pas voulu de son bébé.
Ils rentrent chez eux, constatant que les étagères ont disparues et les différentes chambres réaffectées. Cleo prépare une brassée de linge en disant à Adela qu'elle a beaucoup à lui raconter. Un avion survole la ville.
Roma est l'hommage que Cuaron rend aux femmes qui l'ont élevé alors qu'il subissait le divorce de ses parents en 1971. Les personnages s'exprimant très peu, la psychologie se laisse deviner en creux, au grès du rapport que les personnages entretiennent avec des objets (crottes du chien, Ford Galaxie, bâton d'art martial, étagères).
Dans cette chronique d'une vie familiale soudainement brisée, les séquences fortes sont celles où les femmes font front devant la lâcheté masculine. Elles font preuve d'une solidarité qui s'atténue lorsque les différences de classe reprennent leur droit. Cuaron enrobe sa vision d'une mise en scène assez voyante comme pour assumer son regard surplombant vis à vis de ce passé reconstitué.
Les objets de la mise en scène
Le film s'ouvre sur le dallage du garage de la maison familiale. Un dallage sur lequel de l'eau est versée et versée encore, laissant apparaître dans son reflet un avion dans le ciel. Les avions traversent parfois le ciel, ainsi durant la séance du professeur Zarreck mais également lors du dernier plan, lorsque Cleo rejoint par un long escalier en fer la dépendance des domestiques séparée de la maison familiale. Ce bouclage sur un avion surplombant le travail domestique dit assez précisément la position de Cuaron. Il a recueilli les témoignages de serviteurs qui furent semblables à ceux qui servaient sa famille en 1971. Mais il ne peut avoir qu'une position surplombante vis à vis de personnes dont il n'avait pas, enfant, perçu le dévouement.
Tout pareillement, Cuaron n'en rajoute pas sur la différence de classes puisque Cleo, prise par des problèmes bien plus urgents, n'en a guère conscience, satisfaite que Sofia la prenne en charge. Néanmoins plusieurs annotations sont assez cruelles. Ainsi, lorsque Cleo s'assoit un instant pour regarder la télévision avec la famille, elle est renvoyée immédiatement à la cuisine chercher un jus de fruit. Le partage des terres qui va enflammer le pays est évoqué lors de la réunion dans l'hacienda pour le 1er janvier. Pour la première fois, apparaissant des armes aux mains des propriétaires. Cette violence armée ne tardera pas à être utilisée par les groupes paramilitaires à leur service lors de la répression de la manifestation étudiante. La rime visuelle suffit à l'éloquence de Cuaron.
Tout pareillement, les crottes de chien disent l'asservissement de Cleo. Contrainte par les propriétaires à laisser le chien dans le garage, elle doit quotidiennement en ramasser les crottes et se faire réprimander s'il en reste une. La Ford Galaxie, d'objet de domination devient celui du divorce et, in extremis, celui de la tendresse retrouvée. Garée par Antonio avec une morgue toute masculine (radio à fond, cigare à la bouche et maitrise technique), elle ne convient guère à Sofia qui la laisse prendre entre deux camions (c'est drôle) lorsqu'elle se rend à l'hôpital pour savoir si Cleo est enceinte. La Ford Galaxie revient, soudainement réparée, parce qu'Antonio s'en est servi au retour du Québec (la voiture croise la course d'Adela et Cleo se rendant au cinéma), probablement pour conduire sa maitresse à Acapulco. Elle servira une ultime fois pour le séjour à Tuxpan. Apparemment drôle aussi la démonstration de Fermin avec la barre de douche, si ce n'est que, lors de son entrainement, l'art martial ne lui sert pas de rempart moral comme il l'avait décrit, mais comme menace envers Cleo qu'il abandonne.
Les étagères qui meublent la maison ont disparu lorsque la famille revient de Tuxpan. La vie ne reprendra plus comme avant. On pourrait s'en réjouir si la condition de Cleo changeait aussi. Son retour dans l'appartement des domestiques indique le contraire.
Symbolique de l'action
Tout autant que les objets, les actions, elles aussi, possèdent cette dimension symbolique qui permet d'accéder à l'émotion en se dégageant de l'anecdote ou d'une vaine accumulation de péripéties. Pourtant celles-ci sont nombreuses : un tremblement de terre, une fête, un incendie, une émeute suivie d'un assassinat, un accouchement en urgence, et pour finir une quasi noyade...
Le tremblement de terre est associé à l'envie d'enfant de Cleo à la maternité. L'incendie, en début d'année 1971, est symbolique de l'embrasement de violence qui va bientôt se déclencher. La quasi noyade permet à Cloé de dire enfin qu'elle ne voulait pas de l'enfant de Firmin mais qu'elle révèle sa vraie nature maternelle en sauvant ceux de Sofia.
La mise en scène de Cuaron accumule les plans longs. Les plans larges du format Scope dans un noir et blanc doté d'une grande profondeur de champ évitent les travellings avant ou arrière que Cuaron jugent trop subjectifs au profit travellings latéraux en extérieurs et de lents panoramiques dévoilant une situation d'ensemble où il ne se passe pas grand chose, si ce n'est l'écoulement du temps dans les intérieurs. Cuaron assume ainsi sans doute son recul vis à vis de ce passé reconstitué, comme vu d'avion sur le quartier de La Colonia Roma mais avec une acuité, une précision, une symbolique qui en restituent toute l'émotion.
Jean-Luc Lacuve, le 19 décembre 2018